Voici venir le Bateleur

On me demande souvent d’expliquer les arcanes majeures dans la lecture de Jean-Claude Flornoy. Je l’ai fait déjà, on dirait que ça ne suffit pas. Mon exposé manque de clarté, se plaint-on. C’est vrai qu’il est succinct. Comme je cherchais un angle d’attaque plus pertinent, plus direct, en un mot plus humain, il m’est venu une idée.

Je vais commenter chaque arcane majeur avec une étape de ma propre vie. À commencer par Le Bateleur, bien sûr. N’y voyez pas une manifestation d’ego insupportable, c’est tout simplement que je suis bien placé pour me connaître. J’ai accès à toute ma ligne de vie, il m’est donc plus facile de me mettre en scène. Tant pis pour ma pudeur et ma modestie légendaires.

Ma naissance s’est bien passée, merci. Mais à peine mis au monde, c’est la douleur qui m’accueille. Le nouveau-né souffre de tout. La mise en route du corps physique, de sa tuyauterie et de son câblage, autant d’occasions d’éprouver les pires souffrances. L’esprit n’en connaît pas de pareilles avant de s’incarner.

Tous les possibles sont sur la table. Disposés devant moi, comme sur l’étal d’un bateleur de foire, différents objets représentent un aperçu de ma vie future. Rien n’est joué, je n’ai pas choisi ce qui m’attend. Dans ce monde, je n’ai encore fait qu’un seul choix, capital celui-là. J’ai choisi le corps dans lequel mon fœtus s’est incarné. J’ai choisi ma mère et mon père.

Quand je n’étais encore qu’un esprit planant dans l’astral infini, j’ai vu briller une lueur sur la Terre. Un couple faisait l’amour, et la lumière de leur union m’a hypnotisé comme la chandelle attire le papillon. Je ne m’y suis pas brûlé les ailes cependant. J’aimais déjà tendrement cet homme et cette femme qui s’aimaient. Quand le spermatozoïde a pénétré l’ovule, je me suis senti aspiré vers l’utérus, j’ai parcouru l’irrésistible spirale descendante de l’incarnation et je me suis fait chair. Choc terrible ! Perte de repères. Et de remèrespère et mère, naturellement ?

La vie intra-utérine est une existence à part entière. Avec ses peurs, ses joies, ses souffrances et son déclin : la naissance, qui est la mort du fœtus. Après, il devient petit d’homme. C’est très différent.

Dès mon incarnation, dès ma conception, j’étais conscient. Pendant toute la durée de la vie intra-utérine, je sentais ce qui se passait, non avec mes sens physiques, plutôt par transmission directe. Pourtant j’ai le net souvenir de la voix de Maman dont les vibrations me parvenaient à travers le liquide amniotique.

Et ça, c’est un son perçu par l’oreille, donc par un sens physique, me direz-vous. Pas forcément. Quand j’ai fait ma première sortie de corps consciente à l’âge de 12 ans, j’entendais tous les bruits de la campagne et de la mer. Pourtant mes oreilles étaient restées 15 mètres plus bas, avec le reste de mon corps physique. En astral, on voit tout, on entend tout, on perçoit tout. On peut donc se passer de nos sens grossiers pour accomplir cet exploit. L’esprit peut tout, ses pouvoirs sont infinis.

Le besoin fait naître de nouveaux organes de perceptions. Homme, accrois donc ton besoin afin de pouvoir accroître ta perception.

Rumi

Après la naissance, alors que l’enfançon que je suis n’est pas encore familiarisé avec ses sensations nouvelles, le souvenir de l’entre-vies est encore dans ma tête. D’où le chapeau du Bateleur qui évoque le symbole de l’infini, un 8 couché. L’Esprit est dans ma tête. Je suis connecté à l’infini. J’embrasse les mondes, les états d’être, les modes vitaux. Seul problème : ce foutu corps me fait mal à hurler. Je hurle.

La faim aussi est une souffrance. L’enfançon la ressent comme un puissant tiraillement stomacal, qui fait encore plus peur qu’il ne fait mal. Souffrance physique permanente. Tous les rapports que je peux avoir avec le monde physique sont empreints de lourdeur, nimbés d’angoisse et causes de douleur.

Pourtant cette souffrance physique, aussi aiguë soit-elle, n’est qu’un intermède au cœur d’une béatitude extrême : l’enfançon est relié au cosmos, il nage dans le Grand Tout comme un poisson dans l’eau. L’épreuve de la naissance en est surtout une pour la mère. Le fœtus s’en tire plutôt bien. Il a connu tant de souffrances intra-utérines, sa libération est ressentie comme un soulagement la plupart du temps. J’ai audité de nombreux candidats à l’éveil quand je pratiquais les transes profondes de l’arcane XIII, les petits mystères d’Isis. Jamais je n’ai rencontré d’engramme lié à la naissance. Par contre, j’ai connu plusieurs cas d’engramme pré-natal.

I – LE BATELEUR

Revenons aux possibles sur la table devant moi. Tous ces objets ne sont pas identifiables, chacun s’y essaiera. Les reconnaître tous n’a pas une telle importance. Qui vivra verra. Dans la toute petite enfance, la vie future se fond avec le présent. On sait qu’on est petit, on n’a pas pleinement conscience de soi à la façon d’un enfant de 4 ans, encore moins à celle d’un ado ou d’un adulte. Tous ces futurs possibles sont également riants, également attirants. L’heure du choix n’a pas sonnée. Une formation est nécessaire.
L’apprentissage du corps physique est la première étape. Elle sera confiée à une éducatrice posée, réputée sage : la grand’mère. C’était la pratique au 17e siècle, quand ce chemin de vie fut dessiné. 
Nous verrons pourquoi il en était ainsi dans l’arcane suivante, II – LA PAPESSE. Le tour de la mère viendra plus tard, avec l’arcane III L’IMPÉRATRICE. En attendant, l’enfançon s’exerce à découvrir cet étroit plan de réalité qu’on appelle le monde physique.
Pour le tout-petit, ce serait plutôt le monde de la souffrance et de la contrainte.

Je voudrais reproduire ici les paroles d’une chanson que j’ai composéej’en ai fait des centaines ! il y a une vingtaine d’années, et qui illustre bien cette phase de vie intérieure.

Le Pays du Dedans

À l’enfant qui s’avance au Pays du Dedans
Je dédie ce chant
La douleur qui commence à la première dent
C’est déjà Dedans

Habitants de l’azur, invisibles amis,
Priez pour lui !
Soutenez ses efforts, illuminez ses nuits,
Ainsi soit-il !

Toi qui marches et qui pleures et qui saignes du cœur
N’aie donc pas peur
Chaque pas, chaque pleur, chaque jour de douleur
A l’odeur des fleurs

Tu verras des automnes et des hivers glorieux
Des étés radieux
Tu verras des printemps illuminant des cieux
Toujours plus bleus

Le soleil qui se lève aujourd’hui de l’orient
N’est qu’un enfant
Qui fit ses premiers pas dans le jardin des grands
Il y a cent mille ans

Je peux mourir demain, dans une heure ; à l’instant
Je suis vivant
La planète est petite mais le monde est si grand
Vu du dedans

Évidemment la musique manque. Un jour, sans doute, je mettrais en ligne sur Youtube quelques-unes de mes chansons. Mes garçons le réclament, pour le jour où je ne serai plus. Je n’écris pas la musique, quand je serai parti ils n’auront plus trace de ces chansons qui ont bercé leur enfance. Et puis, qui sait ? ça en intéressera peut-être d’autres.

Le Bas te leurre

Tard haut doit nécessairement s’opposer à tôt bas. Tôt comme le Bateleur qui s’incarne à peine. Il a devant lui toute sa vie humaine, peut-être la première sur terre, mais peut-être pas. Tôt bas, ou bateau. Ce bateau de la vie qui vogue sur un long fleuve tranquille, ou sur un torrent déchaîné. Ça dépend des moments.
Il tient à la main une baguette magique. Sa main gauche est magique : elle semble avoir deux pouces ! Sa main droite tient un écu. Il y en a d’autres sur la table. Fait-il quelque tour de passe-passe afin d’escamoter les écus des badauds ?

La maîtrise de l’argent ne viendra qu’avec sa deuxième initiatrice, sa mère à l’arcane III L’IMPÉRATRICE. Patience, joli bateleur. Le bas te leurre. Le bas de laine où l’on range ses écus. Ne fais pas confiance à l’argent que tu ramasses, avec la chance du débutant. Cet or-là ne vaut rien à côté de l’or intérieur. 

Voyez entre ses pieds la curieuse plante jaune poilue. On peut aussi la voir comme une fente jaune dans la toile de fond blanc. Et cette fente évoque assez bien une vulve. Le bateleur tient en main gauche une baguette phallique pour garnir cette vulve ? Oui, on peut le croire.

Je vois tout autre chose. Regardez les collines couleur chair sur lesquels il se tient avec sa table. On dirait un ventre de femme enceinte avec ses deux cuisses de part et d’autre. En ce cas la vulve serait celle qu’il vient de franchir. La vulve maternelle qui est la porte d’entrée dans notre monde.

Il faut faire le parallèle entre ce jeune bateleur nouveau-né qui se tient debout sur le ventre maternel encore gonflé, et le jeune enfant debout ou assis sur les genoux des vierges noires. Elles sont les mères de l’humanité, les accoucheuses de l’éveil, elles sont l’Isis qui donne la Vie et l’Esprit.

Seul le tarot Dodal est à ce point explicite, c’est pourquoi je l’ai choisi pour illustrer les arcanes de ma propre vie. Si on reprend le jeu de mots « le bas te leurre », qu’y a-t-il en bas ? Une vulve. Un sexe féminin. Et ses deux premiers initiateurs seront des initiatrices…

Maintenant on peut aussi l’écrire « le bât te leurre. » Comme dans l’expression : « le bât blesse ». L’expression apparaît dès le milieu du XVe siècle en référence aux bâts que l’on posait sur le dos des mulets pour y arrimer des charges. Ainsi, les bêtes dont le bât était mal fixé ou trop chargé avaient des plaies qui les faisaient souffrir.

En ce cas, le bât qui cause la souffrance serait ce corps physique encore indompté. Et ce corps te leurre, t’abuse, te merline, car il te fait croire qu’il est toi, alors que tu es bien davantage que cet océan de souffrance. Les joies physiques sont encore absentes. Elles viendront vite, dès la première tétée.

Ou on peut l’écrire en anglais : « battle her ». Ou encore « battre l’heure » « batte eux leur »… Pas de censure. Tous les jeux de mots sont les bienvenus quand ils accouchent d’un sens profond. L’émergence du sens sacré justifie toutes les recherches. Rien n’est inutile, rien n’est innocent, rien n’est à exclure des interprétations qu’on peut en faire. Il y a le texte, il y a l’image. Quoi d’autre ? Il y a aussi le code-point, l’indéchiffrable code secret sur lequel travaille mon amie Noémie, un secret qui tôt ou tard devra révéler sa profondeur.

 

Les choses ne prennent que l’importance qu’on leur donne, et les gens ne prennent que celle qu’ils nous volent. 
Friedrich Nietzsche