Parmi les objets qui déplacent les foules et provoquent la ferveur, les reliques présumées de Jésus exacerbent les rancœurs et défient la raison. Ces objets mythiques sont communément appelés les trois linges de la Passion, puisqu’ils sont ceux ayant été en contact avec le supplicié des évangiles aux dernières heures de sa vie et aux premières de sa mort supposée.
Tels les mousquetaires, ces trois linges sont au nombre de quatre. Le linceul de Turin, le suaire d’Oviedo, la tunique d’Argenteuil et, discrète gardienne d’un secret immense, la coiffe de Cahors. Au grand jeu de la vérité historique, les pistes sont brouillées, les arguments viciés, les énervements de chaque camp parfois désespérants. Posons les choses : la vérité ne sortira pas de ces lignes. Sur un tel sujet, elle ne se tiendra qu’au fond du cœur de chacun. Et si elle venait à apparaître en pleine gloire, cela risquerait fort de sonner comme la fin de toute foi. Parce que la vérité est. Ou pas…
Le plus célèbre est le linceul de Turin. Sa première apparition est la représentation qui en est faite dans le Codex Pray, à la fin du 12ème siècle. A Turin depuis 1578, plusieurs fois étudié depuis les années 70, la datation au carbone 14 a conclu à une « fabrication » au 14ème siècle. L’étude photographique de 1898 avait fait comprendre que l’image du linceul était une sorte de négatif photographique. La technique pour réaliser une telle image, les détails physico-chimiques de la structure matérielle restent impossibles à reproduire à notre époque. Il a reçu une sanction définitive d’un collège d’expert le désignant comme « un faux ». Un faux ? Mais alors où est donc « le vrai » ?
Le suaire d’Oviedo est une relique en lin également, conservée au même endroit depuis 1113. Il aurait été appliqué sur le visage du supplicié après la crucifixion. La datation au carbone 14 dit qu’il daterait du 7ème siècle. Les taches se complètent avec le linceul de Turin selon une étude réalisée en 3D.
La tunique d’Argenteuil est un tissu en laine, teinté, au tissage « oriental ». C’est une sorte de long tee-shirt tel qu’il s’en portait à même la peau. La présence de sang a été étudiée, y compris par des traumatologues. De rocambolesques événements entourent cette relique depuis une vingtaine d’années. Une très ancienne confrérie sacrée, d’un lointain pays, veille désormais sur elle dans la dévotion la plus totale. Sa présence est attestée depuis 1156, quand bien même le C14 la date entre le 5ème au 7ème siècles.
Des études séparées de ces tissus ont démontré que du sang était bien à l’origine des traces. Un supplicié a été en contact avec ces différents linges, les experts sont formels. Un supplicié mâle. Mort.
Les progrès de la technologie ont conduit à des études plus précises en optique, en chimie, en hématologie. Les résultats de l’étude sanguine ont montré que les traces sanglantes des différents linges appartenaient au groupe AB, avec un scoop supplémentaire : c’est le sang d’un seul homme. Un homme aurait donc saigné dans quatre linges différents, un homme dont l’image des blessures se superpose parfaitement sur plusieurs d’entre eux, un homme qui aurait perdu son sang pendant plusieurs siècles, du 5ème au 14ème siècles. Improbable équation.
La coiffe de Cahors est le dernier témoin. Elle serait dans le Lot depuis le 12ème siècle au plus tard. C’est le plus petit des linges de la passion, là encore en lin. C’est le plus discret, on pourrait dire le plus humble. Huit linges superposés la composent, des traces de sang y sont visibles également. Une étude au début des années 2000 par le laboratoire lyonnais spécialiste des tissus le plus réputé mondialement a apporté des précisions confondantes.
Du sang y est donc présent, mais entre certaines des épaisseurs du tissu, pas sur l’ensemble des huit linges. Ce qui correspond à un changement d’état physique du corps pendant la durée durant laquelle il était en contact avec la coiffe. Le constat de la science est formel sur ce point : le linge s’est affaissé sur lui-même pour emprisonner du sang entre certaines des épaisseurs du tissu seulement, au moment du changement de nature de ce corps. L’œil électronique a repéré par ailleurs des coupures aléatoires sur le pourtour intérieur supérieur. A l’emplacement du front et du dessus du crâne. Comme une couronne hypothétique.
Les « pour » s’opposeront aux « contre » longtemps encore. La datation, au regard par exemple de l’apparition du récentisme, n’est peut-être pas au centre de l’affaire. Quelques siècles de moins au moyen-âge apporteraient au contraire de la cohérence à l’ensemble des dates avancées. Mais les écarts dans les résultats de la datation ne plaident guère pour le sérieux de la méthode du C14 sur les tissus, ce que les spécialistes lyonnais avancent sereinement.
L’impossible réplique d’une telle image (concernant le linceul de Turin) à notre époque, ses invraisemblables caractéristiques techniques sont un casse-tête vite évacué par la péremptoire dénomination de faux. Aucune reproduction à l’identique (aspects extérieurs, intérieurs et…internes d’un tissu d’une certaine ancienneté) d’un tel faux prétendu n’a jamais été réalisée, malgré bien des tentatives.
Peu importent les dates, les techniques. Regardons plutôt les faits : Un personnage que l’on prétend être le Jésus des évangiles a saigné, à des époques différentes, dans des linges différents ! Qui répondent précisément aux descriptions faites dans ces mêmes évangiles de ce que fut « la Passion du Christ ». Ces tissus sont porteurs d’un message, aucun doute là-dessus, même si c’est une technique de faussaire génial.
Alors recoupons ce que nous disent légendes et mythologies. Les linges ont eu pour fonction de recueillir le sang d’un homme nommé Jésus. Ils sont une sorte de réceptacle. Ils enferment du merveilleux que la technique moderne, ralentie par des volontés contraires, découvre malgré tout, avec dédain parfois, comme en attente d’une inéluctable révélation. Dans les légendes chrétiennes, ce genre d’objet porte un nom. On l’appelle le Graal.
Chacun ses croyances, et les vaches sacrées seront bien gardées. Nos ancêtres ont tout gobé. Ils ont avalé des couleuvres avec l’aisance d’un charmeur de serpents. Pendant des siècles, tous ces textes sont restés enfermés dans des bibliothèques strictement protégées par le Saint Siège. N’oublions pas que jusqu’à l’invention de la typographie vers 1440, tous les écrits étaient recopiés par des copistes. Des moines, le plus souvent. Ils recopiaient dans leur couvent ce que le supérieur leur disait de recopier, omettant et ajoutant ce qu’il leur indiquait. Le contrôle de l’église catholique a été quasi total pendant deux millénaires.
Une foule d’anecdotes bidons, pleines d’erreurs et d’anachronismes, a été ajouté par les copistes. C’était compter sans le web, sans la diffusion planétaire de tous les textes jadis inaccessibles. Et de rectifier le tir.
Je suis mythologue et philosophe. En ami de la sagesse, je porte sur toutes les mythologies un regard critique : est-ce vrai ? Est-ce déformé ? Est-ce exagéré ? Pour quelles raisons ? Mon travail n’a d’autre but que de regarder en face la vérité — si une telle chose existe ! — avec un œil critique et l’esprit débarrassé de tout a-priori. C’est pour cette raison que vous êtes nombreux à me lire. Vous savez que vos convictions vous appartiennent. Elles vous aident à vivre, loin de moi l’idée de les dynamiter, du grec ancien dunamos, qui veut dire ange.
Que ceci n’empêchent pas les croyants de croire, ni les incrédules de ne pas croire. Toutes les croyances sont infiniment respectables, bien que je préfère m’aligner sur l’éternel principe d’incertitude, choisissant de croire sans y croire.
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