L’Hindouisme de Daniélou

 

Cette fois, l’indianiste Alain Daniélou revisite les mythes religieux d’occident pour montrer l’héritage commun à la culture archaïque indienne et à la nôtre. Son sentiment d’être le seul à voir la vérité au-delà des apparences est le mien depuis toujours, c’est pourquoi j’ai une tendresse particulière pour ce sage en qui j’avais trouvé un modèle.

 

Rien d’original

Dans ce monde qui se targuait d’avoir tout inventé, je n’apercevais rien d’original, mais seulement des bribes mal comprises d’un savoir plus ancien, et j’étais surpris par l’usage inconsidéré, interdit dans toutes les sociétés traditionnelles, de connaissances de modes de vie, de tyrannies intellectuelles et morales, qui ne peuvent conduire qu’à la destruction de l’homme. (source)Alain Daniélou, Mythes et Dieux de l’Inde, Le polythéisme hindou, avant-propos

Rien d’original ? Des bribes mal comprises d’un savoir plus ancien ? Sans hésiter je pourrais signer ces mots qui me vont droit au cœur. Quoi d’étonnant ? Daniélou comme moi-même sommes les fils de nos études, qui ont surtout porté sur les mythes, notamment religieux.

Il est vrai que Daniélou ne s’est jamais remis du choc que lui a causé le premier contact avec la terre de contrastes qu’était l’Inde et la rencontre avec le shivaïsme primitif. Il a donc tendance à tout ramener à l’hindouisme. J’ai moi aussi connu le même choc, mais je n’y ai pas succombé. J’ai gardé mes distances avec l’hindouisme, dont le corpus sacré renferme certes une masse prodigieuse d’informations utiles, mais qui ne peut revendiquer l’exclusivité en tant que source primordiale. Toutes les cultures archaïques semblent avoir subi une même influence, puissante et durable. C’est selon moi celle des dieux d’avant. Mais j’y reviendrai.

 

 

L’origine des mythes

L’origine et la raison d’être des mythes, des rites, des croyances m’apparaissaient évidentes mais nul ne semblait avoir la moindre notion de leur sens. (source)Alain Daniélou, Mythes et Dieux de l’Inde, Le polythéisme hindou, avant-propos

Je suis tout à fait d’accord, sauf sur l’origine des mythes. Daniélou méconnait ce qui me semble évident, mais l’époque n’est plus la même, et nos connaissances se sont largement amplifiées depuis cinquante ans. Mais il aurait été mieux inspiré de relire les classiques de la tradition occidentale – Saint Yves d’Alveydre, Papus, Fabre d’Olivet, Héléna Blavatski, Rudolf Steiner, René Guénon et bien d’autres. Ils auraient pu lui donner quelques infos qui lui manquent.

Pourquoi le Sauveur, incarnation de Vishnou pour une région et une époque données, doit-il naître dans une grotte, pourquoi doivent se trouver près de lui un bœuf, animal sacré, et un âne, animal impur, pourquoi une vierge mère, pourquoi trois rois et pourquoi des bergers, pourquoi une étoile. Dans ce mystère sacré et éternel, que tout enfant brahmane saurait expliquer, les chrétiens ne voient plus que du folklore. Une grande partie des récits qui composent la vie de Jésus ne font d’ailleurs que reprendre ceux de l’enfant Krishna ou de Shiva-Dionysos.

Comme l’a remarqué Leopold von Schroeder, (source)Pythagoras und die Inder, par Schroeder presque toutes les doctrines philosophiques ou mathématiques attribuées à Pythagore sont dérivées du Sankhya. Nous retrouvons d’ailleurs les concepts fondamentaux du Sankhya chez Anaximandre, Héraclite, Empédocle, Anaxagore, Démocrite et Épicure. (source)Alain Daniélou, Mythes et Dieux de l’Inde, Le polythéisme hindou, avant-propos

L’érudition n’enseigne pas l’intelligence. Autrement, elle aurait instruit Hésiode et Pythagore.

Héraclite

 

J’ai dit ailleurs ce que je pensais de Pythagore, un bien triste sire qu’un de mes avatars a connu mieux que de vue, qui fut source de grandes souffrances. Voilà pour le comportement moral. Quant à sa philosophie, son théorème et autres emprunts, Daniélou a tout à fait raison. Pythagore n’a rien inventé, il a tout repris dans des écrits très antérieurs à son époque… et pas seulement des écrits de l’Inde. Mais pour sa clairvoyance, il faut s’incliner : le grand philosophe grec reste inégalé.

Mais quant à toi, initié aux mystères sacrés, prends confiance car divine est d’origine la race des mortels et à ceux qui savent éveiller en leur âme le divin qui y sommeille, la nature dévoile toutes choses.

Pythagore

 

Malheureusement, bien qu’il l’ait lu et relu, Daniélou n’a pas tilté sur cette info de première main. De même qu’il n’a pas cru l’auteur du kama sutra qui évoque la même origine divine. Le célèbre indianiste est resté persuadé sa vie durant que l’Inde avait tout inventé, tout découvert, tout expliqué, et que la pensée occidentale lui devait presque tout. C’est compter sans les universités druidiques, dont Pythagore pourtant a su reconnaître l’importance… bien obligé !

Les druides étaient les hommes les plus savants du monde.

Pythagore

 

Daniélou, comme moi du reste, était familier des excès. Celui-ci, sans doute, a pu lui valoir plusieurs inimitiés dans la sphère intellectuelle de son époque.

Les influences indiennes sur la pensée des gnostiques, des néo-platoniciens ainsi que sur l’évangile de Saint Jean sont généralement reconnues. L’Apocalypse est une adaptation du Bavishya Purana. Il existait des colonies d’Hindous sur le haut Euphrate bien avant l’ère chrétienne et c’est seulement en 304 de notre ère que Saint Grégoire détruisit leurs temples et en brisa les images.

 

L’enfant Jésus et l’enfant Krisna

Saint Jean et le christianisme en prennent pour leur grade. Ce n’est que justice. J’applaudis des deux mains.Dès aujourd’hui s’il le faut. Après ces pertinents règlements de comptes, Daniélou tempère sa verve. Pas assez toutefois. Peut mieux faire. Mais ces textes datent de 40 ans ou plus. Ce qui devrait m’inciter à l’indulgence. Malgré nos toutes petites divergences, il restera un auteur majeur dans mon panthéon portatif.

« Une grande partie des récits qui composent la vie de Jésus ne font d’ailleurs que reprendre ceux de l’enfant Krishna ou de Shiva-Dionysos. » Bien sûr. La mère et l’enfant, Isis et Horus, énième avatar de la Déesse Mère, la mère allaitant,la mer à l’étang ? éternelle ritournelle, sempiternelle femelle, non mais de quoi je me mêle ? On notera que Daniélou a déjà fait l’amalgame entre Dionysos et Shiva, montrant qu’il s’agit d’un seul et même caractère.

On a vu en Daniélou un hédoniste qui réduit le culte du lingam à celui du phallus et de la sainte étreinte sexuelle, yoni-lingam, mais sa vision s’accorde avec le kama sutra comme avec les sculptures érotiques, voire obscènes, qu’exhibent tous les temples archaïques de l’Inde, du Cambodge et d’autres pays circonvoisins. Il est vrai que le puritanisme anglo-saxon a du mal avec le plaisir qu’il juge dans tous les cas obscène et choquant.

 

 

Toutefois son admiration pour l’Inde n’aveugle pas Daniélou. Il sait que la sagesse indienne était partagée bien au-delà de son espace géographique et il a raison de le rappeler à ses contemporains qui ne juraient alors que par la Grèce et Rome. Si l’influence de l’Inde a été majeure dans la lointaine antiquité, Daniélou y ajoute un bémol : « il serait toutefois inexact de croire qu’il s’agissait dans tous les cas uniquement de l’influence d’une philosophie d’origine indienne. Il s’agissait de la redécouverte d’un savoir qui avait été commun à l’Inde et aux pays méditerranéens avant le désastre causé par les invasions nordiques, et il était tout naturel qu’on se tourne vers l’Inde qui seule avait su conserver intégralement ou presque cet héritage commun. » (source)Alain Daniélou, Mythes et Dieux de l’Inde, Le polythéisme hindou, avant-propos

Daniélou oublie que ce savoir antique était commun à la plupart des cultures archaïques. Il ignore notamment le rôle de Ram le druide celte, héritier des dieux d’Hyperborée, ce en quoi il s’aligne sur le savoirl’ignorance ? de son époque. Je suis une nouvelle fois surpris que ce partisan résolu de la tradition ait ignoré l’ésotérisme et la tradition primordiale occidentale. Il y aurait trouvé les correspondances qu’il souligne entre la mer Méditerranée et l’Inde. La culture hyperboréenne a été transmise aux différentes cultures archaïques par les dieux d’avant, terraformeurs de notre planète, éducateurs de tous les peuples.

 

Le polythéisme hindou

D’autres ont pu reprocher à Daniélou d’avoir déformé les enseignements qu’il a reçu. Je refuse d’entrer dans cette polémique qui me paraît suspecte, comme si ses détracteurs souhaitaient se parer des plumes du paon. Certaine encyclopédie en ligne le décrit jaloux de la notoriété de son frère, le cardinal Jean Daniélou, décédé dans les bras d’une professionnelle du sexe qu’il venait sans doute évangéliser. Sordide insinuation. Quant au fond de son message, j’ai pu lire aussi qu’il ramenait l’hindouisme à un polythéisme dépassé, une religion idolâtre, ce qui est exactement le contraire de son enseignement.

Il s’en exprime clairement par la bouche d’un jeune Indien shivaïte. « Vous autres gens modernes, vous vous croyez très intelligents mais vous n’avez pas l’intuition des choses subtiles. Votre désir de ne pas croire est plus grossier, plus matériel que les croyances contre lesquelles vous vous élevez. En fait, vous êtes les vrais, les seuls idolâtres, car vous seuls, dans votre monde à l’envers, êtes incapables de voir dans les croyances des autres autre chose que la vénération d’objets grossiers. C’est le développement de votre pensée à vous qui est arrêté au stade de la superstition, puisque vous ne savez pas comprendre ou voir autre chose.

C’est vous seuls, en fait, qui avez inventé l’idolâtrie, car personne d’autre que vous n’a jamais connu de conception aussi ridicule. Vous la voyez partout parce que, au fond, c’est la seule chose que vous puissiez comprendre. Parce que vous-mêmes êtes incapables d’adorer autre chose que la matière, que l’aspect le plus superficiel des apparences, vous croyez toujours que les autres sont comme vous.

Nous autres, que vous plaisiez à représenter comme des sauvages, nous savons que le monde que nous percevons n’est qu’une petite partie du monde qui nous entoure. Et lorsque nous croyons que certains êtres, certains arbres, certaines espèces animales ont des prolongements dans l’invisible, représentent un aspect tangible d’énergies universelles nécessaires à l’équilibre de la vie, nous sommes plus près du réel que vous qui niez tout ce qui vous dépasse. » (source)Alain Daniélou, Le bétail des dieux, 1962

 

 

Que dire de plus ? Cette réaction à la fois modérée et farouche en dit long sur ce que pense vraiment Daniélou de l’hindouisme. Et cette fois, je suis totalement solidaire. Même si le rejet des excès de l’hindouisme, soutenu par Jiddu Krishnamurti, a également tout mon soutien. Rien n’est ni blanc ni noir. La vérité habite le palais des nuances. La contre-vérité loge juste à côté.

 

Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison.
Coluche