L’ermite décisif

 

Il faut bien que jeunesse se passe, et c’est maintenant. L’arcane VIIII L’ERMITE conte l’histoire d’un jeune devenu trop vieux pour vivre encore. L’ermite est une fin de cycle. Nulle renaissance n’est encore au programme. Ici même, l’individu est à bout de souffle, sa structure psychique arrive en bout de course. 

 

Pourquoi si vieux?

C’est le bout du rouleau, pas le bout du monde. Regardez-moi ce vieux, tout voûté, blanchi sous le harnois. Les ans en sont la cause, dit-on. Mais là, dans le cas de l’arcane VIIII, c’est un peu fort de café ! Mon histoire commence avec un premier amour, je viens de m’installer avec ma femme, j’ai la vie devant moi. Pourtant l’image me montre sous l’apparence d’un vieillard. Il marche vers la gauche. Donc vers le passé. Il n’est pas dans l’ici et maintenant. Serait-il dans l’Ici et ici?

Comment se prononce cette arcane ? L’arcane neuf. Oui, parfaitement, tout neuf. L’ermite illustre une évidence qui ne me fait pas sauter de joie, au contraire. Je me sens vieux, courbé sous le poids de cette découverte qui prend des allures de révélation. Je viens de comprendre que je peux très bien oublier mon origine surhumaine. Mon destin spirituel. 

La vie intérieure existe ! Je l’ai toujours su, et toujours pratiquée. J’avais oublié cette évidence en découvrant les merveilles éblouissantes de l’amour physique. Toute ma vie, depuis la petite enfance, je suis un être intérieur. Je vis en moi. Comment ai-je pu oublier à ce point qui je suis ? Je croyais la chose impossible, pourtant je l’ai fait pendant des années. J’ai oublié qui j’étais, d’où je venais.

 

Enfance intérieure

Mon enfance a passé à visiter un par un les replis de l’âme. Explorer le monde extérieur est venu plus tard, en fin d’adolescence. Le monde extérieur et aussi l’anatomie féminine. En mon cas, l’adolescence s’est prolongée fort tard. D’aucunes prétendent que je n’en suis pas sorti.

La sensualité, la volupté, l’extase orgasmique occupe les esprits et les corps pendant de bonnes années. Ce plaisir sans modération m’a amené à négliger l’intériorité. L’ermite vient à point pour y remédier. Me mettant en marge du monde, je peux renouer avec le monde des esprits.

Je me passionne pour les énigmes. Je scrute le passé des humains, déjà. Je n’y comprends rien, déjà. Mais ça me plait bien. Plus jeune, j’avais dévoré les Contes et Légendes. Maintenant, je me plonge avec délice dans la collection noire de Robert Laffont, qui est devenue la collection bordeau de J’ai Lu. Nul doute que les premières pierres de la présente Saga d’Eden n’aient été posées lors de cet arcane. Lentement la pyramide s’est élevée sur ces fondations propices.

 

 

Lafayette, nous voici!

Autre signe de l’intériorité retrouvée : je découvre les sectes avec dégoût et fascination. Planquant ma répulsion naturelle derrière un alibi journalistique – je comptais faire un livre sur plusieurs sectes florissantes – j’explore la scientologie. J’y découvre une machine à broyer les consciences. Le summum de l’abêtissement et de l’abdication de soi-même planqué sous une façade triomphale, libération, réalisation, retour de la puissance bloquée, nettoyage des engrammes et le plus important, adoration de la parole sacrée et de la sainte personne de l’immortel bouffon et défunt fondateur de l’org – ou de l’église, comme on voudra. Prénommé Lafayette, sans doute pour épater les galeries. Yann et Conrad lui ont tiré le portrait au vitriol. (source)Yann et Conrad, Les Innommables 10, À l’est de Roswell

Derrière un fatras rendu obscène par la bêtise, il y a quelques perles que j’ai fait monter en collier. J’en use encore. Avant de succomber à la tentation d’amasser une fortune en délayant ses découvertes, Lafayette a trouvé un moyen rapide et pratique d’éveiller les consciences. En subsistent quelques bribes dans ses indigestes bouquins. Mais faut se taper cent pages de délire mégalo pour choper la perlouze. Si c’est pas deux cent. Ce mec écrit trop. S’adore trop. Se goure trop.

 

Sri Mataji

Je l’ai quitté sans regret, mais très vite un copain dessinateur m’a branché sur une secte plus confidentielle, et surtout moins américaine. Sahaja yoga. Fondatrice : Sri Mataji Nirmala Devi. Ces sonorités exotiques et familières réveillent mon amour de l’Inde. Il se passe un drôle de truc. Le dessineux me fait asseoir sur une chaise devant une sorte d’autel dressé dans sa chambre.

Y trône la photo de Dame Mataji, entre deux bougies de chauffe-plat. Parée de bijoux kitsch, drapée dans un sari voyant, elle exhibe avec satisfaction trente kilos superflus. C’est une hippopodame, selon Serge Gainsbourg. Ensuite il me demande de méditer. J’entre en alpha, ce qui m’est coutumier. Puis il met sa paume au dessus de ma tête et déclare que je suis éveillé. Il a senti un filet d’air frais sortant de ma fontanelle qui lui caressait la paume. C’est le signe de l’éveil. La chose est indiscutable, j’utilise encore ce test aujourd’hui.

Mon pote attribue ça à la sainte Dame, il crie au miracle, rends-toi compte, sa photo a suffi pour t’éveiller, quelle puissance ! Quelle grande sainte ! Son excitation fait plaisir à voir, d’un seul coup il fait moins Suisse.

 

Trop crédule

Bien sûr je le crois. Pour me joindre à la joie d’un ami, j’oublie qui je suis. Je suis toujours prêt à douter de moi, de vous, de tout. J’aurais dû me dire, pour que ce test soit valable, il fallait le faire aussi avant la séance. Et le refaire après. Sinon comment attribuer un miracle à quiconque ? Et comment être sûr que je n’étais pas déjà éveillé avant ?

Il se trouve que je l’étais depuis longtemps. À 12 ans, premier choc sur le crâne, premières manifestations de mon pouvoir de guérir. À 16 ans, nouvel accident, la fontanelle éclatée, je sors de mon corps en toute conscience. Depuis, je vis une double vie, l’astrale et l’ordinaire. Même si mon ordinaire est très astral, je trouve l’astral peu ordinaire.

 

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Le mythe de Sisyphe

Je ne peux pas voir ma propre aura. Il y a peu, une amie voyante m’a dit que j’étais cristal. Si je possède effectivement ce type d’aura, alors je suis éveillé de naissance, comme tous les cristal que j’ai connu. 

Pendant ce temps-là, avec Micha ma femme, mon âme et mon amie, on fait le tour du monde des pèlerinages. Ama en Chine, Loas en Haïti, Shiva en Inde, Garuda en Indonésie, Marie à Lourdes, Thérèse à Lisieux, Benoît à Saint-Benoît sur Loire, Isis à Chartres, je ne m’en lasse pas. Toujours mon amour des collections.

Dégoûté du catholicisme familial par un curé pédophile, je n’ai pas perdu le sens religieux. Il m’a fallu du temps pour dépasser le stade de la foi et du doute. Comme si ça avait la moindre importance ! La spiritualité véritable se conquiert de haute lutte. La foi se dépasse à travers la connaissance.

Prends cent hommes, tu y trouveras un homme de foi. Prends cent hommes de foi, tu y trouveras un homme de connaissance. (Rumi)

 

Si tu as remarqué un jeu de mots dans le titre, ne doute ni de toi ni de moi. L’ermite n’a rien de décisif. Le mythe non plus. Sisyphe fils d’Éole était un pauvre demi-dieu condamné à monter une lourde pierre au sommet d’une montagne, et chaque fois, la pierre roulait jusqu’en bas. Et toujours, le pauvre Sisyphe devait remonter la même saleté de caillasse. Les dieux ont de ces jeux ! Cette histoire s’appelle le mythe de Sisyphe. D’où mon titre. N’empêche, comparaison n’est pas raison. L’ermite n’est pas Sisyphe, il serait plutôt passif. Mais son attitude est tout aussi absurde que le Sisyphe d’Albert Camus.

 

Sur l’arcane neuf souffle un vent nouveau. Le passé est mort, le petit roi est mort, mon vieux moi est veuf, alors vive le neuf !

L’histoire ne se répète pas, elle bégaie.
Karl Marx