Vous savez que je préfère vivre en astral, j’y passe le plus clair de mon temps. Évidemment, ça me coupe du monde où vivent mes semblables. Ceux d’en bas sont-ils mes semblables? Pas vraiment. Mes pareils font comme moi, ils ont choisi l’astral. Humez, fumez, allumez sans vous enrhumer. Insensibles au froid, ne regardez pas vers le bas. Vertige.
Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Élée !
M’as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
Le son m’enfante et la flèche me tue !
Ah ! le soleil… Quelle ombre de tortue
Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !
~~Paul Valéry, Le cimetière marin (extrait)
Parfois –souvent– j’ai envie de regagner le monde où l’on s’ennuie. Pourquoi faire? Aucune idée, ça me prend comme une envie de pisser. Aussi ai-je pris l’habitude de ne pas m’aventurer trop loin dans le multivers, de crainte que mon vol retour dure trop longtemps ou pire encore, la peur de ne pas retrouver mon chemin. Ce qui est complètement crétin.
Il n’y a ni temps ni espace en astral. C’est à proprement parler le Dasein, l’être-là. Une notion philosophique définie par Heidegger comme « être présent ». C’est la meilleure définition de l’astral. Merci à lui, même s’il ne pensait pas à ça…
Tout est là, toujours accessible, à portée de main et de songe. Du moment où j’ai réalisé ma naïveté, j’ai cessé d’appliquer à l’astral les dures lois physiques de notre espace-temps. Mais ça m’a pris du temps. J’ai admis que les notions de distance et de durée n’ont plus cours en astral. Quelque soit mon éloignement, sur Bételgeuse ou à Pétaoushnock, je puis revenir ici dans l’instant. Où je me retrouve assis devant l’écran dont, d’ailleurs, je n’avais pas bougé.
Seul mon esprit fout le camp. Mon corps reste rivé à l’écran, au clavier, à l’étang, au gravier, à l’estran, à Xavier. J’écris sans tête, décapité pour la bonne cause.
Ce toit tranquille où marchent des colombes
Entre les pins palpite, entre les tombes
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux!
~~Paul Valéry, Le cimetière marin (extrait)
Mystérieux sont les mondes de l’au-delà, absurdes sont nos évaluations de cette autre réalité, plus réelle que l’originale. Ce qu’on appelle la réalité ici-bas est une illusion fabriquée par êtres matériels et admise par le manque de subtilité de nos cinq sens. Le message qu’ils envoient au cerveau n’est pas le reflet exact de ce qu’il y a dehors. Loin de là. Il est partiel et partial. Au lieu d’une copie conforme, le message de nos sens est une interprétation libre. Free style en mode mineur.
Quand ce message incomplet et déformé parvient à notre cerveau, celui-ci, comme tout ordinateur, l’interprète à l’aide de ses programmes. Oui mais voilà. Ces programmes sont bugués. Ils contiennent des ordres pour déformer certains aspects du réel jugé dangereux pour nous autres crétins basiques.
Résumé : Notre cerveau comme tout ordinateur a besoin de programmes. Les siens sont bugués.
Ces programmes, qui les a faits? La nature? Pourquoi cette entité impersonnelle et imaginaire voudrait-elle nous cacher certains aspects du réel? Est-ce la nature qui décide quoi cacher et quoi laisser filtrer? Elle serait donc notre dieu véritable. Doit-on l’adorer à genoux, plutôt que le vieux barbu qui semble, jusqu’ici, se désintéresser totalement de ses créatures? Si tant est qu’il existe, et qu’il ait créé quoi que ce soit.
Ma réponse : Bon, alors qui les a fait ces foutus programmes bugués ? Les êtres de matière dont j’ai parlé plus haut. C’est la meilleure réponse que j’ai trouvée. Maintenant se pose d’autres questions beaucoup plus chiantes à commencer par celle-ci : que devient notre libre arbitre?
Le libre arbitre vient de l’ignorance des causes réelles qui nous font agir.
Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu!
~~Paul Valéry, Le cimetière marin (extrait)
Plus il est là, plus on l’oublie Vois comme il se fond dans les plis Gracieux lumineux ondulants De tes cheveux volants
La femme est l’avenir de l’homme. Après avoir été son long et lointain passé, elle en a plus qu’assez. Elle va se dépasser. Elle va nous dépasser. Et nous pauvres bitards en serons tous cassés. Certains vont trépasser. Ceux qui amassé les trésors du passé vont le sentir passer. Se feront désosser. Rosser. Escagasser.
L’avenir de l’homme est la femme. Elle est la couleur de son âme. Elle est sa rumeur et son bruit. Et sans elle, il n’est qu’un blasphème.
1 Le bitard, animal attrape couillons du marais poitevin, est l’équivalent du dahu. Pour attraper un bitard, il faut deux personnes : un spécialiste du canular et un couillon, qui est le dindon de la farce.
2 C’est au sein de l’Ordre du Vénéré Bitard en 1964, qu’est née la première fanfare étudiante de Poitiers, connue sous le nom de Fanfare des Bitards.
Contemplant la Déesse, on le regarde sans le voir, couillons que nous sommes. Le traître se cache dans l’or pur de Sa chevelure.
Je vole vers une lointaine galaxie soudain j’y suis. Je touche une étoile qui vient de s’allumer. Je fume un cierge ou deux. J’ai le temps qui m’attend en faisant du sur-place. Quoi qu’on fasse, il trépasse. Il se change en espace. Il devient tout petit, gigantesque, infini. Son endroit vaut l’envers. Un point vaut l’univers, un cil le multivers. Le temps lasse. Où qu’on passe, il trépasse.
Tant d’espace nous espace tant. Passe-temps dans l’espace-temps. Laisse pas ce temps qui passe en laisse. Passant l’est-ce? Pas sans laisse.
Je me fie en Elle. Où passe sa nef de l’espace, je la suis à la trace. Elle m’embrasse, ça m’embarrasse. J’irai jusqu’en Alcor voir les six soleils monter sur l’horizon violet d’un bol de riz au lait. J’irai dans l’épaisseur d’un cheveux d’ange, dans l’intime d’un atome, dans l’immensité d’un escadron d’hadrons. Joyeux drille en espadrilles, vers l’infini des cons volants je suis chef d’escadrille. Les yeux pleins d’escarbilles, j’ai les doigts qui scintillent dans ta partie d’étoiles billes. Une ordalie céleste. Le Grand Tout et le reste.
L’ordalie ou « jugement de Dieu » consistait à soumettre un suspect à une épreuve potentiellement mortelle.
Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d’imperceptible écume
Et quelle paix semble se concevoir
Quand sur l’abîme un soleil se repose
Ouvrages purs d’une éternelle cause
Le Temps scintille et le Songe est savoir.
~~Paul Valéry, Le cimetière marin (extrait)
L’encens aphrodisiaque est né Notre Vierge païenne existe
Ils sont nageurs du ciel, messagers très âgés. Beaucoup les ont connus, peu en sont revenus. Leur message usagé les a déménagés. Leur chef est un archonte, un diable, un enragé. Pour solde au bout du compte il m’a fait dégager.
Dérive. Je délire. Ce rêve est de plus en plus réaliste. Je vole à une vitesse folle dans un rapide. C’est à quoi ça ressemble. Un courant accéléré par des masses d’énergie non identifiées. Et ça défile là-dedans comme un torrent furieux se rue dans un canyon.
Garder mon calme et ma ceinture à embraquer. Ne pas me laisser embarquer. Je suis trop décalqué. Les spatio-freins braqués. Tout le lest est largué. Ce courant fait caguer. Il faut passer à gué. Tous les sens aux aguets. La barge est dézinguée.
Chienne splendide, écarte l’idolâtre !
Quand, solitaire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, moutons mystérieux,
Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux !
~~Paul Valéry, Le cimetière marin (extrait)
J’invente, mais ça le fait bien. Les parois se resserrent. M’amincir au plus vite. L’effroi me rend livide. Mon gros bide a horreur du vide. Handicap fatal. Défilé infernal. Je coince. Ça pince. C’est le moment de jouer au plus fin. Glissez muscade! Comme dans la barbe à papa!
J’enfonce grave sous la ligne de flottaison. Et pas même un gilet de sauvetage. Mon royaume pour un parachute! Allez, un parapluie suffit. Une ombrelle à bretelles. Un sparadrap m’ira!
Loin de moi l’idée de casser son coup, casse-cou dont l’âme erre dans la merde jusqu’au cou.
Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, œil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous un voile de flamme,
Ô mon silence !. . . Édifice dans l’âme,
Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !
~~Paul Valéry, Le cimetière marin (extrait)
Et pour terminer, Paul Valéry invoque le ciel comme témoin privilégié de son changement. Tout le poème est une méditation métaphysique sur la beauté sublime de la nature dans l’été méditerranéen. Il a médité, contemplé, évoqué des souvenirs érudits. Il se sent différent, renouvelé, prêt pour la vie plus prosaïque qui l’attend dans la capitale. S’il est bien né à Sète et s’il y repose, il mourra à Paris, victime d’une encombrante célébrité.
Ses deux amis Henri Bergson et Marcel Proust forment avec lui le trio de l’intelligence et de la perspicacité. Proust le romancier dans sa Recherche du Temps Perdu, Bergson le philosophe dans Matière et Mémoire ou L’évolution créatrice, Paul Valéry le poète dans le Cimetière Marin, son chef d’œuvre, même s’il a composé bien d’autres poèmes immortels.
Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Après tant d’orgueil, après tant d’étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m’abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m’apprivoise à son frêle mouvoir.
~~Paul Valéry, Le cimetière marin (extrait)
Quand j’évoque ces grands hommes et leur surnom, trio de l’intelligence, je ne peux m’empêcher de comparer le nôtre, certes à usage intime : les deux Jean-Claude et moi, le trio infernal. Surnom immérité? Il ne m’appartient pas de le dire. Mais si les enfers n’avaient pas de meilleurs pourvoyeurs que ces trois-ci, Belzébuth aurait fait faillite. Sa réussite montre bien où il s’approvisionne : les pasteurs, les prêtres, les imams et les rabbis lui fournissent une vaste clientèle.
Après une greffe du cœur, certains ont des goûts et des souvenirs du donneur.
Les cathédrales ont été construites avec un mètre-bâton : pas d’autre calcul !
La peur ressemble à l'ego. Tant qu'on est vivant, on ne s'en débarrasse pas.
Il n'y a pas quatre éléments, mais cinq. Le premier s'appelle l'éther. On l'a oublié…
Oui, perdu. Mais qu'on ne s'inquiète pas, le remplaçant est prévu.
Je vous demande un ultime effort pour sauver Eden Saga. C'est maintenant !!