Salades de Patate

 

D’où qu’on hume, ça sent le rance. Quelque chose est pourri dans mon royaume de France. Où que je mire, le ciel est sombre. Décombres entre les tombes. Aucun bruit d’ici ni de là, pas un mouvement mélodieux n’anime l’ombre issue des cieux. On pourrait croire qu’un fier démon a coupé la lumière et va réduire en cendres tout ce que j’aime entendre.

 

Les religions sont pourries de l’intérieur par l’intégrisme des fidèles et la fatuité de leur clergé. La science devenue religion connaît exactement les mêmes problèmes que les anciennes. Les lobbys raquent, les politiques en croquent et tout le monde le sait. Et chacun s’en fout. À toute vitesse on va dans le trou. C’est fou. Vingt dieux, meunier, tu dors ? Meunier, à quand l’âge d’or ?

« Si tu ne meurs pas de ton vivant, tu mourras en mourant » (Devise des Chevaliers Teutoniques)

 

Sans cesse Patate remettait ça. Meunier intarissable, toujours du grain à moudre : Tu sais ce que je crois ? La corruption généralisée doit alerter les aliens qui veillent sur nous. De leur point de vue, il est impératif que le niveau moyen du troupeau s’améliore au plus vite. Dans deux petits siècles, avant peut-être, nous devrions passer dans l’âge d’or. Il s’agit qu’on soit d’attaque. Ou morts…

Pour qu’on s’améliore, tu vas voir qu’ils vont nous balancer des pandémies et des tsunamis à tire-larigot. Et des lumbagos à gogo. Mets-toi ça dans la caboche, les gens vont tomber comme des mouches au flytox. Chiens de ma chienne ! Tout va péter, génocidez pépé-mémé, place aux jeunes. Ils consomment bien plus, ils coûtent bien moins cher en salaire. Aucun mystère.

La fin a commencé ce soir. C’est ça l’histoire. Tu vas voir. Moi je me barre.

 

 

Il s’est vraiment barré à ce moment-là, jamais revu. Ni reconnu. Ou dans mes rêves ? Foutu vieux ! Ses plans fumeux, songe-creux, décati, gâteux. Maudit vieux frère. Il délirait sévère.

Pour la pandémie, d’accord, Patate avait vu juste, et longtemps à l’avance. Mais le reste ? Deux cents ans de patience, et crac ! Le paradis pour tous ? Sans histoire ? Sans crier gare ? J’ai du mal à y croire. Où sont les signes avant-coureurs ? Je vois d’abord l’horreur : haine, ignorance, mépris. Parti-pris. Saloperies.

Une nouvelle humanité commencerait dans le bonheur parfait ? Elle ne le fera que sur les ruines de la précédente. Ça veut dire beaucoup de morts. Des murs de morts, des buttes de butés, des tas de tués, des monts de macchabs pêle-mêle. Encore une fois. Ainsi va la Mort.

Peu de représentants de notre humanité auront l’heur de survivre pour assister aux premiers pas de nos remplaçants. Ces derniers, bien sûr, les prendront pour des dieux. Ils vénèreront leurs pères, leurs créateurs. Bientôt en effet notre humanité devra quitter les lieux. Mais avant, elle fabriquera la race future, beaucoup plus petite. Et comme toujours, cette nouvelle race prendra la précédente pour des dieux. C’est ainsi depuis la nuit des temps. Tour à tour cet arpège fait tourner le manège.

À part ces rares survivants, nous finirons tous au rebut. Dans la poubelle de l’oubli, comme aux changements d’avant. Vous et moi, nos petits-enfants. C’est pour très bientôt. Tous dans les goguenots, Dieu tire la chasse d’eau. De ce cycle pervers, il ne restera pas pierre sur pierre.

Soyons conscients. Assumons notre responsabilité première, vis-à-vis de nous-même et de ceux qui viendront après. Peut-on se confire dans l’égoïsme et l’avarice mesquine ? Pour s’accrocher à l’inutile ? Un linceul n’a pas de poche. L’argent n’a jamais fait le bonheur. C’est le cœur. Seul l’amour est bonheur. Tâche de le garder. Choisis l’amour qui dure au-delà des saisons.

L’amour est la Règle universelle ; la lumière, sa sœur bien-aimée ; la connaissance, le fruit de leur union. Amour et Lumière nous portent au-delà des embarras et des tracas. On te blesse ? Ne maudis pas ton sort et bénis tes bourreaux. Si ton cœur est sincère, tu sortiras nouveau.

« Que tu réussisses ou pas, que tu sauves le monde ou que tu détruises un continent, que tu peignes la Joconde ou que tu peignes tes cheveux, on t’oubliera pareil », disait Ficelle, qui fut le père littéraire du Grand Papatoès.

Aujourd’hui je m’en rends compte, le délire verbal du Vieux Patate m’a corrompu l’esprit. Son imaginaire moisi a semé en moi une grande confusion. En moi les mondes se touchent, se court-circuitent, s’étranglent et s’envahissent. Je passe de l’un à l’autre, faon ailé, éléphant, c’est selon.

 

 

Rien ne va plus et tout est pour le mieux. Chanson douce et chant guerrier, rien n’y fait, tout domine. Et celui-ci le dit, et celle-là le fait, et ceux-là manquent pas d’air, et ceux-ci se regardent interdits, privés d’eau, de gaz et d’électricité. Quand il battait en campagne, le bon sens restait couché. Il laissait la raison à la maison. À la belle saison, il battait la breloque. Flairant les jupons, Patate courait la prétentaine, troussait la gueuse ou filait le guilledou, poils au trou.  Son affaire dans le sac, il lançait tout à trac : Viens, dormons chez les poules. Sa voix sentait la moule. Moi je le trouvais trop cool.

Quel est le pire honneur ? Mourir vierge ou chanter vêpres ? Sentir verge ou brûler cierge ? Courir nue sur l’avenue ou parler cru aux écourues ? Les poules de Patate ne roulaient pas carrosse, rêvant de plaies et bosses en élevant les gosses. Je ne jugeais rien, j’aimais tout, ça me semblait normal, ça l’était à l’époque. Doc Patate ad hoc assis sur le dock. De nos jours ça poque. Hard et rock. Ça sent l’huile de phoque.

Le délirium du Vieux Patate est plus collant que du papier tue-mouches. Un piège solide et bien conçu. J’y suis scotché de toutes mes ailes, je vais cesser de me débattre. Je ne suis qu’une mouche.

Rire merlinesque et fantasque du fana d’outre-cieux. Du dévoreur soucieux. Pars sans élan, char sans essieu. Le rire est lent, le mage est vieux. Si tu blesses par les pets, tu mourras par l’épais, dit l’Autre à ses apôtres. Sois chaste avec les vastes, sois grave avec les braves. Sois fort avec ton corps, sois flamme avec ton âme et fleur avec ton cœur. Sans soupir ni souci, sois surpris par l’Esprit.

Joue le jeu mais saches que c’est un jeu. La vie n’est qu’un jeu. La mort n’est qu’un jeu. Peut-être le même ? Troll m’aime ? Trop le même ? bégaie la bande passante.

Mouvance du mental, résistance molle de l’ego qui se sent perdu, mais qui ne se rend pas sans combattre.

Lutter contre est une illusion. La puissance divine rend notre volonté risible. Qui sommes-nous pour résister à ceux qui nous ont faits ?

Est-ce à dire que nous devrons supporter longtemps encore ces péripéties dégradantes, ce concert de cris de porcs, cette sinistre fête de la Matière ? Le seul dieu unique que je connaisse est une Déesse.

Et pour l’âge d’or, ne soyons pas trop pressés qu’il arrive. Parce que pour nous, ce sera l’âge dehors.jeu de mots laid pour gens bêtes

 

 

Le regret est toujours une illusion.
Claude Sautet