L’hérésie de Simon

 

Simon de Samarie, qu’on appelle le Magicien, est un personnage historique, en tout cas plus historique que Jésus, dont on peine à trouver trace ailleurs que dans les évangiles. Mais les sources chrétiennes sont défavorables ce Simon-là. Il est vrai que Jésus lui-même ne portait pas les magiciens dans son cœur.

 

Le plus ancien témoignage sur Simon le Magicien se trouve en Ac 8,4-25, qui le présente comme un magicien à succès en Samarie et comme une sorte d’émanation divine, en raison de son identification avec la « Puissance de Dieu » cf. Ac 8,10. Allons bon ! Je m’étais toujours imaginé que la Puissance de Dieu allait à son Fils unique ?! On dirait bien que non… Peut-être bien que Dieu a plusieurs fils ?

Cet épisode présente des faits largement ignorés de nos contemporains, chrétiens ou non. Certes, l’époque de Jésus ne ressemblait guère à la nôtre. Tout change si vite. Comment imaginer qu’en 2000 ans les choses soient restés les mêmes ? Pourtant l’omniprésence de la magie, le succès populaire des faiseurs de miracles sont des caractéristiques que l’on n’attribue pas forcément au premier siècle. Jésus lui-même s’exprime à plusieurs reprises sur cette mode qu’il juge envahissante.

 Jugeait-il que les faiseurs de miracles lui faisaient une concurrence déloyale ? Dans les évangiles apocryphes, Jésus réagit sans ambiguïté sur la question des magiciens. Comme Marie-Madeleine lui parle de leurs exploits qui attirent les foules enthousiastes, Jésus répond : « C’est vrai, il y a aussi ces sorciers de malheur ! » La citation est de mémoire, les mots sont les miens, mais l’idée est de Jésus.

C’est un fait dont on ne tient pas compte, parce que de nos jours les faiseurs de miracles ne courent pas les rues et les places, alors que du temps de Jésus, ils pullulaient. L’apôtre Simon Pierre  –le disciple des origines, premier pape, et le seul directement nommé par Jésus– appartenait lui-même à cette clique. Et c’est bien le plus surprenant. Qui étaient-ils, ces faiseurs de miracles ? Des illusionnistes, des baladins, des faussaires abusant de la crédulité publique ? Ou de véritables mages investis de pouvoirs surnaturels ? Et ces pouvoirs, d’où venaient-ils ? De Dieu ou du diable ? Quoi qu’il en soit, les Actes des Apôtres présentent Simon Pierre comme un champion du miracle. Voici le détail de la ridicule compétition qui l’oppose à Simon de Samarie, roi des magiciens.

 

Simon dans la bible

« Ceux qui avaient été dispersés allaient de lieu en lieu et annonçaient la bonne nouvelle de la parole. Philippe descendit dans la ville de Samarie et y prêcha le Christ. Les foules tout entières étaient attentives à ce que disait Philippe, lorsqu’elles apprirent et virent les signes miraculeux qu’il accomplissait. En effet, des esprits impurs sortaient de beaucoup de démoniaques en poussant de grands cris et beaucoup de paralysés et de boiteux étaient guéris.

Pendant quelque temps, un homme nommé Simon avait pratiqué la sorcellerie dans la ville et étonné tout le peuple de Samarie. Il se vantait d’être quelqu’un de grand, et tout le monde, haut et bas, lui prêta son attention et s’exclama: «Cet homme est appelé à juste titre la Grande Puissance de Dieu.» Ils le suivirent parce qu’il les avait étonnés longtemps avec sa sorcellerie. Mais quand ils eurent cru à Philippe, quand il annonça la bonne nouvelle du royaume de Dieu et du nom de Jésus-Christ, ils furent baptisés, hommes et femmes. Simon lui-même crut et fut baptisé. Et il suivait Philippe partout, étonné des grands signes et des miracles qu’il voyait.

Lorsque les apôtres de Jérusalem apprirent que la Samarie avait accepté la parole de Dieu, ils envoyèrent Pierre et Jean en Samarie. Quand ils arrivèrent, ils prièrent pour que les nouveaux croyants y reçoivent le Saint-Esprit, parce que le Saint-Esprit n’était encore venu sur aucun d’eux; ils avaient simplement été baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent le Saint-Esprit. Lorsque Simon vit que l’Esprit avait été donné à l’imposition des mains des apôtres, il leur offrit de l’argent et dit: « Donne-moi aussi ce pouvoir, afin que tous ceux à qui j’impose la main reçoivent le Saint-Esprit. »

Pierre répondit: « Que ton argent périsse avec toi, parce que tu as cru pouvoir acheter le don de Dieu avec de l’argent! Tu n’as ni part ni partage dans ce don, parce que ton cœur n’est pas juste devant Dieu. Repens-toi de cette méchanceté et prie le Seigneur qu’il te pardonne d’avoir une telle pensée en ton cœur. Car je vois que tu es plein d’amertume et captif du péché. » Simon répondit: « Prie le Seigneur pour moi, afin que rien de ce que tu as dit ne m’arrive. » (source)Actes 8, 4-25

La chute bien-pensante rachète un peu le ridicule de cette course aux clients en Samarie — pays hostile aux Judéens, rappelons-le. Mais finalement, ce qu’il ressort de tout ça c’est : Pierre ou Simon, que le meilleur gagne ! Si les disciples de Jésus sont comparables aux magiciens non-croyants, est-ce que la religion de Jésus vaut mieux que n’importe quelle autre ? Ou que pas de religion du tout ? On se le demande.

 

 

Deuxième apparition de Simon dans les Actes de Pierre. Simon arrive à Rome et il séduit la foule, notamment en volant dans le ciel. Pierre est à Jérusalem quand il voit le Christ lui apparaître, il l’envoie combattre Simon qu’il avait déjà vaincu en Judée. Pierre impressionne d’emblée par les divers prodiges qu’il réalise – il commence par faire parler un chien, rétablit, par la prière, une statue de l’empereur, etc. Leur confrontation a fait le sujet d’un chapiteau roman de la cathédrale d’Autun. (source)d’après R. Gounelle, SBEV / Éd. du Cerf

C’est Jésus qui encourage Pierre à entrer en compétition avec un autre magicien. Tout ça évoque davantage une querelle de bonimenteurs de foire plutôt qu’une confrontation théologique. Voyez le récit détaillé tel qu’il figure aux Actes de Pierre :

« Alors, Simon, se tenant debout sur un lieu élevé et regardant Pierre, se mit à dire : « Pierre, maintenant que je m’élève sous les yeux de tous ces spectateurs, je te le dis : si ton dieu est puissant, lui que les juifs ont mis à mort – et ils vous ont lapidés, vous qu’il avait choisis –, qu’il prouve que la foi en lui est la foi en Dieu, que soit clair maintenant si elle est digne de Dieu. Car moi, en m’élevant, je ferai voir à toute cette foule qui je suis. » Et voilà qu’il s’éleva dans les airs, tout le monde le voyait de tout Rome, élevé au-dessus de ses temples et de ses collines ; les croyants, eux, détournaient les yeux vers Pierre. Et Pierre, à la vue de ce spectacle inouï, cria vers le Seigneur Jésus en disant : « Si tu laisses celui-ci faire ce qu’il a entrepris, alors tous ceux qui ont cru en toi seront scandalisés, et les signes et prodiges que tu leur as accordés par moi ne seront plus dignes de foi. Vite, Seigneur, montre ta grâce : que, tombant des airs, il ressente une extrême faiblesse, qu’il ne meure pas, mais qu’il soit épuisé et se brise la jambe en trois endroits. » Et, tombant des airs, il se brisa la jambe en trois endroits. Alors, on le lapida, puis chacun rentra chez soi, tous désormais ayant foi en Pierre. » (source)Actes de Pierre, 3

Bon, ils ont lapidé l’un pour pouvoir croire en l’autre. Cool la foule. Lapidé, l’escroc. Autre temps, autres mœurs. On se croirait en Arabie heureuse. A propos de bonheur, encore heureux que Pierre s’en soit tiré. Provisoirement, notez bien. A la fin, il mourra crucifié la tête en bas, pour ne pas avoir l’air de copier Jésus. 

« Une autre tradition, non narrative, se met en place dans le cadre de la lutte contre les hérétiques ; elle fait de Simon le père du gnosticisme et de toutes les hérésies. Au IIe s., en effet, un écrit a été attribué à Simon : l’ « Apophasis mégalè », ou « Grande révélation ». Or, les maigres informations conservées sur ce texte révèlent une pensée ésotérique chrétienne qui prend appui sur des sentences bibliques, sur l’ « Odyssée » et sur des philosophes grecs. Bien que certains auteurs attribuent ce texte à un courant gnostique remontant au Simon historique, il paraît plus prudent de s’en tenir à une composition du milieu du IIe s., faisant de Simon le Magicien le révélateur privilégié d’une doctrine secrète. »  (source)R. Gounelle, SBEV / Éd. du Cerf

Mouais. Tout ça sent le réécriture tardive. On en en plein dans un épisode qui pourrait faire basculer toute la doctrine, si l’on se donnait la peine de se représenter ce qu’il signifie vraiment. Mais la doctrine chrétienne ne résiste guère à l’analyse, comme l’explique Spinoza. « La croyance et la doctrine chrétienne sont étranges et farouches à la raison et au jugement de l’homme. Elles sont contraires à toute philosophie et discours de la raison, comme il se voit en tous les articles de la foi, qui ne peuvent être compris ni entendus par entendement humain, tant ils lui semblent impossibles et étranges. L’homme, pour les croire et les recevoir, doit captiver et assujettir sa raison, soumettant son entendement à l’obéissance de la foi, dit saint Paul ; que s’il veut consulter et ouïr la philosophie, et mesurer les choses au compas de la raison, il quittera tout et s’en moquera comme d’une folie. » (source)L’esprit de Spinoza, Traité des trois imposteurs, Moïse, Jésus, Mahomet, p.176

D’ailleurs, pourquoi s’acharner sur la religion de Jésus ? Comme si les religions ne se valaient pas toutes… Chacune a sa part de vérité et ses trente-six parts d’erreur. Chacune repose sur 90% d’inventions, et les 10 % qui restent ne valent pas tripette. Posez-vous les bonnes questions : comment tant de fidèles y croient encore dur comme fer dans la plaie, dur comme la torture, dur comme la haine, dur comme l’exclusion, l’excision, l’excommunication… Il vaut mieux que Jésus n’ait pas existé, ça lui aurait fait trop mal de voir ça.

 

 

Ainsi donc

Chacun ses croyances, et les vaches sacrées seront bien gardées. Nos ancêtres ont tout gobé. Ils ont avalé des couleuvres avec l’aisance d’un charmeur de serpents. Pendant des siècles, tous ces textes sont restés enfermés dans des bibliothèques strictement protégées par le Saint Siège. N’oublions pas que jusqu’à l’invention de la typographie vers 1440, tous les écrits étaient recopiés par des copistes. Des moines, le plus souvent.  Ils recopiaient dans leur couvent ce que le supérieur leur disait de recopier, omettant et ajoutant ce qu’il leur indiquait. Le contrôle de l’église catholique a été quasi total pendant deux millénaires.

Une foule d’anecdotes bidons, pleines d’erreurs et d’anachronismes, a été ajouté par les copistes. C’était compter sans le web, sans la diffusion planétaire de tous les textes jadis inaccessibles. Et de rectifier le tir.

Je suis mythologue et philosophe. En ami de la sagesse, je porte sur toutes les mythologies un regard critique : est-ce vrai ? Est-ce déformé ? Est-ce exagéré ? Pour quelles raisons ? Mon travail n’a d’autre but que de regarder en face la vérité — si une telle chose existe ! — avec un œil critique et l’esprit débarrassé de tout a-priori. C’est pour cette raison que vous êtes nombreux à me lire. Vous savez que vos convictions vous appartiennent. Elles vous aident à vivre, loin de moi l’idée de les dynamiter, du grec ancien dunamos, qui veut dire ange.

Que ceci n’empêchent pas les croyants de croire, ni les incrédules de ne pas croire. Toutes les croyances sont infiniment respectables, bien que je préfère m’aligner sur l’éternel principe d’incertitude, choisissant de croire sans y croire.

 

 

 

 

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.
Friedrich Nietzsche