La pièce était brillante et bien interprétée. La dernière tirade, drôle à mourir, et le rideau qui tombe à pic. La salle, debout, émit une salve nourrie d’applaudissements qui fit trembler les cintres. Une standing ovation interminable.

Cinq fois les comédiens sont revenus saluer. Au sixième rappel, comme la frénésie du public enflait encore, le jeune premier appela l’auteur, puis le metteur, le décorateur, le régisseur, l’habilleuse, la maquilleuse, l’ouvreuse et le souffleur. Il ne savait plus qui appeler pour rétablir le calme.

Le régisseur pro-actif veut l’aider à s’en sortir. Mais comment ? A cours d’idées, il hurle : Tout le monde en scène ! Les places gratuites du premier rang sont aussitôt noyées sous la ruée de spectateurs hurlants. Suivent quelques instants de rare violence et de frénésie érotique.

Une grosse dame à la robe déchirée s’écrie dans la sono : Tout le monde à poil ! Et les habits se mettent à voler bas. Embrassades, cajoleries, les lionnes en chaleur et les boucs en rut jouissent à bouche-que-veux-tu. Tétons qui dressent, calbuts en liesse au sacrifice de la sainte fesse. Les dards au garde-à-vous ont la goutte au nez. Les minettes aux lèvres humides les contemplent avec gourmandise.

Grattez le vernis d’un civilisé, le sauvage revient au galop. Le vernis ne pèse guère plus que quelques grammes de tissu. Ôtez ces grammes en trop, vous obtenez la perfection. Ces membres, ces jambes, ces fesses, ces dos et ces épaules pétris par des centaines de doigts, de membres, de jambes, de dos, de fesses et de seins font le plus charmant spectacle.

Dans une cage en or suspendue sur la scène, bénissant de ses pieds nus les dizaines de paillards accouplés, trône le paillard divin, idole d’amour et gourou du coït, Son Érection François-Rabelais le Second.

De mauvaises langues (ouh les vilaines !) ont fait courir le bruit que la mode du phallus dénudé qu’il suivait sans faillir était de son invention. C’est faux. Il est vrai que Son Érection a lancé la mode, mais s’il n’a pas été le seul, il n’a pas été non plus le premier.

Tandis que le néo-pape prend son pied sur la foule en délire, une véritable marée humaine fait irruption dans la salle. Face à cette masse de perturbateurs, les bancs sont vidés en un instant. Ce qui fait plaisir.

Un postier en tenue ayant mis l’habit bas pour se livrer aux plus folles étreintes se trouva soudain pris en tenaille par une paire de canailles. Par des attouchements précis, ces dévergondées l’empêchaient de dépêcher son courrier. Le préposé s’est fâché tout rouge, un beau rouge qui tranchait sur le jaune vif de l’uniforme. C’est bien connu, le facteur n’aime pas qu’on le chipote quand il trie.

Marre

Oui, marre. Sale histoire. Fatigué de toute cette mouise épaisse – mouise morale et sociale s’entend, et sentant fort – je m’efforce de regagner mon époque. Vivement loin ! Trop ça craint. Demi-tour en chemin. Je mets le curseur sur 2020.

J’avoue, je suis un voyageur temporel. J’habite ici, en 2020. Mon port d’attache. Mais je me lâche et je me crashe au gré des vents du temps. Pour exercer mon art, pas besoin de machine, de formule magique, de potion, de philtre ou que sais-je ? Rien n’y fait. Ça me prend comme une envie de facteur. Sans crier gare, comme le cheminot.

Je suis là bien tranquille à contempler l’amer convoi dans Sées.61500 L’instant d’après, au lieu de Carrouges,61350 jemevoilà n’importe où. Quoi-quoi-quoi ? J’étais dans l’Orne hier et me voicilà toutailleurs ? 23e siècle ! C’est comme vous voulez. Je n’ai rien demandé. On me balade, on me projette, baudruche temporelle, sac postal de l’astral. Jean Neimar, mais je m’instruis. Et j’en fais profiter mes lecteurs. J’explique.

J’explique

Le 23e siècle a commencé dans une touze globale, pas seulement au théâtre, mais dans la vraie vie – si une telle opposition a encore quelque sens en 2200. Il faut dire que le 22e siècle s’est terminé dans un bain de sang. Horreurs, atrocités, ignominies, tortures, sadisme d’état, terrorisme policier, camps d’extermination, exécutions sommaires à tous les carrefours, il était temps qu’on passe à autre chose.

L’histoire qui se répète nous enseigne qu’il en est toujours ainsi : après le sang vient le sexe, quelle que soit l’époque, quel que soit le pays.

Après toute bataille bien antique, glauque et sanglante, il est d’usage que le guerrier obtienne son repos libidineux en conins conquis. « J’allai nu au lit ; je trouvai des tétons naissants, un conin qui tressaillait. » (source)Nicolas Edme Restif de La Bretonne, L’anti-Justine ou Les délices de l’amour, chapitre VI

Après la Terreur et les têtes qui roulent dans le panier de sciure du bon docteur Guillotin, on vit les Incoyables et les Meveilleuses – toqués de la fesse et fâchés de la lettre r qu’ils avaient bannie de leur language – se livrer aux plus excentriques déshabillés mondains.

Après le Chemin des Dames et la fascinante boucherie de la Marne aux millions de morts et de gueules cassées, on vit l’esprit coquin des années folles, les galipettes fort lestes de l’entre-deux-guerres, entre deux genres, entre deux fesses mais toujours levé du bon pied pour le prendre.

Il semble que le 23e siècle puisse voir un recommencement. Le début de quelque chose de nouveau. Disons récent.  Une page se tourne après l’immonde débauche sans retenue qui a flétri le monde dans les années 2150. Tous les vices, les débauches les plus sales exposées sur la place publique et louées par ceux-là même qu’elles humilient.

La nature humaine me rend d’une perplexité folle. La nature du castor, du gnou ou du polatouche sont infiniment plus faciles à comprendre. La Bible nous montre comment Adam et Eve ont soudain compris qu’ils étaient nus. La Fashion Week nous montre comment l’animal le plus vil se fringue non pour se cacher mais pour le plaisir de se dévêtir et de s’exhiber. Tous les autres se contentent de porter ce que la naissance leur a donné.

Le fait que tant d’intelligence et de capacités soient réunies dans l’animal le plus détestable semble accréditer l’inexistence de Dieu. S’il existe, sa puissance a des limites. Sa jugeotte aussi.

Il est mort le pauvret. Sa triste créature a fini par le tuer. Ce n’est pas une découverte. On le sait qu’il est au ciel. Notre Père qui es aux cieux, prie-t-on. Mon père qui est au ciel, je sais bien qu’il est mort.

Après bien des échecs, bien des vents dans la face, bien des catastrophes qu’il n’a pas vu venir, Dieu a fini par admettre sa totale incompétence. Il a renoncé à sa tante,humour catho à ses œuvres et à ses pompes. Le dieu unique est mort tout seul. De chagrin.

Dieu ait Son âme, et qu’il la garde. L’homme va poursuivre sa carrière en solo.

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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