Dans le système de connaissance de Juan Matus et de Castaneda, « voir » et « regarder » expriment deux façons distinctes de percevoir. Regarder concerne la manière ordinaire de percevoir le monde, tandis que voir évoque un processus complexe par lequel l’homme de connaissance perçoit l’essence des êtres et des choses.
La noirceur du jour est le meilleur moment pour voir. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 30 Voir, c’est le troisième oeil qui perce les apparences. C’est la vision des auras, et non pas le « don de double vue » qui permet à Madame Irma de prédire votre avenir.
Dans le meilleur des cas, Madame Irma perçoit des visions par flash qui lui viennent sans crier gare. Et quand le flash reste éteint, Madame Irma improvise selon les règles non-écrites de la psychologie de comptoir. Et ça marche ! Madame Irma ne sait pas voir. Si elle voyait, elle ne ferait pas ce qu’elle fait. Voir est un acte sacré.
On ne doit rien révéler au consultant qui touche à son avenir, c’est un crime impardonnable. Or Madame Irma le fait tout le temps…
Car voir n’est pas un don, mais le résultat d’un travail sur soi, qui est toujours long et pénible. Certes, des méthodes existaient jadis pour accélérer électriquement ces processus, mais ces techniques extrêmes ne sont plus utilisées par les Nouveaux Voyants.
Ils sont formés à la dure, à l’école de la peur, à surmonter la peur viscérale de l’inconnu, pour acquérir la fluidité et la rapidité intérieure qui seules permettent d’assembler d’autres mondes.
On n’entend que ce qu’on veut entendre, et le reste, on l’oublie. (Paul Simon)
Vaincre la suffisance
Le guerrier d’abord doit mater sa peur. L’attacher, soumise, à ses pieds. Malheureusement, quand vient ce moment de vérité, Castaneda cale. Et sa peur l’emporte. « Tu as été effrayé et tu t’es enfui parce que tu as cru que ta personne était sacrément importante. Croire que l’on est important alourdit, rend maladroit et vain. Pour devenir un homme de connaissance, il faut absolument être léger et fluide. » (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 15 Et pour devenir léger et fluide, il faut traquer sa suffisance. Tuer le sentiment de sa propre importance.
Voir est donc une connaissance bien enviable ?
Pas tant que ça. Comme toute médaille, voir a son revers. « Une fois que l’homme apprend à voir, il se retrouve seul dans le monde avec rien d’autre que de la folie. »(source)Carlos Castaneda, « Voir », p.83
Folie des sages, sagesse des fous. Pour ne pas être seul, l’homme peut choisir d’être vaincu. Rejoindre sereinement le camp des fous, ses frères mineurs. Le fait d’être vaincu est inévitable. On est soit victorieux, soit vaincu, donc bourreau ou victime. Parfois – le plus souvent – on est les deux.
« Voir » chasse l’illusion de la victoire, de la défaite, de la souffrance. » (source)Carlos Castaneda, « Voir », p.137 Voir chasse la maya, diraient les Tibétains.
Un jour, Castaneda demande à son benefactor : « pensez-vous que les Tibétains voient ? – J’en doute. Quand un homme apprend à voir, pas une seule chose ne prédomine parmi toutes celles qu’il connaît. Pas une seule. Si les Tibétains pouvaient voir, ils s’en apercevraient sur le champ. » (source)Carlos Castaneda, « Voir », p.189 Don Juan Matus évoque souvent le danger de voir sans être guerrier. (source)Carlos Castaneda, « Voir », page 208 Voir exige une discipline de fer.
La seule chose pire que d’être aveugle, c’est avoir la vue et pas de vision. (Helen Keller)
Le guerrier et le sorcier
Avoir faim ou souffrir signifie que l’homme s’est laissé aller et qu’il n’est plus un guerrier. Les forces de sa faim et de sa souffrance le détruiront. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 141
Un guerrier ne se laisse aller à rien, même pas à sa mort. Un guerrier n’est jamais un partenaire bénévole. Un guerrier n’est pas disponible. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 176
Un sorcier n’a pas besoin de voir pour être sorcier. Il a seulement besoin de savoir comment faire usage de sa volonté. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 193 Comparé à celui qui voit, le sorcier n’est qu’un pauvre gars. (source) Carlos Castaneda, « Voir », p. 193
Un sorcier n’est guère mieux loti que l’homme moyen. La sorcellerie l’embarrasse, elle le rend vulnérable. Les forces inexplicables et inflexibles qui nous entourent tous (…) constituent pour le sorcier un risque encore plus important. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 208
Un sorcier, en s’ouvrant à la connaissance, devient la proie de ces forces et n’a qu’une seule chose à leur opposer : sa volonté. Donc il doit percevoir et agir comme un guerrier. Sur le chemin de la connaissance, on ne peut survivre qu’en étant un guerrier. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 208
Dans la vie de l’homme de connaissance, il n’y a pas de vide. Tout est rempli à ras bord. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 89
Pour devenir un homme de connaissance, sois un guerrier, pas un gamin pleurnicheur.
Efforce-toi, sans renoncer, sans fléchir, jusqu’à réussir à voir, et te rendre compte que rien n’est important. (source)Carlos Castaneda, « Voir », pp. 89-90
Tout nos actes sont inutiles, et malgré tout nous devons faire comme si nous ne le savions pas. C’est ça la folie contrôlée des sorciers. (source)Carlos Castaneda, « Voir », p. 79
Que peut avoir un homme en dehors de sa vie et de sa mort ? (Carlos Castaneda)