« Savoir, connaître, quelle différence ? » Ne croyez pas ça, la différence est considérable, qui explique bien des choses. « Le savant extérieur étudie pour lui, ou parce qu’il désire être vu, entendu, applaudi. Tel est le savoir. Le sage intérieur étudie pour la connaissance, sans motif intéressé. » (source)Texte Soufi de Samarkand
Oui il y a une grande différence. L’étudiant cherche le savoir, le maître enseigne la connaissance. Pourquoi apprenez-vous ? demande le maître. Pour gagner la fortune ? la renommée ? la puissance ? l’amour de la foule ? Pourquoi avez-vous besoin d’être aimé ? demande le maître. Vous ne manquez pas à ce point de confiance en vous, si ?
Ce texte soufi de Samarkand fait partie de mes préférés. Les enseignements qu’il donne sont un trésor sans prix. Il lève dans mon cœur un vent d’exotisme à l’oreille percée. Le soufisme est une sagesse qui convient à toutes les âmes. Je crois que le beau Corto, fils d’une gitane de Gibraltar, est un soufi qui s’ignore. Un maître authentique. S’ignore-t-il seulement ? Il nous souffle à l’oreille la suite de ce texte précieux.
Étudier pour la connaissance
« Quand le sage intérieur a acquis la connaissance, il peut devenir un compagnon ou un maître. S’il remplit la fonction de maître, son seul souci est de confier la connaissance à ceux qui peuvent en tirer un réel profit, non à ceux qui essayeront de l’utiliser pour s’en parer, impressionner autrui ou se sentir importants.
Malheureusement, si le sage intérieur sait reconnaître d’emblée ceux qui désirent la connaissance pour de mauvaises raisons, il ne peut pas leur signifier directement : il en est empêché par le « moi dominant » (nafs-i-ammara) de l’étudiant qui remplit si activement sa fonction qu’il empêche chaque fois qu’il le peut la connaissance réelle d’être reçue.
Quand vient la connaissance réelle, le moi dominant est effacé. Pourquoi s’étonner qu’il se batte si âprement ? C’est à cause de cela que les sages prescrivent l’humilité » (source)Texte Soufi de Samarkand
Le savant extérieur étudie pour flatter son ego, le sage intérieur étudie pour la connaissance. Tout est ce qui est de l’ordre du savoir peut être appris, et l’a souvent été dans cette vie même. Au contraire, la connaissance est innée, sans source identifiable dans la vie présente. La connaissance n’est pas mentale, elle est le savoir du corps; un acte profond, spontané, qui se passe au-delà du cerveau, sans son aide – ou sans son obstacle.
Connaître par le rire
La connaissance se moque éperdument des sacro-saintes catégories de l’entendement si scrupuleusement décrites par Emmanuel Kant. Le roi du savoir des méninges qui déménagent. Kantifier ne sert à rien. Il faut laisser déKanter. À Kant les vacances ?
Certains érudits se prennent pour des savants. Et je ne parle pas que pour le vieux Kant. Certains singes font de même et gagnent sur les foires la vie de leur maître. Savoir ne vaut pas voir, car ne voit pas qui veut. Savoir n’est pas connaître, car disait Cocteau : « toute connaissance est une co-naissance : connaître, c’est naître avec. » La véritable origine n’a rien à voir, protesteront les latinistes. Mais qui s’en soucie ? Le mot est assez joli pour qu’on lui fasse cortège.
Pour le passionné de langue des oisons que je suis, les jeux de mots ont de multiples connexions avec l’âme. Anima mundi, l’âme du monde, communique avec les êtres vivants par des jeux de mots. L’humour du vivant n’a pas de limite. Ouvre l’œil, tu riras de tout. Pour le psychanalyste, les jeux de mots sont une source d’infos précieuses sur le patient. Sigmund Freud en a pondu tout un bouquin, son meilleur selon moi : « Les jeux de mots et leur rapport avec l’inconscient« .
Le désintérêt que l’on constate chez nos jeunes pour l’école, le collège et l’enseignement scolaire n’a d’autre source que cette lugubre confusion entre savoir et connaissance. Savez-vous la date de la bataille de Marignan ? L’écolier zélé répond 1515, ça lui fait une belle jambe, sans lui donner la moindre connaissance sur la période en question, ni le nom du roi, ni les raisons de cette guerre, ni les mobiles de l’ennemi, sans parler de la localisation précise de ce foutu patelin nommé Marignan. Si c’en est un…
L’étude orale
Les druides et druidesses, animistes, alchimistes, enchanteurs et enchanteresses, tous les maîtres et maîtresses de science traditionnelle ont déserté la sapience au profit de la connaissance. Leurs écoles pratiquent l’oral, elles tournent le dos au savoir livresque ou écrit. Les maîtres soufis rejettent les méthodes d’enseignement qui traitent tous les élèves de la même façon. La connaissance se transmet in vivo, à travers l’action, en prise directe sur la vie. Aussi la tradition préfère-t-elle le plus souvent la transmission duelle, c’est à dire de maître à compagnon.
Dans l’apprentissage des Compagnons du Tour de France ou autres corporations traditionnelles, on peut trouver encore quelques pépites antiques, que les maîtres du Labeur ont transmises intactes, polies par leurs soins et par tous ceux qui les ont enseignées. Ces traditions se perdent à mesure que la communication électronique remplace le contact physique. L’enseignement sacré ne se transmet qu’en présentiel. Et seulement par l’oral. Ils sont donc définitivement perdus. J’ai beau m’efforcer de te donner le dessous des cartes, l’écrit s’envole au vent du temps. Viens me voir. Viens t’asseoir à ma table, viens manger avec moi ce que j’ai cuisiné pour toi.
Quand celui qui sait est celui qui parle un élève essaie sur l’étang du harle une périssoireEmbarcation étroite et longue, mue au moyen d’une pagaie double. qu’il a retapée un peu tous les soirs sur un canapé pas fait pour s’asseoir il sert d’établi on s’en accommode et l’élève oublie bientôt qu’il ira manger son bœuf mode au bar de l’IRA rendez-vous commode où tu peux causer en buvant un verre à des insurgés révolutionnaires.
J’aime pas l’hiver. Ça tombe trop bien, vu qu’y est juillet.L’euphonie gagne ce que la grammaire y perd
Le savoir est virtuel
Tout savoir n’est que virtuel, tout le virtuel est pur savoir. La connaissance, c’est le savoir qui passe à l’acte. La connaissance a besoin de l’alchimie charnelle d’une table entre amis. D’une conversation au coin du feu, ou à l’ombre dans le jardin. Le temps qu’il fait, la saison, ce qu’on a mangé, autant de dimensions qui enrichissent la transmission. Que sont des amants sans le vertige de deux peaux qui se touchent ? Tout amour est acte, tout acte est connaissance, toute connaissance est acte d’amour.
« Quand le sage intérieur a acquis la connaissance » dit le texte soufi. Tout se passe comme si la connaissance était totale, absolue, d’un seul bloc, pour qu’il soit ainsi possible de l’acquérir d’un coup. Eh bien oui, c’est le cas. La connaissance est une initiation.
Il existe un lieu -intérieur- où tout est inscrit en lettres de lumière. Toutes les réponses, toutes les questions, toutes les énigmes s’y dissolvent dans une clarté sans cesse renouvelée. Ce lieu de conscience s’appelle de mille façons, connaissance immédiate, science infuse, conscience universelle…
Mais je préfère le nom énigmatique que lui donnait les Anciens :
les annales akashiques.
La lucidité est le point de rencontre de la conscience et de la sensualité.
Entreprendre d’effacer le moi dominant est un long chemin pavé d’embûches. Mais ce n’est pas l’enfer. L’enfer, lui, est pavé de bonnes intentions. La connaissance est un beau fruit qui mûrit sur l’arbre divin, orgueil d’Hyperborée. Qui le goûte ne connaîtra pas la mort. Ainsi donc, la connaissance est-elle intéressée ? Sans doute. Il y a des gens qui se préoccupent de leur destin matériel, d’autres se soucient de ce qui vient après la mort. Après la matière. « Après la physique… » (source)Aristote.