Dionysos le dieu double

 
 
Dionysos est un dieu fascinant : demi-dieu par sa naissance, mais double dieu par sa deuxième naissance. Parfois considéré par les Grecs comme un dieu d’importation asiatique, Dionysos ressemble à Rama. Comme lui il est allé jusqu’en Inde, pour en revenir comblé de pouvoirs miraculeux, avec toutes les qualités d’un grand chef d’état.
 
Pour moi, Rama comme Dionysos sont de purs produits d’Hyperborée, élevés et entraînés par les dieux en vue d’un destin d’exception. C’est ce que montre la vie de Dionysos. Jeune adulte, il gagne le jack-pot : lui qui était moitié humain, il est accepté parmi les dieux tout-puissants de l’Olympe qui font de lui le deuxième dieu des dieux, successeur direct de Zeus — ou plutôt d’Héra/Hathor, la grande déesse. Empereur du monde comme Rama qui lui ressemble tant, Dionysos a plus d’un tour dans son sac à malices, comme je l’ai montré dans un autre article. Ici on va voir d’autres facettes de ce dieu protéiforme et fascinant : sa naissance et son enfance, au-delà du mythe, ou plutôt des mythes qui divergent et qui se contredisent…
 
Comprenons que les différents récits mythologiques ont été transmis oralement pendant des générations, traduits de langue en langue et déformés par d’interminables lignées de conteurs avant d’être rédigés à de grands intervalles de temps, par des gens qui n’avaient jamais connu les époques dorées qu’ils évoquaient, par des auteurs qui n’avaient pas la plus petite idée de la véritable grandeur technologique et magique des êtres dont ils prétendaient conter l’histoire. C’est ce qui donne à la plupart des mythes un côté croquignolet, trop zarbi pour être honnête. Mais derrière les lézardes de la façade il y a une matière brute qui parle à la profonde mémoire du sensitif  –mais oui, les voyants se reconnaissent entre eux. Mon humble travail de fourmythologue consiste à décrypter ces légendes gauchies par les temps et les gens, pour en faire surgir l’autre histoire de l’humain qui est cachée dedans. C’est ma façon de perpétuer le beau rôle de passeur que j’ai eu l’honneur d’interpréter quinze ans durant. Tout est dedans.
 
 

Naissance de Dionysos

« Dionysos est le seul dieu né d’une mère mortelle. Homère et Hésiode le présentent comme le fils de Zeus et de Sémélé,de quoi elle s’est mêlée ? fille de Cadmos roi de Thèbes et de la muse Harmonie. Enceinte de Zeus qu’elle n’a connu que dans le noir, Sémélé demande à contempler Zeus dans toute sa majesté. Incapable de supporter l’éclat de sa vue divine, Séméléde ce qui la regardait pas tombe morte. Zeus tire alors son fils du ventre de sa mère et, s’entaillant la cuisse, y coud l’enfant pour mener sa gestation à terme (source). » Complètement dégueu. Trop beurk. Parfait exemple de détail trop zarbi pour être honnête, qui révèle toujours un incompris. 
 
Voyons comment cette légende a été déformée. Zeus avait deux façons d’enfanter, par la nature ou par la génétique. Trois façons, même : il engrossait aussi par la puissance de son foudre. Ses enfants naissaient soit de sa cuisse, soit de sa tête, nous enseigne la mythologie. L’interprétation que j’en donne est la suivante. Par pudeur et métaphore, les Grecs utilisaient cuisse, ou nerf de la cuisse pour désigner le phallus.  Les enfants sortis de la cuisse de Jupiter sont les enfants nés de sa semence.  D’autres enfants viennent de sa tête, comme Athéna, « sortie toute armée de son crâne »  (source)Hésiode, Euripide, Homère et autres pirates temporels. Il les a conçu à l’aide de son intelligence, par génie génétique. Athéna est une création in vitro, un rejeton de laboratoire… ce qui n’entache pas son statut divin. Mais il existe une autre version –au moins une !– de la naissance de Dionysos. 
 
« Dans la version orphique du mythe, Dionysos-Zagreus est le fils de Perséphone et Zeus. Héra, jalouse, demande aux Titans de se débarrasser du nouveau-né. Ceux-ci coupent donc Dionysos en morceaux et le font cuire dans une marmite. Athéna ramasse pourtant son cœur et le donne à Zeus qui en féconde ensuite Sémélé. Dans les deux cas, Dionysos connaît deux naissances, ce qui explique l’une de ses épithètes, δίογονος / díogonos, « le deux fois né »  (source). »
 

Dvija

Ces deux naissances font de Dionysos le dieu de la renaissance et de l’éternel recommencement. Par la foudre et par la chair, Dionysos est doublement le fils de Zeus, comme on peut le retrouver dans son nom lui-même : Dyonisos, deux fois né. En français, le prénom René dit la même chose. La deuxième naissance évoque une initiation, celle des grands mystères, qui correspond à l’arcane XVI du Tarot initiatique, LA MAISON-DIEU. Il y a une naissance dans la chair et une naissance dans l’esprit.
 
Connue sous le nom de dvija, la double naissance joue un rôle dominant dans l’hindouïsme : Les « étapes de la vie d’un homme deux-fois-né » sont traitées dans les Lois de Manu. Un membre des castes du Dvija doit subir quatre périodes dans sa vie : d’abord, il sera étudiant Brahmacharya ; puis maître de maison Grihastha ; puis il devrait vivre une retraite Vanaprastha ; et finalement, en tant qu’ascète Samnyasi (source). »
 
La double naissance… Le signe de l’initié. Il y a une vingtaine d’années, des images amusantes ont fait fureur chez les amateurs de 3D. En les regardant d’une certaine façon, on voyait surgir une image en relief qui était totalement invisible. Il fallait loucher d’une certaine façon, les deux yeux se rapprochant l’un de l’autre : strabisme convergent disent les ophtalmos. Le même strabisme permet de voir double, quand on ne regarde pas ces images cachées.
 
Voir double, voir en relief, voir ce qui est caché, tel est la caractéristique secrète de Dionysos. On peut en juger sur l’arcane XII Le Pendu,image ci-contre où le pendu louche de la même façon. Cet homme pendu par les pieds représente Dionysos lui-même, ainsi que je l’explique dans l’article Dionysos fils de Dieu.
 
J’y ai laissé plusieurs énigmes sans explication, ce qui a eu le don d’agacer plus d’un lecteur. Allons, mes bons amis, ne dédaignez pas les énigmes quand on vous les propose. Vous êtes capables de les résoudre par vos propres moyens. Je m’égosille à répéter que je suis un conteur, et pas un maître à penser. Je revendique le droit de me tromper et de me contredire. Soyez sûrs que mon opinion vous importe peu, croyez-moi, elle compte infiniment moins que la vôtre.
 
Mais je suis bon prince, je vous donne une deuxième clé. Le XII du Pendu est à l’envers pour inciter à retourner la carte. En la retournant, on constate que le pendu, après sa mort sur l’arbre comme Mithra, monte au ciel  rejoindre son père Zeus. D’où l’impression qu’il est en lévitation, à peine retenu par une cordelette qui ne se noue pas autour de sa cheville mais semble simplement cousue à la semelle de son justaucorps. Il vole, je vous le dis, ce fils de dieu, ce parfait modèle de Jésus ! Et lui, Dionysos, il est descendu aux enfers, et il en est remonté, comme Orphée. Comme Jésus. Les évêques, en inventant son histoire inconnue, ont pris soin d’y mettre tous les ingrédients des dieux d’avant.
 
En attendant, qu’est-ce qu’il louche ! Ça ferait presque peur. Doublement vôtre, avec son œil qui dit merde à l’autre… Tout est double chez lui, dont son don de double vue. Son nom signifie deux fois né, je vous l’ai dit. Mais en langue des Oisons, souvent plus pertinente que la froide étymologie, son nom veut dire autre chose… Deux autres choses, naturellement ! 
 
Tout jeune encore, Dionysos doit se protéger de la jalousie d’Héra. Il est d’abord confié à sa tante, mais Héra poursuit le petit bâtard de sa vindicte, comme si elle craignait que ce rejeton divin ne prenne un jour sa place. On se souvient que le père de Zeus, Cronos, a dévoré ses enfants pour protéger sa couronne. Ça se faisait beaucoup à l’époque.  « Dionysos est alors conduit par Hermès à Nysa, lieu mystérieux que certains assimilent au mont Nyséion en Thrace, d’autres comme Hérodote à une ville de Haute-Egypte. »  Nysa, ville mystérieuse, veut dire aussi : jeune fille et nysos : jeune garçon. Dios est le génitif de Zeus. La langue des Oisons nous donne donc ces deux traductions possibles : « garçon de Zeus » ou « dieu de Nysa »… 
 

Ah là là !

Le double dieu Dionysos est né en 2018 aec, le 25 décembre. Tiens comme le petit Jésus ! Dionysos est donc natif du Capricorne… qui n’est pas un signe double, bizarrement. Solaire : c’est le solstice d’hiver, la bascule de l’année quand le soleil remonte dans l’hémisphère nord. Lunaire : c’est aussi l’affiliation de Dionysos au clan singulier des dieux cornus. Les cornes sont des antennes qui relient le cornu à la transcendance. Les anciens sorciers, les chamanes, le Diable de l’arcane XV, mais aussi Moïse ou Abraham sont représentés avec des cornes. Pour les familiers d’Eden Saga, les cornes font penser au dieu cornu par excellence, Ram le Bélier dit Ramos dit Amon-Ra dit Rama… Pour les familiers des sacristies, les cornes sont les attributs du diable, et tout tremblants, pieux comme des piquets, ils font le signe de croix. Croix ce que tu veux, c’est ça qu’est ça. Toute nouvelle religion impose son nouveau dieu et diabolise le dieu d’avant
 
Dionysos est-il Rama lui-même ou un membre de son armée ? Un général, un sorcier, un proche conseiller du grand empereur aux cornes de bélierPour échapper à Héra, Dionysos est transformé en chevreau (source). Le chevreau est le petit du bouc, non du bélier. Et après ? Dionysos est aussi appelé le mouton et l’agneau de Dieu, tout comme Jésus deux mille ans après. L’agneau c’est Lamb, ou Lam, ou Lama, nom que prit Rama quand il se retira pour méditer dans un temple himalayen des environs de Lhassa, au Tibet.
 
Lama fils de Rama ? Si Dionysos est vraiment le fils de Rama, ça veut tout simplement dire que Rama est Zeus, Yahveh, le Bon Dieu himself! Nom de Lui! Sans déconner, j’hallucine!… Haré Rama, Haré Rama, Rama Rama, Haré Ram !!! chantent les hommes étranges dans leurs déshabillés oranges.
 
 
 
 Rama me trouble, Rama n’est pas double, il est triple, il est multiple, il est tout, il est partout.  <3
 

Ainsi donc

Chacun ses croyances, et les vaches sacrées seront bien gardées. Nous ancêtres ont tout gobé. Ils ont avalé des couleuvres avec l’aisance d’un charmeur de serpents. C’était compter sans le web, sans la diffusion planétaire de tous les textes jadis enfermés dans des bibliothèques strictement protégées par le Saint Siège. N’oublions pas que jusqu’à l’invention de la typographie vers 1440, tous les écrits étaient recopiés par des copistes. Des moines, le plus souvent.  Ils recopiaient dans leur couvent ce que le supérieur leur disait de recopier, omettant et ajoutant ce qu’il leur indiquait. Le contrôle de l’église catholique a été quasi total pendant tout ce temps.

Une foule d’anecdotes bidons, pleines d’erreurs et d’anachronismes, a été ajouté par les copistes. Que ceci n’empêchent pas les croyants de croire, ni les incrédules de ne pas croire. Je suis mythologue, je porte sur toutes les mythologies un regard critique : est-ce vrai ? Est-ce déformé ? Est-ce exagéré ? Pour quelles raisons ? Mon travail n’a d’autre but que de regarder en face la vérité — si une telle chose existe ! — avec un œil critique et l’esprit débarrassé de tout a-priori. C’est pour cette raison que vous êtes nombreux à me lire. Vous savez que vos convictions vous appartiennent. Elles vous aident à vivre, loin de moi l’idée de les dynamiter, du grec ancien dunamos, qui veut dire ange.

Toutes les croyances sont infiniment respectables, bien que je préfère m’aligner sur l’éternel principe d’incertitude, il est bon de croire sans y croire.

 

 
West Kennet Long Barrow distille un charme puissant, palpable. A chacun de mes voyages à Avebury, je ne manque pas de m’y rendre.
Stéphane Kervor