Boileau l’a signé d’un D***, oui, mais c’est le sien. Et c’est le mien aussi. Humblement j’ai mis mes pas dans les pas du grand homme. Ce qu’il appelle art poétique, je l’appelle art du bien dire et bien écrire. Je m’en délecte. Voici ma collecte : des extraits du poème de Nicolas Boileau, suivi de mes commentaires.Comment taire ?
Bonne (re)découverte !
Art poétique
(Premier Chant, extraits)
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain, vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux :
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse :
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Mes commentaires
L’art poétique n’est qu’une partie de l’ouvrage. En son entier, le livre s’appelle Le traité du SUBLIME… Ami Nicolas, c’est toi qui es sublime. Au-delà des limites. Ta prose porte et m’emporte. Ton génie m’éveille et m’émerveille. Là, je te rends justice pour que d’autres te lisent. Et s’en grisent. Et… surprise !
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Ce vers peut signifier plusieurs choses également justes.
Avant de vous lancer dans l’art de l’écriture, assurez-vous que vous maîtrisez déjà la logique, l’art du raisonnement, meilleur ennemi de la naïveté. Dans cet univers prédateur, il est indispensable d’apprendre à penser. Tout le monde croit savoir. Mais rêvasser n’est pas réfléchir. Et réfléchir n’est pas penser.
Mais aussi avant d’écrire une lettre ou un e-mail, pensez-y. Pesez vos termes. Mieux encore, faites un brouillon. On ne s’en sert plus, hélas. Le brouillon évite bien des catastrophes. Laissez vieillir, puis revenez-y. Vous le lirez tout autrement. Combien de fois répond-on trop vite, juste ce qu’il ne fallait pas dire, trop tard ! Le mail est parti. Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler. Tourne sept fois ton crayon dans ton nez avant d’écrire…Tourne sept fois ton clavier dans ton… Non, ça ne va pas.
Faites un brouillon. On va retrouver l’esprit de ce conseil un peu plus loin avec le fameux : Hâtez-vous lentement.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Trop d’orateurs foireux, confiants dans leur prestance, croient qu’enfiler des mots au bout les uns des autres tient lieu d’intelligence. Trop de pseudo-savants, champions de la pensée, n’ont aucun chant, ni mot qui ne soient empruntés. Trop de prétendus sages torchent page après page d’un épuisant ramage, un très con charabia qu’eut renié Picabia, truffé de mots abscons honnis d’André Breton, de termes surannés que Céline eût damnés, tournures indigentes, désuétude affligeante. Nul ne remarquera l’absence de pensée, se disent ces charlots, ces clowns, ces rigolos. Messieurs les faux penseurs, tenez-vous le lecteur pour aussi sot que vous ?
Comme amis de la sagesse, des copies boursouflées de satire et pamphlet. Dégonflez les melons, ces bouffons passeront. C’est ma consolation. Mais le bon, le précis, l’utile, l’auteur le plus divin passera aussi bien que les cons et les vains. Vous m’en voyez marri. C’est dur mais c’est ainsi.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
Loin de moi l’idée de rouvrir la querelle des anciens et des modernes, puisqu’il se trouve que Boileau en fut l’instigateur, avec pour allié un autre grand poète, ami des animaux, des belles lettres et des auteurs antiques, Jean de La Fontaine.
Conflit générationnel entre les jeunes scribouillards réfractaires et les défenseurs de la Grèce ou de la Rome antique. Il y en avait une tapée, et pas des moindres. Outre La Fontaine et Boileau, MM Racine, Molière et son protégé le vieux Corneille, La Bruyère, et Bossuet représentaient le camp des pro-antiques. Les modernes, eux, se résumaient à Charles Perrault et quelques oubliés en mal de reconnaissance.
Ces querelles reviennent à toutes les époques. Ma génération, celle des soixante-huitards, avait pour devise : « Ne fais jamais confiance à quelqu’un de plus de trente ans. » Les vieux ne trouvaient nulle grâce à nos yeux. Je suis vieux, je ne vaut pas mieux qu’eux.
Nous ne supportions que notre génération. La musique – classique, romantique ou moderne – nous cassait les oreilles. Le rock, oui, mais pas celui d’Elvis, roi déchu, déjà d’hier. Les textes des grands auteurs du passé nous faisaient hennir d’ennui. Il m’aura fallu une vie pour changer de point de vue.
La langue pure et belle dont parle Boileau dans les deux vers en exergue n’est pas préhistorique. Elle est de son temps. Les langues sont vivantes, elles bougent dès qu’il vente, s’habillant, se changeant selon le goût des gens. Chaque époque embellit la langue pour enrichir le legs des formes précédentes.
Le bien parler français ne limite pas le vocabulaire au dictionnaire de l’académie que personne ne lit, tant mieux : il est nul. Vu par des yeux trop vieux. Mais quelle que soit la langue, périmée ou branchée, correcte ou audacieuse, il faut pourtant parler clair et beau. Assez clair pour être compris, et assez beau pour être aimé.
La nouvelle génération de poètes est à chercher du côté du rap ou de la BD. Les formes d’expressions populaires ne sont pas dénuées de poésie, bien au contraire. C’est là qu’elle vit, fraîche et jolie. Chaque année de nouveaux poètes émerveillent de nouveaux fans, qui réinventent un monde de magie vivante et vivifiante. Merci à eux, fans et poètes : double garantie que la poésie vit.
Elle est rythme, musique, peinture ajoutée au sens précis des mots. Elle est joie, danse, transe, elle est tout à la fois. Je lui donne ma foi, elle me donne sa joie. L’image est un tempo, le texte est un solo, le rythme est un morceau. Un cadeau. Un tableau. Avec, je le souligne, un bon sens du timing.
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Cette dernière citation de Nicolas Boileau pourrait aussi bien être signée Jean de La Fontaine. La Fontaine est limpide, heureux qui en boit l’eau. Ses fables ont l’air trop naturelles, sa langue coule si facile et pimpante, ses bestioles sages ou sottes sont si rigolotes, mais qu’on ne s’y trompe pas. Il y a beaucoup plus que ça. La légèreté et la simplicité sont le fruit d’un long travail, croyez-m’en. Le fabuliste était perfectionniste, ça s’entend dans ses vers.
Je le suis aussi, sans avoir le quart du talent du grand homme. Certains des articles que vous lisez ici ont reçu d’innombrables corrections. Vingt fois, cent fois, mille fois sur le métier je remets mon ouvrage. C’est le vent qui m’emporte, c’est l’éclair, c’est l’orage. La vie toque à ma porte et soutient mon courage. Il faut des mers, des ciels, des haricots géants, des requins, des marsouins et des gouffres béants. J’ai appris la leçon. Je grandirai modeste à l’écart des virus, des saignées, de la peste et autres import taons.
Hâtez-vous lentement car le temps assassin ne respectera rien que vous ferez sans lui. J’écris spontané, sans répit, sans respirer. Premier jet dépourvu d’attente. Comme madame Larousse, je sème à tous vents. Je jette à la face de l’écran tout ce qui vient, et puis j’enlève. Je retire. Je dégonfle l’emplâtre. On en dit toujours trop.
De tous ceux qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent.
Mes textes sont à lire, à relire à foison. Mes écrits sont chantés sur le toit des maisons. J’ai perdu la mesure ainsi que la raison. Enfermez-moi dans l’ombre, écrasez du talon cette bête difforme, cet insecte effarant qui rôde au creux des soirs, ténébreux cormoran. Énorme. Délirant.
Si peu que vous aimiez, souvenez-vous pourtant qu’un poète est passé. Il s’est posé tout près sur un arbre voisin. Un orme. Ils sont si rares. La maladie les a décimés, desséchés dans les formes. Ils dorment. Je pleure avec les saules l’Orme sacré des Gaules qui va dans les fumées.
Vingt fois sur le métier
Cette page comptait plus de mille mots de plus. J’ai laissé reposer. J’ai relu. J’ai sabré. La page étant d’accord, je vais zaguer encore. Tailler plus près du corps. Je coupe, je jette, elle s’apprête. Enfin elle s’accore. Je monte à bord. Je l’ai postée, tête de cuvée. Demande encore des soins. J’y viendrai. J’y reviens.
Mes idées changent aussi. Me viennent d’autres théories, suscitées par de nouveaux faits. Ce qui m’oblige à actualiser d’anciennes pages. Je m’y rue. J’exulte. L’édition en directe, quel bonheur d’auteur ! Je concilie mes deux métiers. Moi qui fus éditeur et qui le suis encore, j’adoube le web, je trouve l’internet très supérieur à l’édition papier. Il va la remplacer. Il a déjà tué tous les supports sonores. Je reste seul au milieu des CD décédés…
DVD dévidés.
Oh !
Pas de tête, pas si bête
Mais pourquoi m’évertué-je à enseigner le bien-penser, moi qui répète à l’envi qu’il faut se couper la tête ? Pourquoi se soucier du bien-dire si l’essentiel est au-delà des mots ? Le lecteur pressé jugera que vraiment, je manque de cohérence. Et pourtant ! Lecteur speed, prends ton temps. Hâtez-vous lentement, dit Boileau. Souviens-t’en…
Je n’ai qu’une parole : coupez-vous la tête. Ça ne veut pas dire soyez cons. Pour vivre sans tête, sans pensées importunes, sans images mentales envahissantes, faut-il pour autant devenir débile ? Prêt à se laisser embobiner par le premier faiseur de phrases ? La naïveté est souvent la faiblesse des généreux. Gare. D’austère liste.
Pour aller cœur ouvert, cœur donnant, mains d’amour au vent, faut-il pour autant devenir la proie des sournois ? Cet univers est prédateur, ouvre ton cœur mais n’oublie pas d’ouvrir les yeux. Toujours prête, la mort guette. Du coup le danger est partout.
Au risque de vivre
Faut-il pour autant rester confiné ad vitam, avec ou sans virus mortel ? Pourquoi quitter le ventre maternel si on ne peut sortir du nid ? Le corps, en l’occurrence. L’habitacle de chair, un nid qui nous est cher. Hors de prix, vus les soins qu’on lui donne. Tu crois que tu ne serais rien sans lui. Mais lui, ton corps, que serait-il sans toi ? Mort.
La vie est dangereuse. Si tu n’es pas prêt à prendre de risques, le risque te prendra. L’attention que tu accordes à ton ennemi le renforce. Ne crains personne, ton pire ennemi c’est toi. Sors du chemin de routine. Quitte ta zone de confort. Oublie-moi, crie ton ancien moi. Brave le danger, le danger te rend brave.
Si tu veux que ta vie chante
Lance-la dans le vent
Lance-la dans la tourmente
Comme un bel oiseau des champs.
Telle était la chanson que les petits scouts chantaient à pleins poumons pour avaler les kilomètres ou partager la veillée autour du feu de camp. Je l’entends encore. Sur le web, hélas, elle a disparue : Google ne l’a pas trouvée…
Seigneur Google, veille sur moi, protège-moi, amen ! 😆