Du rite à l’acte se mesure non le progrès mais le déclin. L’acte décrit l’homme logique. Il donne un résultat fondé sur les lois physiques, commerciales, psychologiques, sociales. Il est prévisible. Sa répétition donnera un résultat identique. Le rite appartient aux croyances. La science le juge sans effet.

 

L’acte, chacun sait ce que c’est. Nous en posons tous des dizaines chaque jour. Sortir l’aspirateur pour nettoyer la poussière, se laver pour démarrer la journée, s’habiller pour affronter l’extérieur, tout ça est acte. Ou action, si le mot vous est plus familier. Notez qu’il peut y avoir une grosse différence entre deux actions, comme l’action scalaire ou l’action de grâces, par exemple.

Le rite est moins banal. Certaines personnes en pratiquent de nombreux chaque jour, d’autres n’en font jamais un seul. Le rite s’apparente à l’urgence vitale pour les premiers, à la superstition pour les seconds. Vous avez compris, pour accomplir un rite, il faut y croire. Contrairement à l’acte qui est logique, le rite appartient à la sphère magique, ou religieuse, c’est tout comme. Sans la foi, le rite est vain. Sans l’intention, le rite ne vaut rien.

Doit-on les opposer ou les comparer ? En fait, je voudrais vous amener à les considérer d’un autre œil. Après des décennies passées à scruter les mythes du monde, mon point de vue s’est inversé. Je crois que le rite est un acte dont le sens s’est perdu. Je m’explique.

 

Les dieux savent tout

À l’origine, le rite avait la puissance et l’efficacité d’un acte. Quand cette efficacité s’est affadie, l’acte est devenu rite. Il est entré dans la sphère sacrée, ou religieuse, ou magique. Tandis que le mot « acte » s’est trouvé réservé aux actions banales.

 

 

Il est arrivé la même dévaluation aux religions. Elles étaient le langage normal entre les dieux d’avant et leurs serviteurs les humains. Quand les dieux sont rentrés chez eux, les religions se sont manifestées comme des rites, des moyens magiques de faire perdurer la relations hommes-dieux alors que les seconds n’étaient plus parmi nous.

Nos éducateurs nous ont façonnés, dressés, élevés. Des générations après leur départ, nous gardons encore les références que les dieux d’avant nous ont inculqué. Nos cultures, nos langues en portent la trace. Et un certain nombre de bizarreries que seule explique notre origine divine.

Avant la dernière visite des spationautes antiques, l’année durait 360 jours. Ça donnait douze mois de 30 jours, tout était parfait. Mais leur vaisseau-mère causa une déviation de l’orbite terrestre. Elle s’agrandit, l’année s’allongea de cinq petites journées qui foutent tout en l’air. Les légendes vikings parlent à ce propos d’un chaos cosmique. Avec une année de 365 jours plus rien ne ressemble à rien. D’où la durée irrégulière des mois actuels.

Tant qu’ils étaient parmi nous, nos ancêtres avaient l’obligation de leur fournir toutes les denrées nécessaires. Ils devaient partager le gibier de leurs chasses ou le bétail des sacrifices, comme le montre l’antique partage de Mékoné.
On y apprend comment notre protecteur Prométhée, neveu de Zeus, roule son puissant oncle pour favoriser les intérêts des humains.

 

Après les dieux

Et puis les dieux sont partis. On avait toujours aussi peur d’eux, même en leur absence. Certains plus malins avaient juste peur qu’ils reviennent, mais l’écrasante majorité était prête à tout pour se les rendre propices. Les sacrifices aux dieuxodieux ? ont donc continué comme si les absents avaient encore faim. Les humains ont commencé à imaginer des dieux invisibles, mais toujours présents.

 

 

Pourquoi ont-ils fait ça ? Nos ancêtres étaient simples, mais pas débiles. Ils ont bien compris que les dieux étaient partis, ils ont assisté à leur départ. Disons même qu’ils l’ont pris en pleine gueule, ce départ. Il s’est assorti d’un gentil tsunami. Des légendes le décrivent comme une vague scélérate de 4 km de hauteur, qui aurait fait plusieurs fois le tour de la terre. C’est peut-être exagéré, toujours est-il que toute l’eau de l’Atlantique s’est trouvée soulevée comme dans une cuvette qu’on secoue.

Nos ancêtres savaient très bien que les dieux n’étaient plus sur terre. Mais ils se méfiaient. Les dieux sont extrêmement dangereux. Ils ont des yeux qui voient à de très longues distances, des oreilles qui entendent ce qu’on dit à travers les murs les plus épais. Dieu voit tout, Dieu sait tout, tel est le refrain qu’on m’a fait ânonner au catéchisme.

Les dieux d’avant usaient d’une technologie moderne, je l’ai déjà dit cent fois. Ils avaient des caméras, des micros indiscrets, des enregistreurs, des écrans tactiles, tout l’attirail de James Bond et de Johnny English réunis. Sans doute continuaient-ils à collecter des infos sur nous autres, comme ils doivent le faire encore aujourd’hui. Mais ils n’avaient plus besoin qu’on leur réserve leur part de nourriture, bien sûr. Cependant les humains n’en savaient rien.

L’acte sacré qui consistait à nourrir les dieux présents est devenu un rite inutile en leur absence. Le rite est un acte vidé de son sens. Pensée magique, diront les esprits forts, bien mal nommés. Ces handicapés de l’intuition sont faibles et fragiles. Ils ne peuvent compter que sur la sphère logique, qui s’avère toujours insuffisante dans les cas extrêmes. Tant que tout va bien, la logique fait illusion. Quand tout commence à foirer, l’intuition seule peut vous sauver. Les survivalistes devraient y réfléchir plus sérieusement.

 

L’action sans but

La véritable différence entre le rite et l’acte, ce n’est pas tant que le rite s’est vidé de sa substance, c’est plutôt que, dans le point de vue du guerrier ou du sorcier, l’acte est dépourvu de l’effet attendu. En effet, le guerrier n’attend pas de résultat de ses actions. Il agit, c’est son devoir, mais ne se fait aucune illusion sur l’efficacité.

 

 

Un guerrier agit sans fin, sans but. Agir pour agir, telle est sa devise. La sagesse consiste à savoir qu’il est illusoire d’attendre un résultat prévisible. Les projets sont bannis de sa vie. Si tu veux divertir Dieu, raconte-lui tes projets, dit un proverbe russe.

Quand j’étais manager d’une petite agence de pub, je détestais le démarchage téléphonique. Draguer le client potentiel ne pas au créatif. Il aime mieux envoyer au front un commercial, qui pourra vanter ses mérites sans mourir de honte et de vergogne.

Mais parfois, il fallait s’y mettre, et face à la pénurie de clients je décrochais mon téléphone à contrecœur. Inutile de vous dire que mes démarches n’avaient aucun résultat. Disons aucun résultat logique. Car dès le lendemain, invariablement, je recevais un appel d’un ancien prospect qui me proposait du travail.

Ça n’avait aucun lien de causalité avec mes appels de la veille, mais le résultat magique était toujours bon à prendre. Jung appelle ça une synchronicité. J’ai utilisé la même ruse avec mes fils quand nous allions aux champignons. Si la chance ne nous souriait pas, nous avions coutume de renoncer à voix haute, avec la plus grande fermeté : « Qui aime les champignons ? riaient mes fils. Pas nous ! On se balade en forêt, ça nous suffit largement !« 

Quand notre renoncement était vraiment sincère, les champignons se précipitaient à notre rencontre, il fallait veiller à ne pas les écraser par mégarde. Voilà deux exemples d’action magique. Ce processus repose sur un principe invariable : la mise en place de l’intention.

 

 

Xavier Séguin

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