Nous avons cinq sens, et même bien davantage, mais à quoi servent tous ces sens quand on a la tête à l’envers? C’est mon ami Ray, le jazzman Zaïrois, qui m’a dit ça. « Vous autres Blancs occidentaux vous n’êtes pas dans le bon sens. Pour vous remettre à l’endroit, il faut d’abord trouver votre centre, le vrai. »
Le cœur de l’énigme
Contrairement à ce qu’on peut croire, en cet âge des ténèbres, le vrai centre n’est pas dans la tête, oh non.
Le vrai centre de toi, du vrai toi, cherche-le plutôt dans ton corps. Cherche-le dans ton ventre.
« Ce centre, qu’il faut absolument apprendre à repérer au fond de son ventre, avant de s’élancer tout seul comme un grand, ce petit point d’où part le moindre de tes gestes, c’est le cœur de l’énigme.
On l’appelle « je », mais encore? Les Blancs s’imaginent qu’ils portent la responsabilité de tout ce qu’ils font: « Moi je » par ci, « c’est moi qui » par là…
« Mais où cela commence-t-il? Parce qu’avant d’être un point de conscience, un point spirituel, ce « je » est d’abord un point physique, puisque ce sont des actes physiques que nous posons.
« Pourtant, si tu t’observes bien, tu t’apercevras qu’il y a en toi mille (faux) points d’appui, mille « je », mille personnalités dont chacune prend une décision mal centrée, en s’imaginant, souvent le temps d’un éclair, d’une pensée, qu’elle est le seul « je », le seul maître à bord. C’est très drôle! » (Patrice Van Eersel, Le cinquième rêve)
D’un éclair ou d’une pensée? L’éclair est un flash qui vient du ventre, un flash d’énergie qui t’éblouit mais qui ne vient pas de ton cerveau. Ce n’est pas le cas de la pensée.
Le mille-pattes
C’est peut-être très drôle, mais Ray ne rigole pas le moins du monde. Il tape la mesure de ses doigts durs sur une table basse, comme sur un djembé.
Ce rythme me fait descendre dans mon ventre. Je suis musique, j’écoute mon ventre battre la mesure du monde, de ce monde intérieur que chacun porte en soi où qu’il soit.
« Il redevient pensif:
– C’est vraiment une question cruciale. Car nous sommes tous construits sur le même schéma. Et là le jeu devient trouble, car si tout le monde dit « je » en même temps et que tous ces « je » changent sans arrêt, tu vas immanquablement finir par te demander quel est le grand « Je » de tous ces petits « je ». Ah je t’assure, le jour où les Occidentaux se poseront vraiment cette question, ils se retrouveront tout à coup dans la position du mille-pattes à qui on demande: « par quel pied tu commences? » (Patrice Van Eersel, Le cinquième rêve)
Raymond Lema A’nsi Nzinga dit Ray Lema, né le 30 mars 1946 à Lufu-Toto, est un pianiste, guitariste et compositeur franco-congolais.
La spirale du ventre
Ray est de deux ans mon aîné. Longue vie à lui, et à moi aussi. Il joue le jazz au piano et à la guitare, il chante aussi. La musique africaine fait vibrer son cœur, son corps, ses muscles et ses os, ses poils et sa chair. « Le corps est le plus bel instrument de musique qui existe sur terre, me dit-il. Une caisse de résonance sublime! Si tu te mettais à jouer régulièrement de ton instrument corporel, à expérimenter les rythmes et les sons sur ton corps, tu t’apercevrais que la vie est une spirale. » (Patrice Van Eersel, Le cinquième rêve)
Oui, je ressens ça aussi. La vie est une spirale qui part du ventre. Et vivre sa vie à fond, organiquement, c’est suivre cette spirale et laisser notre vrai centre, notre ventre, nous emmener dans la danse du monde.
Une musique planétaire
Ray a une grande ambition. Il veut faire coexister toutes les musiques dans une seule mélopée planétaire. Pour partir du début, il est allé chez lui, en Afrique, au Zaïre. C’était dans les années 70. Il n’y était jamais retourné avant. Ce fut un choc. Un fabuleux éclair de conscience. Les rythmes qui se mêlent et se renvoient la balle lui ont fait tourner la tête et le corps.
Très vite, Ray s’aperçoit que chaque village a son rythme. Ou plutôt son jeu de rythmes. La « signature rythmique » d’un village s’appuie sur le croisement de deux rythmes différents sur des percussions les plus variées, du djembé à la boîte de conserve, jouées par des « petits », enfants ou adolescents. Car les petits sont bavards et ils ont besoin de se muscler.
Quand on joue de cette musique, les gens disent simplement : « Ça tourne ».
-Qu’est-ce qui tourne? demande Ray.
Les gens le dévisagent de manière étonnée. C’est alors qu’il a l’idée de leur faire écouter de la musique occidentale moderne. Stupeur. Ils répondent avec une grimace: « Ça ne tourne pas ». (Patrice Van Eersel, Le cinquième rêve)
Corde à sauter
On ne peut pas être plus clair: la musique africaine est d’abord un rythme. Ou plutôt deux rythmes qui se rencontrent.
Frappant sur son tambour, le premier « petit » fait, mettons: Kitticlop, Kitticlop, Kitticlop. Assis en face de l’autre, l’autre fait Tac-Tac, Tac-Tac. Le Kitticlop et le Tac-tac s’entremêlent alors en une tresse dont on ne sait plus où elle commence ni ou elle finit. Les villageois disent « Ça tourne. »
Chacun, de la plus petite gamine au plus vieux grand-père, a sa propre façon d’entrer dans ce jeu rythmique –en cognant sur un tambour, un tronc d’arbre creux, une bouteille, en claquant la langue, les doigts, en jouant d’un instrument à cordes, de la guimbarde qui résonnent dans la nuit très noire jusqu’au sommet des arbres géants. Comme si les deux « petits » du début faisaient tourner une gigantesque corde à sauter sonore… (Patrice Van Eersel, Le cinquième rêve)
Il faut le chaos dans ton âme pour donner naissance à une étoile qui danse.
Trouver notre sens
Trouver notre centre, le vrai. Et après, on doit faire en sorte que ça tourne. Pas facile facile quand on ne parle que la langue de Molière.
Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673) est un dramaturge, acteur et chef de troupe de théâtre français. Considéré comme le patron de la Comédie-Française, il en est toujours l’auteur le plus joué de nos jours.
Forcément. Une pièce de Molière, c’est dans le bon sens et ça tourne bien…
Y a qu’à
Y a qu’à. Faut qu’on. Et c’est urgent. La planète est dirigée par des Super Bidochons la tête à l’envers. Les pieds dans les nuages, à quoi ça sert quand on a le cul trop plombé pour s’envoler? Ça fait que la tête traîne par terre. Ce qui explique pourquoi on bouffe de la merde.
Pour la plupart d’entre nous, la vie ressemble à une échelle dans un poulailler : glissante et couverte de merde.
Ray a bien raison, il s’agit de se retourner les pinceaux. D’effectuer une manœuvre de retournement, comme la fusée lunaire de Tintin. Un retournement général.
L’humanité est contrôlée mentalement et à peine plus consciente qu’un zombi moyen.
Seuls ceux qui sont déjà dans le bon sens en seront dispensés. Ils ont déjà trouvé leur centre. Depuis la naissance. Pas de souci pour eux, ils le savent bien. Quand par hasard ils entendent notre musique, ça leur grésille dans la tête, leur corps ne tourne pas. Leur monde reste immobile. Leur nature est crispée. On pourrait faire un test musical à tous les humains, histoire de vérifier. Ceux qui sont dans le bon sens se repéreront direct. Sans erreur possible.
Profs de bon sens
Tout de suite ils seront promus profs de bon sens. Leur boulot sera de détecter les artisans du mauvais sens, ceux qui sont les principaux responsables de l’immobilisme à l’envers. La règle est simple:
Pour que ça tourne, faut être dans le bon sens et trouver son centre. Le vrai.
Regardez les Zétazunis. Regardez les villes en longueur au fil des highways. Des maisons en bois alignées dans leur jardinet. Des rues qui se ressemblent toutes et qui n’en finissent pas. On y cherche vainement un centre. On y cherche les commerces autour d’une église. Le cœur de ville historique et ses demeures anciennes, trois siècles au moins, voire médiévales. Tu peux chercher, y a pas là-bas.
Tous les deux blocks, tu trouves le même fast food qui fait station service. Les Zétazunis n’ont pas de centre. T’as qu’à voir le capitale : Washington. Mais la ville la plus peuplée, la ville n°1, la capitale du monde, c’est New York. Juste à côté. Et l’état de Washington se trouve sur l’autre côte, à l’opposé de la capitale. Pas à chier: les Zétas, c’est le bordel*. Le pays roi du kali yuga. Dire que ça fait un bon siècle que le monde est aux mains de ce lupanar* !
*Un bordel, un lupanar, une maison close, un claque, un boxon, un hôtel de passe… est un établissement proposant des services payants de nature sexuelle avec des personnes, dans le cadre de la prostitution.
Villes qui tournent
Donc les profs de bon sens devront d’abord apprendre à leurs élèves qu’il y a un bon et un mauvais sens. Pour la plupart des gens, ça n’a rien d’évident. Les villes africaines sont dans tous les sens. Mais ça tourne. Les villes allemandes sont dans le bon sens. Mais ça ne tourne pas. Le centre ville s’y déniche facilement. Seulement voilà. Est-ce le vrai centre? On ne dirait pas…
J’ai passé une grande partie de ma jeunesse à courir le monde. Les villes asiatiques traditionnelles avaient vraiment l’air de n’importe quoi. Les villes africaines aussi. Mais je peux vous garantir qu’on y trouvait toujours le vrai centre. Et c’était systématiquement juste là où tu te trouvais. Ray a raison avec son histoire de bon sens et de vrai centre. J’aimerais pourtant y ajouter mon grain de sel. Il manque un paramètre indispensable.
Tu es dans le bon sens si tu te payes une tapée de synchronicités.
Tu as trouvé ton vrai centre si ces synchronicités facilitent ta besogne.
Synchronicités
Les synchronicités sont des hasards trop favorables. Tu te diriges vers l’endroit de la ville le plus commerçant, tu sais qu’à cette heure-là on ne peut pas trouver une place pour garer sa bagnole et là, juste devant l’immeuble de ton médecin, une place se libère juste devant ton pare-choc. Synchronicité. Tu cherches un passage précis dans un bouquin, il s’ouvre direct sur le bonne page. Des hasards trop favorables. Comme le hasard n’existe pas, et comme Jung le savait, il les a appelées des synchronicités. Il se doutait bien que ça venait de quelqu’un… D’une volonté qui sait ce qu’elle fait. La nôtre? Ou une autre?
Ça arrive juste au bon moment, je m’en sers allégrement. Aurais-je pu écrire la moitié de mes articles sans ces fameux « hasards heureux » ? J’en doute fort.
Incroyables synchronicités! Là encore, je me contente de croire sans y croire. Sans même demander à Ray Lema ce qu’il en pense. Il a autre chose à faire, j’en suis sûr. Je n’ai pas non plus questionné Abeti Masikini,portrait plus haut ni Papa Wembaportrait ci-dessus pour la bonne raison qu’ils ne sont plus de ce monde, même si leur musique reste bien vivante. Elle tourne encore et n’est pas près de s’arrêter.
Moi non plus, parole de petit vieux.
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Pour un yeuv, chu chébran, g la ref.