L’après-vie des sorciers

 

Carlos Castaneda a fait connaître au monde une philosophie de l’action que je tiens pour la meilleure et que je recommande à tous les guerriers de l’éveil. Cette sagesse est celle du Nagual. Elle apporte une vision originale de la vie après la vie, et suggère des moyens de s’y préparer.

 

Dans l’instruction du Nagual que reçoit Carlos Castaneda, son benefactor Juan Matus établit une distinction fondamentale entre les anciens voyants, los viejos videntes, et les nouveaux voyants, los nuevos videntes, qui appartiennent à notre cycle. Pourquoi fondamentale ? Parce que cette distinction provient d’un changement radical. Le paradigme -la somme des croyances qui établissent une vision du monde- a totalement changé entre les voyants du cycle précédent et les voyants actuels. 

Los nuevos videntes, les nouveaux voyants ont une vision bien spécifique, que je partage, de ce qui nous attend dans l’au-delà. Je l’ai déjà expliqué dans l’article Le don de l’Aigle. Par contre, les anciens voyants ne croyaient pas à la vie après la vie. Aussi leur vie durant faisaient-ils tous les efforts possibles afin de prolonger quasi-indéfiniment leur existence terrestre. Ils s’évertuaient de refermer au maximum une fissure qui existe dans notre luminosité, créée et entretenue par le feu roulant, de grandes roues de lumière qui ne cessent de nous heurter de plein front, afin d’ouvrir cette brèche verticale dans le bouclier aurique. Par cette brèche, l’énergie vitale se disperse, et quand la brèche est grande ouverte, la mort vient.

Je viens d’employer un adjectif d’usage récent, aurique. Il ne désigne pas ici les voiles et gréements du même nom bien connu des yachtsmen, il s’applique à l’aura. C’est un néologisme, oui, j’avoue, mais je n’en conçois nulle honte. Vous avez remarqué à quel point j’en raffole : mes textes en sont truffés. Au moins celui-ci n’est pas de moi, gageons qu’il s’imposera par l’usage. Si la vision du monde change, n’est-il pas juste d’inventer des mots nouveaux pour la décrire ? 

 

Prolonger la vie terrestre

À force de pratique, à force d’entraînement, à force de macérations, les anciens voyants sont arrivés à replier leur luminosité – c’est le nom qu’ils donnent à l’aura – de façon à ce qu’elle forme un double bouclier renforcé sur l’avant du corps subtil. Bon. Je conçois que cela reste largement incompréhensible pour la plupart. Peu de gens parviennent à voir les auras des autres, encore moins à ressentir la leur. Parmi ces derniers, combien sont capables d’en modifier la forme et la structure ? Pour nous tous, cet exploit dépasse l’entendement. Normal : la compréhension n’a rien à voir là-dedans. Les accomplissements des anciens voyants sont stupéfiants. Pourtant leur exemple n’attire pas les voyants de ce cycle, qui trouvent leurs prédécesseurs par trop morbides. Vous allez en juger tout à l’heure.

 

 

Comme je l’ai dit, les anciens voyants ne croyaient pas à une survie de l’autre côté de la mort. Pour eux, ne comptait que cette vie-ci. Ces sorciers avaient recours à toutes sortes de ruses et d’accomplissements ahurissants pour prolonger au maximum leur vie organique.

De nos jours, il existe encore en Inde ou dans les pays proches des fakirs, des yogis surentraînés capables de telles prouesses. Les stylites, qui restent des mois, des années juchés au sommet d’un pilier, sans manger, ne buvant que l’eau de pluie quand elle daigne tomber, résistant au froid, à la chaleur excessive, aux rafales de vents, à la faim, etc. Il s’agit pour eux de dépasser la réalité organique pour atteindre une autre forme d’existence. Le stade ultime consiste à espacer le plus possible les battements du cœur. Ils deviennent à proprement parler des momies vivantes. Ils appartiennent clairement à la lignée des viejos videntes décrite par Castaneda.

Les anciens Egyptiens ont développé une extraordinaire technique de survie de l’esprit. Dans les temps mythiques, ils momifiaient les éveillés et autres sorciers. Le corps physique, débarrassé des viscères et conservé par la naphte et autres produits, devenait le réceptacle de l’esprit. Ce qui revenait à créer des fantômes contrôlés. L’esprit de l’éveillé restait à jamais attaché à ce plan, avec l’obligation de surveiller étroitement l’intégrité de sa momie, seule garante de son maintien en semi-vie… Si le sujet vous intéresse, je l’ai développé dans l’article Momies vivantes.

 

Ils vivent de notre peur

Un jour Juan Matus emmène son apprenti Carlitos dans le chaparral. « Nous allons rendre visite aux viejos videntes », explique-t-il sans commentaire.

Carlos Castaneda est mort de trouille rien qu’à l’idée. Les deux hommes crapahutent dans la montagne toute la journée, couverts de sueur et de poussière. En fin d’après-midi ils atteignent un méplat rocheux. « Nous y sommes », dit Don Juan. A cet instant le pauvre Castaneda sent des mâchoires cruelles se refermer sur sa cheville gauche. Il hurle de terreur. Il n’ose même pas regarder son pied.

-Don Juan ! Ils sont là ! Ils me bouffent le pied ! 
Juan Matus est plié de rire. Ce qui augmente encore la terreur de son apprenti.
C’est toi qui leur prête ton énergie avec ta peur. Cesse de les craindre, ils cesseront leur attaque.

C’est vite dit. Une telle bouffée de terreur pure ne s’efface pas d’un revers de main. Tout autour de lui apparaissent des silhouettes qui se rapprochent, menaçantes. Carlos sue à grosses goutte tandis que la mâchoire aux dents pointues s’enfonce plus profondément dans son pied meurtri. Pendant son calvaire, pas une seconde le vieux Matus ne s’est arrêté de rire. Il se bidonne à s’en rouler par terre, ce qui n’arrange pas l’état paroxystique de son jeune apprenti. Carlos claque des dents, au comble de la terreur.

Et sa peur tombe d’un coup. Comme un rideau de théâtre. Carlitos a gagné. La douleur disparaît, les dents aigües s’effacent, les sorciers d’outre-terre semblent s’évaporer. Castaneda a complètement changé d’humeur. Il se sent invincible. Résolument, il marche sur les silhouettes à peine visibles. Son air martial renforce encore le rire de Don Juan. Quand il se remet de son hilarité, Castaneda est en colère. Il se sent manipulé, réaction égotique qui lui arrive très souvent.

 

Le visiteur du clan

Plus tard, de retour chez Don Juan, Castaneda écoutera les commentaires du Nagual Matus. Il apprendra ce qu’il avait oublié dans sa terreur : c’est notre peur qui nourrit ces entités. Plus nous avons peur, plus nous leur donnons l’énergie qui leur manque. Gavés de cette précieuse émotion, les anciens voyants ou d’autres créatures de l’infra-monde peuvent nous en faire voir de toutes les couleurs. La meilleure solution, sinon la seule, consiste à garder la plus complète indifférence, ne laissant filtrer aucune émotion. Ça les affame, ils n’y résistent pas et disparaissent comme ils sont apparus.

Les anciens voyants sont des êtres misérables. Peu d’entre eux sont arrivé à conserver une vie satisfaisante. Ils ressemblent aux zombies que j’ai aperçu jadis en Haïti, qui suscitent davantage la pitié que l’envie. Toutefois quelques-uns semblent avoir trouvé un meilleur accommodement. L’un d’entre eux s’est pris d’affection pour le clan de Don Juan Matus. Chaque fois qu’un nouveau Nagual arrive dans le clan, il doit bon gré mal gré rencontrer cet ancien voyant. C’est arrivé à Don Juan Matus, c’est arrivé à son benefactor comme au benefactor de celui-ci. Ça dure depuis des siècles, et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Pour le clan de Don Juan, c’est le visiteur. Il prévient Carlitos que son tour est venu, et que cette rencontre va avoir lieu.

Le rendez-vous s’opère dans vieille une église mexicaine. Cette fois, Castaneda n’a pas peur, enfin pas trop. Quand il voit arriver le fameux visiteur, il frétille de désir. C’est une femme. Une très jolie femme, qui correspond tout à fait aux fantasmes sexuels de Carlitos. L’affaire se terminera sur un lit d’hôtel, à faire ce que font tous les amants. Quand Carlos se réveille, le soir est venu. Il est seul dans le lit. La chambre est vide.

Ainsi les anciens voyants se rechargent-ils en énergie. C’est un prêt librement consenti, en échange duquel le visiteur offre au Nagual un précieux don de pouvoir. Chacun y trouve son compte. Le visiteur est transformiste, il peut se manifester sous l’apparence qu’il souhaite. Il sait choisir celle qui conviendra le mieux au Nagual ou à la Femme Nagual qu’il souhaite rencontrer. 

Nous sommes tous des visiteurs de ce temps, de ce lieu. Nous ne faisons que les traverser. Notre but ici est d’observer, d’apprendre, de grandir, d’aimer… Après quoi nous rentrons à la maison.

Sagesse aborigène

 

 

Les nouveaux voyants ne partagent pas le point de vue de leurs lointains prédécesseurs. Ils croient à la survie post mortem. Ils ont fait l’expérience de mort imminente, EMI ou en anglais NDE, near death experience. Ils savent de science certaine que la vie ne s’arrête pas avec la mort du corps. Tous ceux qui ont expérimenté la sortie de corps ou le voyage astral partagent la même conviction. Ils connaissent la traversée du tunnel, la lumière qui brille au bout, et la rencontre avec l’être de lumière, qui se termine par un retour à la vie physique, ou par une fusion / effusion dans la conscience universelle.

Mais les nouveaux voyants ont ajouté un chapitre à cette histoire. Pour eux, l’être de lumière s’appelle l’Aigle. Non qu’il ressemble à un aigle, mais parce qu’ils distinguent un grand plumage noir de jais, avec comme des battements d’ailes, et tout en haut, au-dessus du puits de lumière, comme une sorte de bec crochu. La lumière est à l’intérieur de l’Aigle, à l’extérieur il est noir et menaçant.

J’y vois la description imagée d’un trou noir, celui qui occupe le centre de chaque galaxie, et qui se déploie aussi au cœur de chaque étoile. Le trou noir s’appelle ainsi parce qu’il absorbe toute la matière qu’il attire jusqu’à son bec. Il absorbe aussi la lumière, qui est celle de l’esprit. Les nouveaux voyants refusent de se diluer dans la conscience cosmique. Ils veulent continuer l’aventure de l’esprit. Pour cela, il importe, après la mort du corps, d’éviter celle de l’esprit. Il faut à tout prix échapper à la voracité de l’Aigle. Comment ? Lisez Le don de l’Aigle.

 

Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui sont en mer.
Aristote