Nietzsche le Surhomme

Demain sera le jour du Surhomme, a prédit Nietzsche. Il a vu juste. C’était il y a belle lurette. La Surfemme est déjà parmi nous. Pour en arriver à cette hypothèse du Surhomme futur, Nietzsche a dû se débarrasser d’une autre hypothèse, selon lui fort embarrassante, l’hypothèse de Dieu.

Dans le climat positiviste de la fin du 19e siècle, Dieu semblait incongru. Autrefois nécessaire pour expliquer le monde, le recours à un Créateur était devenu contingent, voire dangereux. Le Dieu de la Bible et des autres religions se prétend l’auteur de tout ce qui est, l’homme inclus. Pour Nietzsche et ses contemporains, ces prémisses sont inacceptables. L’homme se suffit à lui-même.

Reconnaître qu’un Dieu nous a créé, qu’il a des plans sur nous, que nous sommes des rouages nécessaires dans un ensemble qui nous dépasse  – voilà ce que Nietzsche ne peut admettre. Nous sommes libres : que Dieu nous aime ou pas, il ne peut nous assigner aucun but.

 

RichardWagner-StefKervor-200poNietzsche se fait de l’Homme une idée trop haute pour subordonner son âme à qui que ce soit, Dieu ni diable. Un élan wagnérien auquel répond sa passion de la démesure, l’hubris des Grecs antiques. Tuer Dieu pour accoucher de l’Homme, haute est la marche. « Les catégories de l’être ne peuvent plus être ramenées à une cause première », écrit-il. Que tu sois grand, brun, noir ou jaune ne dépend pas du choix d’un autre que toi.

Toutes ces choses ne sont pas le fruit du hasard. Il n’y a personne là-haut qui tire les ficelles de la marionnette que tu es, nous dit Nietzsche.

Grisante liberté qui pourrait nous amener à tous les excès, toutes les outrances de l’hubris. Sans la carotte du Bon Dieu et le bâton du Diable, plus de morale.

Nietzsche a vu cette béance et s’y est engouffré. La loi morale, corollaire de l’invention de Dieu, est à foutre aux ordures. Dans La généalogie de la morale et surtout dans Par delà le Bien et le Mal, le philosophe laisse une première trace sur les pentes vierges de la Métamorale. Nulle nécessité d’accomplir le Bien plutôt que le Mal, répond Nietzsche au vieux Kant et à sa « loi morale au fond de nos coeurs ». Plus de garde-fou, ça devient du grand hors-piste avec Friedrich qui part en live dans la poudreuse.

« L’idée de « Dieu » fut jusqu’à présent la plus grande objection contre l’existence… » explique-t-il non sans raison. Il aurait pu tout aussi bien dire « la loi morale » à la place de « l’idée de Dieu ». Maintenant qu’il a fait table rase de tous les peine-à-jouir, humains ou divins, que va-t-il faire ? Pas grand-chose. Rien de plus que son oeuvre, libératrice et vénéneuse. Adoptée par les Nazis, dénaturée par Goebbels, la philosophie de l’Übermensch a justifié l’aryanismesupériorité d’une imaginaire race aryenne blanche. A ne pas confondre avec l’arianisme, hérésie médiévale… et la Shoah. L’oeuvre échappe toujours à l’auteur. Nietzsche est une victime colatérale de la Shoah. Il est temps de lui rendre justice. Son surhomme n’a rien de nazi. 

C’est l’éveil d’une conscience planétaire, universelle. C’est la certitude inébranlable que les certitudes ne sont plus inébranlables. C’est la révolution du jasmin, le printemps de Bourges et la fête du slip sous la burqah. Fin d’un cauchemar éveillé. On dormait tous, on ne savait pas. On s’est laissé embobiner. Le surhomme, c’est l’homme que vous êtes, c’est la femme que je suis débarrassée de son but en kit. Plus qu’à poil d’idéal.

Je sais que j’ai raison. Et tous les autres ont tort. (Bernard Werber)

« On ne fait pas d’essai pour atteindre un « idéal d’humanité », un « idéal de bonheur », ou bien un « idéal de moralité », – il est absurde de vouloir faire dévier son être vers un but quelconque. » Pas de but, voilà bien la meilleure façon d’être libre. Pas de programme. Pas de calendrier. Pas de rendez-vous. Pas d’exigence. Pas de contrainte. Holà, c’est un truc à finir SDF ! « Pas du tout, répond Nietzsche d’outre-tombe. Si les nazis l’avait compris, ils n’aurait pas pu m’utiliser ainsi. Mais j’étais mort, et bien décidé à le rester. Donc j’ai laissé faire. Mon heure n’est pas encore venue. » 
On a compris à demi-mot que Friedrich apprécie la mort. Ce qui, en un sens, est rassurant. Puisqu’il semble en verve, poursuivons le papotage. Maintenant que vous êtes mort, vous avez vu Dieu ? Il est avec vous, non ? « Mais non, Dieu n’est pas mort, imbécile, répond Nietzsche. Je n’ai tué que l’idée de Dieu, je n’ai pas tué le vivant. Tout ce qui vit, toi comme moi, tel est Dieu. Par définition, le vivant ne peut pas mourir. » Et il est reparti dans un grand bruit mouillé.

J’étais perplexe. Si Nietzsche est vivant, pourquoi est-il mort ? Le vivant, c’est ce qui meurt. Alors ? Mourir, est-ce vivre encore ?

Peut-être bien, ne répondit personne.

L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé. (Théodore Monod)

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Le besoin fait naître de nouveaux organes de perceptions. Homme, accrois donc ton besoin afin de pouvoir accroître ta perception.
Rumi