Mille et une fins du monde

La mort est le ressort de la vie. Les planètes, les étoiles, les anges, les hommes et les animaux, tout ce qui vit doit mourir. Oui, les anges aussi. La mort régénère. Un autre cycle commence, la vie est faite de soirs funèbres et de matins radieux.

La petite mort

C’est pourquoi on dit que le sommeil est une petite mort. Au matin, lavé par le contact avec le double, rénové par l’aventure nocturne, on se sent d’attaque pour une nouvelle journée. Que se passe-t-il quand on dort ? On sort du corps. On se ballade en astral dans un véhicule volant, notre corps subtil. Et c’est là qu’on fusionne avec notre double, que certains appellent notre âme. Et que d’autres appellent Dieu !

En ce domaine, il est difficile voire impossible d’utiliser une terminologie claire et immédiatement compréhensible par tous. Pour moi, ces temps-ci, voici ce que je vois. L’être complet se compose d’un corps physique, visible, et de deux autres « corps » invisibles, l’aura et le corps subtil. L’aura est pure énergie. Le corps physique est pure matière. Le corps subtil est l’interface indispensable entre les deux. Voilà ce sur quoi je travaille en reiki d’Erquy

La petite mort du sommeil régénère le corps subtil, qui est la garantie d’un bon fonctionnement du corps physique, notamment du guérisseur intérieur. Si la petite mort régénère, en est-il de même avec la grande mort ? Ne serait-elle qu’un sommeil de plus ?

 Nous sommes faits de la même matière que les rêves et notre courte vie est bordée de sommeil. (Billy Shakespeare)

Un pont subtil

L’aura est un autre nom pour l’âme. Les naguals disent luminosité. C’est pareil. Notre luminosité nous entoure et nous précède. Elle contient des myriades d’informations. Il me semble qu’elle n’est pas mortelle. Il me semble qu’elle peut assembler des particules de matière n’importe où dans l’univers pour se constituer un corps.

Avant d’animer ce corps, l’aura crée l’interface, que j’appelle corps subtil, pour que la fusion esprit-matière devienne possible. À la mort du corps physique, la partie spirituelle du corps subtil fusionne avec l’aura ou reste prisonnière de sa part matérielle, et devient un fantôme. L’aura poursuit son aventure vers l’être de lumière où elle fusionne avec lui, disent les croyants.

Les sorciers du Nagual voient les choses différemment. Après la mort, le corps physique se dissout dans la terre. L’aura est aspirée par le bec de l’Aigle où elle se dissout à son tour dans la conscience cosmique, dit à peu près Castaneda. Point de vue qui rappelle la devise des Chevaliers Teutoniques : « Si tu ne meurs pas de ton vivant, tu mourras en mourant. » Si tu ne connais pas la mort initiatique, ton âme ne survivra pas à la mort de ton corps.

Le moule de la Terre

Tout ce qui vit doit mourir. Même notre planète. La Terre meurt souvent. Elle se reproduit aussi. Parthénogenèse. Scissiparité. Elle accouche d’un rejeton qui lui ressemble, mais sans ses plaies et bosses, sans ses rides, sans la fatigue de ses organes internes. Tel est le cycle de la vie.

Je suis allé dans un endroit étrange où je voyais la Terre – du moins quelque chose qui ressemblait à la Terre – une grosse bille bleue dans un bocal spatial. Elle avait l’air d’un jouet, d’une maquette, et pas d’une vraie planète. Pourtant je pouvais voir les continents, les montagnes et les mers. Tout était reproduit à la perfection.

En m’approchant, j’ai observé un curieux phénomène. La surface des terres et des mers était couverte d’écailles rectangulaires, comme les ardoises d’un dôme. À intervalles, des ardoises se soulevaient, le dôme devenait un poisson qu’on écaille. Chaque écaille était un hologramme de la Terre Mère. Chaque hologramme contenait la Terre dans sa totalité.

Immédiatement une comparaison a surgi de mon néant intérieur. Impossible de la louper. Juan Matus explique à Castaneda ce que c’est que le moule de l’homme, un emporte-pièces astral qu’on trouve dans les vallées encaissées ou près des sources. Une sorte de machine perpétuelle dont le seul rôle est de façonner des consciences humaines à la chaîne pour en doter les nouveaux-nés.

Le même scénario arrive aussi aux planètes. J’étais en face du moule de la Terre.

Les Néo-Terres

Mais le processus continue dans l’aquarium astral. Les écailles terrestres se sont ébrouées dans un espace créé par et pour elles à mesure de leur avance. Elles ont fleuri, se sont arrondies comme un ventre fécond, et dix mille Terres nouvelles ont enfanté dix mille mondes parallèles. Je peux admirer les progrès des Néo-Terres dans les nouveaux bocaux spatiaux qui les abritent.

Après l’enfantement, épuisée par cet ultime effort, la mère meurt. Oui, la mer meurt, comme Lammermoor. Et pour les malheureux qui sont restés sur elle, c’est la fin du monde. En tout cas la fin d’un monde, le leur. C’est tout ce qui compte de leur point de vue. Sauf qu’ils n’ont plus de vue ni de point ni de vie ni rien.

Germes de Terres Nouvelles, les écailles rondes s’isolent dans leur monde tout neuf. Chacune d’elles reproduit à l’identique la géographie terrestre. Mais pas la pollution. Pas les déprédations. Pas les ravages, les pillages, les razzias, les carnages, les cataclysmes, les catastrophes, les raz de marée, les inondations, les incendies, les pandémies et ce qui s’en suit. Les espèces éteintes retrouvent la vie, les monstres disparus retrouvent la mort, tous les compteurs sont remis à zéro et tout est pour le mieux dans les meilleurs des mondes. En attendant que ça se gâte… 

Certaines écailles ont tôt fait de retomber dans les manies moches émanant de Terre Mère. Et ça se gâte plus vite qu’ailleurs. D’autres hologrammes inventent de beaux principes, encouragent de nobles comportements, cultivent d’admirables vertus, exaltent de prodigieux talents, mais l’entropie aidant, ça finit toujours pas se gâter. C’est juste plus ou moins rapide.

Karma ? Karmapa ?

Il m’a semblé que rien de vraiment neuf ne peut éclore de cette façon, tant les vivants sont attachés à leurs habitudes. Ils trimballent leurs manies, leurs tics et leurs tocs de vie en vie, inlassablement recommençant les mêmes âneries, les mêmes momeries, les mêmes conneries, c’est juste vertigineux. Dire que ça peut se prolonger sur des centaines de vies ! Passera ? Passera pas ? Des centaines de milliers, des millions, des milliards de vies. Tu parles, Charles. Sombre dimanche.

« Si vous saviez combien de fois la fin du monde nous a frôlés« . Non, pas frôlés. Décimés. Cassés. Oui. Démolis. Dans le même temps, aussi souvent, l’aube se lève sur un autre monde. Tant de mondes tout neufs pour y vivre autrement.

 

Je sais que j’ai raison. Et tous les autres ont tort.
Bernard Werber