Un guerrier passe sa vie entière à trouver sa danse. Un beau jour, enfin, elle est là. Seul sur son lieu de pouvoir, il tourne, virevolte, il flotte dans l’infini. Pendant longtemps il mène sa danse. Très longtemps. Un seul instant qui dure des heures. À la fin, il meurt.
Après des années de travail sur lui-même, de purification, de contrôle, il a reçu des dons et acquis des pouvoirs que chacun peut voir. Il a aussi beaucoup d’atouts invisibles, nul autre que lui ne les connaît. Un guerrier a son lieu de pouvoir, son chant sacré, son nom secret qui est le but qu’il s’est fixé dans cette vie. Le lieu de pouvoir lui a été donné par l’Intention. Rien n’arrive par hasard. Le chant sacré résulte d’une rencontre avec un sorcier, un voyant ou la réalité non-ordinaire. Quand le guerrier fait trois pas dans l’autre monde, il en revient avec des cadeaux. Le chant sacré en est un. La danse parfaite est la dernière chose que fait le guerrier avant de quitter ce monde.
Un guerrier cherche la lumière. Il ne la voit pas tant qu’elle ne brille pas en lui. Alors il s’éveille. Il apprend à ne pas en être ébloui. La lumière blanche est celle de l’éveil, c’est le lieu de prédilection du guerrier. « Celui qui est conscient de sa force et qui sait garder la douceur de la femme, celui-là a le Tao dans les mains. »
La force la plus puissante est celle qui ne s’impose pas. On ne la voit pas, on ne la sent pas, pourtant elle est là. Cette force agit tout le temps. Personne n’en est conscient. Je l’appelle la force faible. Les physiciens me pardonneront cet emprunt à leur vocabulaire, leur force faible n’a rien à voir avec la mienne. Encore que… Non je déconne ! J’ai déjà fait le coup dans un pseudo hommage à Heisenberg et son principe d’incertitude.
J’ai gardé de mes années dans le journalisme le goût de recycler des titres fameux, des punch-lines cultes. Elles me viennent à l’esprit comme les jeux de mots d’un sniper. Elles s’appliquent à une situation qui n’a rien à voir. C’est ce décalage qui m’excite. Un trésor est caché dedans.
Mais je vous égare. La force faible n’est pas la force du faible : ça, c’est juste de la faiblesse. La force faible est celle du super fort. Celui qui sait, qui voit et qui aime. La force faible est un contrôle, puis elle devient une habitude, elle est enfin un délice contagieux. L’exemple vient d’un sorcier au sommet de sa puissance dont le cœur est ouvert, autant que le(s) corps, autant que l’esprit. Un sorcier triple.
Ce sorcier-là choisit la voie de l’amour, le chemin qui a du cœur. Tous les sorciers doivent faire face à ce choix, non pas une fois, mais des milliers de fois. Sur l’escalier des sept degrés d’éveil, tentation à tous les étages ! L’ego ne lâche jamais prise. La vigilance du guerrier est d’abord une traque de l’ego. Contrôle-toi toi-même.
Nul guerrier ne peut souhaiter contrôler son semblable. L’affrontement n’est jamais nécessaire. S’il y a djihad, cette guerre sainte combat tes propres faiblesses, ta négligence, tes imperfections. Tu n’en viendras jamais à bout. Elles sont les vêtements de ton ego. Tant que tu vivras, ton ego sera là près de toi. Quand l’ego s’effacera, tu t’effaceras toi aussi. Contrôle ton ego. Celui des autres importe peu.
Du bout de ta lance, tel Saint Georges, efforce-toi de tenir à distance le dragon de l’ego. Repousse-le ta vie durant. Mais ne t’y prends pas trop tôt :
On consacre la première moitié de sa vie à se forger un ego solide, et la seconde moitié à s’en débarrasser.
Dans la première moitié de ta vie, disons jusqu’à la quarantaine, l’ego est ta force. Il durcit ton écorce et te rend invincible. Si tu souffres d’un manque d’ego trop jeune, tu ne peux te développer en harmonie. Cultive ton ego, mais pas trop : un jour tu devras t’en défaire. Tu ne pourras apprendre à connaître ta danse qu’après avoir pris conscience que tu es plein de merde et que, d’une façon ou d’une autre, tu dois t’en débarrasser. L’ego est ta merde. Notre merde à tous… Dans ce merveilleux monde de merde, l’ego est vie. Mais aussi mort. Sans lui tu t’évapores. Tu quittes ce plan. Les anges n’ont pas d’ego. C’est pourquoi ils ne progressent pas.
Ils sont parfaits, mais l’homme imparfait est supérieur à l’ange : il n’est limité par aucune finitude. L’homme est un dieu en expansion. Enchanteur en chantier, m’appelle-t-on. Oui, je revendique. Quand je serai fini, ce sera la fin. J’avoue que je ne suis pas pressé. J’ai encore tant à faire, tant à découvrir ! Jouir jusqu’à la fin, et s’en aller dans une apothéose lumineuse, comme le phénix. Renaître ou pas n’est plus mon problème. On verra bien. Chaque chose en son temps. Que sera sera, qui mourra verra…
L’ego est l’expression du divin en toi. Il n’est pas mauvais en soi, il est vital au contraire. Mais il fait aussi obstacle à la vie, qui est amour. Le problème de l’ego est sa bêtise. Et la tienne, quand il te fait croire que tu es dieu. Pauvre crétin ! Dès que tu crois ça, tu es mort. Les généraux romains s’étant couverts de gloire avaient droit à l’honneur suprême : Rome leur accordait un triomphe. Un million de RomainsC’est la population de Rome au 6e siècle EC ! se pressaient sur le parcours, le long de la Via Appia jusqu’au Capitole. Standing ovation au passage du char orné de métaux précieux et de gemmes qui portait le général vainqueur. De son vivant Jules César, le premier et le plus illustre, a été élevé au rang de Dieu. On imagine la pression lors des triomphes. Il se faisait accompagner d’un esclave qui sans arrêt lui répétait : « César, souviens-toi que tu es mortel ! » (source)Suétone, Vie des douze césars
Ultime et sage précaution contre le total dérèglement de l’ego qu’on appelle la mégalomanie. «Pas pour moi, Seigneur, mais pour la seule gloire de Ton nom» répétaient les moines au Blanc Manteau, chevaliers du Temple.
Non nobis, domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam ——– Pas pour nous, seigneur, pas pour nous, mais pour la gloire de ton nom
Mortels, nous le sommes tous. Bientôt les généticiens pourront prolonger notre existence de plusieurs siècles, voire de plusieurs millénaires comme celle des dieux d’avant. Nous n’en serons pas moins mortels. Tout ce qui est né doit mourir. La vie le veut ainsi. Les dieux d’avant mourront aussi, la plupart d’entre eux sont déjà morts. Beaucoup mourront encore. D’autres ont pris la relève.
La danse commence quand l’ego baisse. Quand la tête vide résonne au lieu de raisonner. Dans l’infini du vide mental, la danse se déploie, elle t’emporte. La danse est une porte. Elle va rire et s’ouvrir. Passe-la en chantant, que la porte t’emporte. Que sous son arche tu montes la marche. Que tu passes la passe, que tu rives la rive, que tu signes le signe. Et toi tu marches avec la marche. Tu foules avec la foule. Tu tasses avec la tasse. Tu files avec la file. Tu bandes avec la bande. Tu te couches avec une couche. Tu te mouches avec une mouche. Et c’est un mort qui te mord. Très amène, le mort. Reconnaissant même. Grateful Dead. Amen.
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