Tous ceux qui renoncent au chemin montant, sablonneux, malaisé et de tous les côtés au soleil exposé* sont des déserteurs. Ceux qui troquent leur âme immortelle pour de l’or périssable, de l’or dur qui ne dure, tous ceux-là sont des déserteurs. Ceux qui renoncent à leur destinée de héros, eux aussi sont des déserteurs. Et de la pire espèce. *La Fontaine, La mouche du coche

 

Mais celui qui suit n’en est pas un, oh non!

Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.

René Char

 

 

Le déserteur

chanson de Boris Vian

 

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps

Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir

Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens

C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise

Ma décision est prise
Je m’en vais déserter

Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants

Ma mère a tant souffert
Qu’elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers

Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé

Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes

J’irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens

Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir

S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président

Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer

 

Écouter

 
 
 
En 1914-18, le nombre des fusillés pour l’exemple dépasse les 600 sur 2600 condamnations à mort.
 
 

Attention!

Ne vous y méprenez pas. Comme je viens de vous le dire, et comme je le répète car je sens venir la prochaine dernière, la troisième der des ders, l’ultime,
les pacifistes qui refusent de se battre ne sont pas des déserteurs.
 
Les vrais déserteurs sont les gradés qui restent à l’arrière en envoyant les jeunes se faire massacrer en première ligne. « Déserter » la guerre, refuser la discipline meurtrière, s’interdire de tuer quiconque, c’est agir en héros. C’est pour ça qu’on est fusillé.
 
En temps de paix, il y a des dizaines de façons de se comporter en héros. On en est témoin chaque jour. Dénoncer les ignominies, les abus, les injustices, voilà qui est digne et utile aux autres. Lancer des alertes, souligner les incohérences, faire rayonner la loi du cœur, voilà qui fait grandir les auteurs et les victimes.
 
 

Douze « Non »

Je ne suis pas un héros, mes faux pas me collent à la peau.Daniel Balavoine
Je ne suis pas un zéro, je n’ai pas de numéro dans le dos.
Je ne suis pas un sirop, je bois du cidre à l’apéro
Je ne suis pas un taureau, je suis né sous le signe des gémeaux
Je ne suis pas un Pierrot, Colombine est partie trop tôt
Je ne suis pas un tarot, je suis un Mat bien fou comme il faut
Je ne suis pas un poireau, mes carottes sont cuites au fourneau
Je ne suis pas un frérot, mon frangin n’est pas mon poteau
Je ne suis pas un noiraud, j’ai pas la bonne couleur de peau
Je ne suis pas un hobereau, j’y peux rien je suis un prolo
Je ne suis pas un maraud, j’ai pas mon nom dans les journaux
Je ne suis pas un blaireau j’aimerais bien mais je suis trop gros
xs, Hommage à Balavoine, ce héros
 

Écouter

 
 
 
 

Le dormeur du val

 

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, octobre 1870

 

 

Ballade des Pendus

 

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quand de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéçaIl y a longtemps dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Si frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoi que fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis;
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie;du verbe harier : moquer. Exemple: haro sur le baudet !
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis:
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcis.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,qui est notre maître à tous
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
À lui n’avons que faire ni que soudre.résoudre
Hommes, ici n’a point de moquerie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

François Villon, 1489

 

 

Tu n’en reviendras pas

 
Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage, sans yeux
 
On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n’être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur
 
Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un nom d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri
Louis Aragon,
d’après son service hospitalier sur le front en 1918
 
 

Écouter

 
 
 
 
 
 

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

par Louis Aragon, 1955
 
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays
 
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

 
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

 
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.

 
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke
 
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
 
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faÏence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

 
Il est d’autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
 
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus
 

Écouter

 
 
 
 

Déserter la haine

Déserter la haine, bannir l’indifférence, enfanter l’amour, chanter la délivrance, pour qu’un jour qui n’est pas lointain la mort ne soit qu’un changement de lieu. Un passage. Un cap à franchir. Un nouvel éden à conquérir.
 
La peur de la mort n’est pas honorable. Elle témoigne avant tout d’une incompréhension. Si l’on n’est que matière, comme les Archontes, pourrir c’est à jamais. Rien de nous ne peut demeurer quand au cercueil on est couché. Je veux être enterré debout. Et sans la terre, étant donné que je la quitte.
 
Quand l’heure sera venue, non de fuir, mais de grandir encore, il faudra bien que je m’en aille. Il faudra bien mourir. Mais que ce soit de la façon que j’ai choisie. Debout dans ma cuisine, pieds nus sur le carreau, les yeux tournés vers ce qui nous attend, la tête à l’abri des pensées, des idées, des raisons de vivre encore un peu, j’allumerai le feu.
 
Sans briquet. pas besoin d’allumette. Il suffira de monter un peu la chaleur dans mon corps. Monter encore. Il suffira de bloquer mon inspir*. Oui, ne plus respirer!

*Inspir: phase d’inspiration, souvent dans le cadre d’exercices de méditation. « Être davantage présent à ce souffle qui va et vient en moi, c’est être davantage présent à la Vie qui circule, c’est entrer dans le mouvement de la Vie : recevoir à l’inspir, se donner à l’expir, s’abandonner entre l’expir et l’inspir ». (source)Jean-Guilhem Xerri, La vie profonde, éditions du Cerf, Paris, 2021, page 206

 

Bibliothèque de l’âme

 

Image extraite de l’article Les derniers mots de Krishnamurti

 

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin
Tags: forcepaix

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