L’art d’en rire

 

L’art d’en rire ou l’ardent rire ? Si rire est le propre de l’homme, faire rire est la marque des dieux. Le Vivant a de l’humour.  Les jeux de mots sont partout à fleur de phrase, il suffit d’y prendre garde. Dans mes textes aussi, oui j’avoue, mais d’abord partout. Ouvrez l’œil. Tendez l’oreille. Nos meilleurs jeux de mots sont involontaires : ils viennent des dieux.

 

Humour divin

La marque des dieux, faire rire ? Un caprice, plutôt. Mais on ne va pas en faire un fromage. J’ai connu un boulanger, le meilleur, inoubliable, qui officiait dans le village de Courances près de Milly-la-Forêt. Son pain était si bon que les gourmands pouvaient faire vingt bornes pour l’acheter. Moi j’habitais sa rue, juste en face. Un jour, hélas, le dieu de la baguette a pris sa retraite. Mais tous ceux qui l’ont connu le bénissent encore. Eh bien, magnifiquement, ce boulanger mythique s’appelait Pétrimol.

Les dieux ont une autre façon de nous faire rire : ils s’immiscent dans nos conversations pour y glisser des vannes et des jeux de mots que nous faisons à notre insu, pris par notre propos, sans y prendre garde… Bien sûr qu’on n’en sait rien puisque ça vient des dieux. Un dieu fait ce qu’il veut, nous en sommes tous la preuve vivante.

Jeux de mots révélateurs, Freudian slip,« Dérapage freudien » : lapsus actes manqués, lapsus tragique, on est tous à la merci de ce curieux phénomène qui nous fait dire ou faire exactement le contraire que ce qu’il faudrait. Quand on s’en rend compte, pour peu qu’on ait échappé au pire, on ne peut s’empêcher d’en rire.

On rit de soi-même, de son étourderie, de sa maladresse, alors que c’est tout le contraire. Tu n’as commis aucune maladresse. La bourde n’en est pas une. Attends la suite. Elle est heureuse ? Tu vois bien qu’il est inutile de te faire des reproches. Regarde le résultat : ta bourde est une bénédiction !

 

Auto-évaluation

Qui es-tu pour décider que tu as mal agi ? La pertinence d’une action ne s’évalue pas sur le coup. Elle met parfois des années à porter ses fruits. Tu n’es plus là pour voir le résultat, donc tu croiras toujours avoir mal agi. L’ouvrier maçon qui gâche le mortier et remplit les brouettes n’a pas en tête le plan de l’édifice. Le maître d’œuvre connaît le plan. Sait-il seulement gâcher le mortier ?

Qui es-tu pour décider que tu as bien agi ? Sur le coup les témoins t’approuvent, tous pense que l’incident est clos grâce à ton intervention. Mais dans quelques jours, voire quelques semaines, l’impact émotionnel va la murer dans un autisme aigu – ou pire encore – et tu ne l’apprendras pas. Tu n’as jamais le plan d’ensemble. Tu ne peux connaître tous les tenants et tous les aboutissants.

Ce n’est pas à toi de t’évaluer. Si tu adores te mettre des notes, fais-toi soigner.
Cesse de t’analyser. L’auto-analyse renforce l’ego, qui ruine le guerrier.
Djihad, guerre à toi. Combats tes faiblesses.
Bagad, musique à toi. Eprouve ta résistance.
Traou Mad, calories à toi. Aiguise ta volonté.

Quand tu auras désappris d’espérer, je t’apprendrai à vouloir.

Sénèque

 

 

Humour du Vivant

Tout est drôle, même la mort. Celles des autres d’abord. Pour la nôtre, on verra plus tard. Déjà quand j’y pense je me marre. Le grand départ ! Le cadavre au placard. Sans costard. Mort en père peinard. Pour arriver où ça ? Je pose la question. Grand départ mon fion ! Je suis prêt à parier qu’on va nulle part. Les pions qu’on retire de l’échiquier, où les met-on ? Dans une jolie boîte en bois. Demain on s’en resservira. Pas moi.

J’ai connu un prêtre doué d’une éloquence rare, beau parleur, orateur et confesseur apprécié. Il parlait dans les colloques et les synodes, s’exprimait sur toutes les ondes, bref, il était si incontournable que tous les Français connaissaient sa voix. En fin de carrière il prêchait le Carême à Notre Dame de Paris et la jet-set catho s’y pressait. Sa parole était-elle si bénéfique ? Le doute subsiste. L’orateur est mort d’un cancer de la langue.

La mère d’un ami d’enfance était traumatisée par l’accouchement. Elle avait trop entendu parler de naissances difficiles où l’on privilégiait la vie du bébé en sacrifiant la mère. Cette femme a très mal vécu ses grossesses. En approchant du terme, la sinistre menace de l’accouchement sonnait le glas de sa propre vie. Elle a eu quatre enfants, aucun problème pour les naissances, mais cette hantise l’a tuée. Des années plus tard, elle est morte d’un cancer de l’utérus.

On peut rire de tout, mais pas avec tous. Certains ne me font pas rire du tout, j’irais pas leur en narrer une bien bonne. Je fais un détour pour ne pas les croiser, leur venin sévère est délétère. Ça tue les enfants qui ont des vers, disait ma mère. Chère Loulou. Sainte Mère la grise. Je suis triste et pourtant, en y repensant, ses vannes me feront toujours rire. Son absence me tue à chaque instant, pourtant je n’ai gardé que nos meilleurs moments. L’art d’en rire. Son parfum subtil en volutes volatiles hante encore son jardin qui en devient le mien. Elle a quitté ce plan depuis déjà longtemps, pourtant elle vivra tant que je serai là.

 

Oisons à foison

La Langue des Oisons est un virus que je souhaite inoculer au plus grand nombre. C’est un jeu sans électronique, sans écran, sans mur et sans plafond. Ni virtuel ni fictif. Totalement addictif. D’abord on y joue, après on s’y croit, à la fin on y croit. Sans y croire, toujours sans y croire. L’acrobate !

J’ai longuement parlé de cette fameuse langue, que l’ignorance a rebaptisée langue des oiseaux. Les oisons ne sont pas n’importe quels oiseaux. Ce sont les petits de l’oie. Tout ça est lié à la Mère l’Oiel’amère loi en sa propre langue.

Cliquez sur les liens si le sujet vous intéresse, je l’ai traité ailleurs et n’y reviens donc pas. Il y a dans le titre de cet article un bel exemple de langue des oisons : l’ardent rire. D’où mon conseil : faisez gaffe à l’orthographe. (remarque)Tu as rigolé ? Bravo ! Ne m’écris pour me signaler la faute.

 

 

L’ardent rire

Quand il vous arrive une mésaventure comique où vous n’avez pas le beau rôle, racontez cette histoire. Et riez-en de bon cœur. Tel est l’ardent rire. Un rire qui brûle l’excès d’ego. Un rire dont le feu purificateur vous lave de l’inutile, vous allège et vous permet, flamme vive, de vous élever davantage.

Rire est le propre de l’homme, a dit Rabelais. C’est bon de se sentir propre après un bon rire franc. Un doux rire bon enfant purifie les fibrilles qui tapissent les papilles. Il brûle de nous plaire. D’où son ardeur. L’ardent rire est le rire du cœur.

Maintenant je me tais. La parole est d’argent mais le silence est d’or. Allo ? J’écoute…

 

L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé.
Théodore Monod