Le Roi du Monde

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Au siècle dernier, un curieux bonhomme se fait passer pour le monarque secret d’un royaume d’élus dans de vastes cavernes sous l’Himalaya. Le plus étrange, c’est qu’on l’a cru.

« Cet homme est-il un dieu ou un imposteur ? Le prince Omar Cherenzi Lind, multi-milliardaire épicurien, se prétend maître d’un royaume souterrain et sauveur du monde. » Sous ce titre alléchant, le magazine Point de VuePoint de Vue – Images du Monde, n°140, 20 nov. 1947 a commenté la visite en France du Roi du Monde ou Maha Chohan.

 Le Maha Chohan se présente comme le nouveau Kut-Humi, big-boss de l’Agartha, ainsi que, pourquoi pas, le patron de la Grande Fraternité Blanche Universelle, qui veut sauver le monde. « Ma première entrevue avec lui me laissa sous le charme : ses paroles étaient logiques et sages. Dans sa Delage, il était encadré de deux nouvelles adeptes qui, en quelques heures, avaient su se rendre indispensables. C’est un homme de quarante-cinq ans au type européen : on le croirait belge.La vanne qui tue«  (source)Point de Vue n°140, 20 nov. 1947

L’entretien nous apprend que le Roi du Monde est né à Darjeelingcomme le bon thé …divine en 1902, quand la ville était encore tibétaine. Il se prétend le descendant direct de Gengis Khan et montre au journaliste la chevalière en or qu’il porte à l’annulaire gauche. « Cette bague me vient de lui » dit-il en tirant sur un coûteux havane. Il se prétend aussi la réincarnation du Kut-Humiune autre invention de Blavatsky ? qui fonda la société théosophique au XIXe siècle. Quand on lui demande qui lui a donné sa couronne, entre deux bouffées de havane,  il répond ceci :

« Le titre de Maha Chohan m’a été donné par le grand conseil de l’Agartha, c’est à dire l’ensemble des Sages et des grands Instructeurs dont le siège est au Tibet. Mais les Sages habitent le monde entier. Il y en a à Paris, et l’Europe compte environ 4000 initiés à divers degrés. En Amérique, il y en a beaucoup plus. Il y a trois occidentaux actuellementEn 1947 dans l’Agartha, dont un Français. » Il est possible, ajoute le journaliste, que ce dernier soit M. Alain Daniélou l’indianiste français initié au shivaïsme.

Quand l’entretien arrive sur la réalité du monde souterrain décrit par Oussendowski, le Roi du Monde est catégorique. « Il existe véritablement un royaume souterrain au Tibet. Presque tous les monastères sont reliés par d’immenses galeries qui atteignent jusqu’à 800 km de longueur. Ces galeries donnent dans des cavernes si grandes que Notre-Dame de Paris y logerait à l’aise. Des êtres humains y habitent et aussi des Jinas, doués d’une grande intelligence mais qui n’ont pas de corps physique. » De purs esprits ?

 

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Notre maître à tous poursuit sans se décourager : « Les Jinas habitent les entrailles de la terre et ne remontent jamais à la surface du globe. Ce sont les gnomes et les lutins de nos légendes : des esprits mauvais, mais moins mauvais cependant que les hommes, car il n’y a pas pire qu’eux. » Moins mauvais que nous ? D’accord, ils doivent être un peu au-dessus de nous dans la hiérarchie invisible. Donc, par l’effet de l’évolution spirituelle, nous devrions un jour accéder à leur niveau ?

Eh bien pas du tout, puisque le Roi du Monde ajoute : « Ils deviendront des hommes plus tard en évoluant ». Notre surhomme n’en est pas à une contradiction près. Il décrit les Jinas comme immatériels mais matériels, comme supérieurs puis inférieurs aux hommes. Il dit d’eux qu’ils sont « les gnomes et les lutins de nos légendes » et ajoute qu’ils ne sortent jamais du monde souterrain. Chez moi, en Bretagne, les lutins viennent sur terre, même un enfant sait ça. Ce prince fada raconte vraiment n’importe quoi.

Dans la religion jaïniste, les Jinas sont des esprits tutélaires, qu’il convient d’honorer pour les Jaïns Svetambara. Les Jinas prennent parfois une apparence humaine, sans griffes ni ailes de chauves-souris ; on a reconnu les Djinns du Moyen-Orient. La prononciation, d’ailleurs, est la même. Et le comportement de ces esprits, aussi. Comme on le sait, le djinn peut être un allié ou un adversaire, c’est pourquoi il est nécessaire de se concilier ses bonnes grâces par des rituels appropriés. En bon français, on les nomment des génies.

Ce sont les mêmes. Jinas, djinns, ou génies, ils sont les alliés du nagual. Bref, le journaliste parvient à démasquer le roi des mythos qui disparaît en Amérique, tandis que son disciple, un certain Aïvanhov,Eh oui, celui-là même qui a fini gourou va en prison pour abus de confiance, mais sera innocenté peu après. Cette anecdote montre bien comment une invention littéraire peut devenir une vérité occulte en peu d’années. Et comment, en matière d’occultisme surtout, la plus grande prudence est de mise. 

En suivant toujours la règle d’or : croire sans y croire

  

De telles gens il est beaucoup Qui prendraient Vaugirard pour Rome Et qui, caquetant au plus dru Parlent de tout et n’ont rien vu.

Jean de La Fontaine

 

Mais dans ce cas, la farce est trop énorme, difficile d’y croire. Jugez plutôt : un milliardaire belge qui se prétend le Roi du Monde, retranché avec toute sa cour de savants et de génies sous l’Himalaya dans son Royaume secret de l’Agartha. Eh bien pas du tout ! La farce est si énorme que tout le monde y croit. S’ensuivent des aventures rocambolesques où la fausse spiritualité côtoie l’asile et même la prison. 

Ne vous dites surtout pas que de telles péripéties sont impossibles de nos jours. Le côté vieillot de celle-ci peut abuser les plus jeunes internautes, mais l’enjeu ici est d’importance. Je dis qu’il y a encore de nos jours un maître du monde, qui dirige d’une poigne de fer sa clique de crétins tout-puissants. Le résultat de leurs ravages est sous nos yeux, étalé, bien visible. D’où l’on peut conclure que le maître du monde et ses tristes sires ne sont pas forcément cachés sous d’inaccessibles montagnes.

 

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Un jour, le Diable vint sur terre, a chanté un millionnaire belge que je tenais pour le roi du monde. Il est parti mais le diable est resté.

Il faut exercer sa méfiance à bon escient, et savoir ouvrir en grand les volets de son coeur dans tous les autres cas. Pas fastoche ? Si la vie était fastoche, ça se saurait. Le roi du monde est une crapule, sinon le monde irait mieux. Le roi du monde est sans doute un autre nom pour Satan, qui vient de l’Akkadien saddam, ou satam, l’administrateur. Pour les Sumériens, Enlil, frère d’Enki notre créateur, était l’administrateur de cette planète, le Saddam. C’est pourquoi en Irak, le prénom Saddam n’est pas péjoratif.

Ainsi, cette histoire de roi du monde aurait des racines orientales très anciennes. C’est en tout cas ce que soutient René Guénon, qui semble subjugué par la thèse d’Ossendowski. Dans l’esprit de Guénon, les échos de la Tradition primordiale, bien que voilés, n’ont jamais cessé tout à fait : ils ont été en effet préservés au sein de l’Agarttha, mythique cité invisible où réside le Roi du Monde. Thèse qui fit hurler les chrétiens, et d’abord Jacques Maritain, pour qui le Roi du Monde, bien sûr, ne peut être que le Diable. 

Aïe aïe aïe ! ça dérape ! Chaque fois que les philosophes se mêlent de politique ou de religion, ils ne font plus ni l’un ni l’autre.

La philo, on le sait, n’est pas miscible dans l’eau croupie des bénitiers, qu’ils soient religieux ou politiques – or ils sont souvent les deux. Nietzsche a sur ce sujet des mots durs, tranchants et dépourvus de toute ambiguïté. Il nous conseille de laisser la politique dans les ordures qu’elle génére à coup sûr. Mais revenons à cet affrontement entre penseurs, comme on dit.

 

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« Que la terre pût posséder un Roi du Monde, ou plutôt un Prince, tout nous le confirme puisque nous trouvons sa noire présence à tous les moments de la Révélation. Mais que cet irréductible adversaire de l’Eternel selon l’Ecriture, soit pourvu des attributs sacrés de la dignité sacerdotale, est une autre affaire, et c’est par l’effet de sortilèges maléfiques que Guénon, profondément désorienté spirituellement, souhaita lui conférer un tel degré de reconnaissance sur le plan traditionnel. » (source)Jacques Maritain, philosophe chrétien disciple de Bergson 

Jacques Maritain, catholique converti, détestait Guénon qui, lui, s’était converti à l’Islam. S’orientaliser n’est pas se désorienter. 

Faisant preuve de bien peu de compassion chrétienne, Maritain définit la « pseudo-connaissance ésotérique » de Guénon comme « un spécieux mirage qui mène la raison à l’absurde, et l’âme à la seconde mort ! » Autre époque, autres moeurs.

Les débats actuels sur le sujet sont moins enflammés ; pourtant, la notion de Roi du Monde mérite mieux qu’un hommage à la Tradition. La mondialisation va bientôt lui rendre son actualité. La recherche du point omega, ce futur point d’équilibre qui va favoriser la bascule de la conscience planétaire, nous y amènera forcément. En un mot, le débat sur un Roi du Monde prépare demain. Très vite, les tendances altermondialistes vont passer de l’utopie à la réalité, puis de l’évidence à l’urgence. 

L’unité est l’enjeu de ce siècle. A force de dialogue, de réunions et d’organisations internationales, les nations vont se rapprocher et fusionner comme le font déjà les sociétés multinationales.

L’Europe aura son président, l’Afrique aussi, l’Asie fera son unité, les Amériques aussi, et tôt ou tard la question va se poser d’un gouvernement mondial. Alors l’éventualité d’un Roi du Monde fera la une des gazettes.

Sera-t-il élu au suffrage universel international par la voie du web ? Unis sur terre, nous pourrons rejoindre la civilisation galactique. A moins que nous retrouvions soudain la mémoire avec l’amour de notre mère, Gaïa la Terre. Mais en attendant, pour l’amour de Nietzschegardons-nous de la politique 😉

 

L’Orient désigne le monde spirituel où se lève le pur soleil intelligible, et les Orientaux ceux dont la demeure intérieure reçoit les feux de cette éternelle aurore.

Henri Corbin

 

Le souvenir des faits extérieurs de ma vie s’est, pour la plus grande part, estompé dans mon esprit ou a disparu. Mais les rencontres avec l’autre réalité, la collision avec l’inconscient, se sont imprégnées de façon indélébile dans ma mémoire. Il y avait toujours là abondance et richesse. Tout le reste passe à l’arrière-plan.
Carl Gustav Jung