La fêlure entre les mondes

Faut bourlinguer dans la surface laiteuse d’entre les mondes. Renifler l’émanation toxique qui pourrait te tuer comme une mouche si tu portais encore un corps de chair. Mais on ne va pas entre les mondes avec un corps de chair. Ça ne se fait pas. J’ai jamais entendu parler d’une chose comme ça.

Entrent les mondes. Ça fait rêver. Et c’est fait pour rêver. Ces mots que j’égrène sont le pendant d’autres mots dits plus tôt, postés sous le titre Les mondes branaires. L’entre deux mondes est l’espace vide entre deux branes. Néant commode, voiture sans chauffeur, no-body’s land à jamais fertile, à toujours fermé aux sourds bas de plafond, sans odorat, sans intuition, sans idée, sans notion : des universitaires. Dont le nom se dit : désunis vers Cythère.

Cœur ouvert

Moi je m’balade sur l’avenue, le cœur ouvert à l’inconnu, d’une jambe sur l’autre aux champs élysées de la Voie Lactée, changement d’échelle, ma jambe a la taille d’un amas galactique. Non, tiens, d’un super amas. Un paquet de milliards d’années-lumière, de quoi éclairer les enfers, et la matière noire, et même la sombre conscience d’un savant naze. J’adore me frotter aux comètes, comme des puces de sable sur la plage de mon enfance, à Erquy, France.

L’environnement non existantciel ! est dangereux pour les êtres biologiques. C’est pourquoi y grouillent tant de créatures issues de l’inframonde. Ces étrangetés que Castaneda appelle inorganiques. Qu’on aurait mieux fait de traduire par non-biologiques, en bon français. Ils ne sont pas dangereux, sauf si tu leur dis oui. Ils ne peuvent pas te mentir, toi si. Ils te proposent monts et merveilles, ils sont les princes de la matière. En échange de leurs dons ils te demanderont de rester avec eux.

Si tu dis oui, tu mèneras sur terre une existence de zombi riche et célèbre, tandis que ton âme, ton moi véritable, restera pour toujours enfermé dans les strates inférieures de ce plan, chez les inorganiques de l’inframonde. Ce comportement récurrent est à l’origine de la croyance au pacte avec le diable, au renoncement à son âme en échange de richesses et de pouvoir, et à la signature de la promesse avec son sang

Fumées lourdes aux teintes mordorées, âcre relent d’auberge noire, inhospitalité, désagrément, foutaises ! Le lieu a son charme, qui n’est pas au goût des humains. Je ne suis humain qu’à peine. Et là-bas, pas du tout. Mais je n’ai rien signé. Jamais. Pas si bête !

Entrez les mondes. Entrez mes bons amis. Soyez du nombre. Et demi.

Vista

La science courra toujours derrière la vista du poète. Quand il vit, la science commente. Il hume, le savant fume. Il passe, le savant casse. Quand la science pense, il danse. Isn’t it a Pythie?

La vista du guerrier, du sorcier, du voyant n’a rien à voir avec celle du poète. J’ai les quatre, je peux donc comparer. Laquelle je préfère ? No comment.

La femme en moi aime l’homme en elle et comme je la comprends ! Suis-je davantage la femme en moi ou l’homme en elle ? Elle est moi. Elle et moi. Émoi. Ur fêlure. Dans la faille on est un. On naît teint. On éteint.

C’est en flirtant dans ces confins que je puise les secrets du temps. Ils poussent à foison dans ces zones autonomes. Je vendange et j’engrange. La pluie qui tombe là-bas est d’émotions cristallisées. La non-température les liquéfie. Si j’avais une peau, ces gouttes la brûlerait sans doute. Mais le corps astral n’a pas ces fragilités. Il peut affronter les plus hautes températures, la matière la plus dure et la plus hostile ne l’arrête pas. C’est ainsi qu’il adore traverser les étoiles.

Lorsque tu crois que tu possèdes toutes les réponses, l’univers arrive et te change toutes les questions. (Jorge F. Pinto)

Aimer

Aimez ce que jamais on ne verra deux fois, dit-il, ce fameux poète. Ici, Vigny dans un poème daté.

Alors aimez donc tout ! C’est fou ! On ne voit qu’une seule fois. Jamais la même eau ne passera sous ce pont. Ébloui par le spectaculaire, Vigny occulte la profondeur. L’exceptionnel est à deux pas, qui le verra ? Le banal est dans l’œil de celui qui regarde. L’émerveillement, dans l’œil des enfants qui voient encore. Promesses des fleurs, ils ont l’éclat de l’aube et des vagues dans les yeux.

L’adulte a les yeux dans le vague. Noyé de soucis sangsues, il n’est jamais dans le présent. Ici et maintenant lui est un graal inaccessible. Jamais tu ne verras deux fois la vue que tu as de ta fenêtre. Elle n’est jamais la même, selon l’éclairage, les nuages, l’humeur du moment. Une foule de choses arrivent que tu ne peux plus voir, noyé sous l’écran du déjà-vu. La banalité c’est d’avoir perdu l’extraordinaire dans l’ordinaire.

Tout change, vite ou lentement, peu ou prou, dur ou mou, du tout au tout ou pas beaucoup, en un temps fou ou d’un seul coup, admets-le, tout change. Fais une pause de quelques instants et reviens lire ces mots. Le sens n’est plus le même. Qui a changé ? Le sens ou toi ?

Hors Cadre

Si tu changes aussi vite que le cadre de ta vie, tu n’es qu’à moitié déphasé. Mais bien baisé quand même. C’est ton cadre qui gêne, c’est lui qu’il faut casser, pas ton moral banal. La vie vraie, dûment vécue, fait péter contraintes et carcans. N’attends pas d’avoir 50 ans. Change. Il est temps.

L’existence fait éclater tous les systèmes. (Søeren Kierkegaard)

Le papillon sort du cocon. Ivre du vol, gavé de nectar, il vire, il volte, il virevolte. Survolté il survole un été qui s’envole. Il prend le vent, le vent l’emporte et dans l’air soudain figé il exécute un triple salto pas piqué des vers. Comme tous les siens, c’est un poète. Vois-tu un cadre autour de lui ? En a-t-il envie ou besoin ? Point. Il vit comme il vole. Libre papillon. Le cadre est tiroir, mouroir, étouffoir. Le cadre est barbant. Enrobant. Dérobant.

Le cadre est utile aussi, quand tu cherches ta ligne, quand tu erres devant ton destin. Tant que tu n’es pas devenu celui que tu es, le cadre peut t’aider. C’est un médicament. Un baume. Quand il a rempli sa fonction, le malade est guéri, encore lui faut-il guérir ses effets indésirables. Purger les antibios. Retour au bio.

Peu d’êtres humains aiment faire des investigations et chercher la connaissance. Il est plus facile de croire. (Humbatz Men)

Destin solaire

Difficile de rester solaire sous les grêlons. Solution : garder l’altitude. Se maintenir au-dessus des nuages. Gagner l’entre deux mondes à l’abri des tempêtes. Seul et bête. On n’y brille que pour soi. La chaleur qu’on ne partage pas brûle en pure perte. Supplice est le sourire qu’on ne peut embrasser.

Faut-il hésiter à vivre quand c’est dangereux ? Oui ? Mais vivre est dangereux ! Fallait pas naître. Tout est bon à qui n’attend rien. Qui peut me décevoir ? Mon attente est tournée vers Dieu. Ou d’yeux ? Odieux.

Heureux comme Dieu en France, disait ce vers de mon enfance. Mais lequel ? Tout a changé, hors le goût. Heureux comme un cochon dans la boue. Il se mouille et patouille comme un porc dans la souille. Petit souillon, petit couillon.

La mer au loin

Une fumée se tortille à l’horizon. Elle grossit. C’est la fumée d’un paquebot 1910, un transatlantique. Avec des hommes, des femmes en crinolines. Sur le pont arrière, on joue au palet. Avec des dames, des messieurs en gibus. Beaucoup de grâce, d’élégance et d’ennui poli. On baille derrière une main gantée de beurre frais. Smoking clair, tenue de sport, jodhpur, casual dressing. Du beau linge. Je contemple à loisir. Le grand navire passe à quelques encâblures du cap. Sur la poupe son nom s’étale en lettres d’or. Sainte Catherine. Tout ce qu’on plante prend racine.

L’élue

J’ai douze ans sur la plage. Baignade. Mer calme au couchant. Miroir. Les reflets du soleil qui décline dessinent une flèche de lumière sur la mer droit vers moi. J’appelle ma sœur.

– Tu vois le reflet du soleil ? Est-ce qu’il vient vers toi ou vers moi ?
– Il vient vers moi, me répond-elle, hésitante.
– Tu es sûre ? Vient-il tout droit, ou un peu à côté ?

– Non, non, il vient droit sur moi !
– Bon sang ! lui dis-je. Tu es l’élue !!!!

Elle l’a cru.

Je ne veux pas croire, je veux savoir. (Carl Sagan)

La condition humaine est comme celle des troupeaux qui trottent dans la poussière, conduits à l’abattoir au son du galoubet, par d’interchangeables bergers.
Henri de Monfreid