La foudre a sa réalité physique, même si cette dernière connaît des limites. On ne l’étudie scientifiquement que depuis peu. La foudre est presque aussi inconnue à nos chercheurs que le fond des océans l’est encore aux océanographes. Mais la foudre, tous les enfants le savent, est avant tout magique, terrifiante et magique, triomphale et magique. En quête de l’aspect irrationnel, faisons un détour par la BD.
Au hasard,qui n’existe pas prenons les deux fondateurs de la bande-dessinée franco-belge, Hergé et Jacobs. De son vrai nom Georges Rémi, Hergé occupe dans la littérature une place à part, comme son complice E.P. Jacobs, et comme leur modèle à tous deux, le grand Jules Verne. Ces trois auteurs ont placé les mythes au cœur de leur œuvre, c’est une des clés de leur succès.
Hommes-léopards, foudre en boule, Yétis, expédition vers la lune, cités incas perdues, météorites aux propriétés folles, extra-terrestres, quel mythe Hergé a-t-il oublié ? Il était de ceux qui considèrent la foudre en boule comme une entité consciente, un agent du destin. Pour Hergé, la boule de feu est un destin pas si aveugle qu’on peut croire.
Dans Les sept boules de cristal, la boule de feu ne blesse pas Tournesol, elle est donc bienveillante. Mais non, car quelques images plus loin, elle volatilise la momie de l’Inca, donc malveillante. Et la valse-hésitation continue. L’Inca renaît, la foudre redevient bienveillante. L’inca veut se venger sur Tintin : elle est à nouveau malveillante. Mais non, ce n’était qu’un cauchemar. Tintin se réveille, la foudre redevient neutre.
Mais sa plus extraordinaire mise en scène de la foudre et de ses pouvoirs, je l’ai montrée en ouverture de cette article. Il s’agit du lama tibétain nommé Foudre Bénie.
La particularité originale de Foudre Bénie, c’est qu’il lévite lors de ses visions et qu’il n’en a ensuite aucun souvenir. Un détail qui l’exonère d’être un escroc qui utiliserait ses « dons » pour en tirer profit, comme l’ont fait de nombreux illusionnistes pour faire croire à la capacité de s’affranchir de la loi de la pesanteur. Foudre Bénie n’est pas un personnage envahissant : il apparaît dans dix-sept cases en tout. Dix-sept ? Ce serait sans compter une dernière apparition un peu mystérieuse et cryptique, qui échappe au lecteur trop rapide. À la dernière page du récit, il ne distingue pas nécessairement qu’à la première case, au-dessus des murs de la lamaserie, un moine prend son envol. Certes, c’est presque indiscernable. Mais c’est certain : c’est la quatrième vision de Foudre Bénie. (source)
Tandis que Jacobs conjuguait légendes et sciences, Hergé adorait mélanger l’illogisme du rêve à la trame de la réalité. En somme, Tintin est un pionnier de l’aventure intérieure. Ce qu’il fait dans le monde de papier, son créateur le fait dans son coeur et dans son âme. Et le lecteur aussi. Avec Hergé, la BD n’est pas un art mineur. Plutôt une mine d’ardeur.
Dans Les bijoux de la Castafiore, Haddock se retrouve juché dans un lustre après la foudre. Une mauvaise farce sans conséquence, comme la disparition des sous-vêtements de la grand-mère.
Dans L’oreille cassée, Tintin reçoit la foudre qui le libère de ses liens et le transporte sur vingt mètres. Agent du destin, elle est arrivée à point nommé pour éviter la mort du jeune héros.
Une petite merveille, à mes yeux, est dans l’épisode du lama qui lévite, dans Tintin au Tibet. Ce brave moine est sujet à des accès de pure vision, d’une telle intensité que sans s’en rendre compte il décolle au-dessus du sol, comme si soudain son corps devenait plus léger que l’air. Dans ma conception des choses, cet homme est un éveillé, son éveil est une bénédiction car le brave lama reste tout aussi simple. J’y vois tous les signes de l’éveil antique, celui que les dieux d’avant recevaient grâce à la foudre. Le plus beau, dans cette affaire, est le nom du moine tibétain. Hergé l’a nommé Foudre Bénie !!
Toujours dans Tintin au Tibet, une boule de feu vert illumine le piolet de Haddock : c’est le feu saint-Elme, bien connu des marins… Il apparaît à la pointe des mâts. Singulièrement, le capitaine, pourtant marin chevronné, semble ignorer ce phénomène. Comme Tintin, Hergé est un grand naïf. Comme les enfants. Dans Le temple du soleil, il s’imagine aussi que les Indios des Andes ignorent tout des éclipses et n’en ont jamais vu aucune.
On lui a beaucoup reproché ces bourdes en les taxant de mépris colonialiste. L’époque était différente, des albums comme Tintin chez les Soviets ou même Tintin au Congo (Belge) offrent une effarante peinture du racisme ordinaire. Sur ce chapitre, Jacobs a fait montre de plus de discernement.
D’autres apparitions de la foudre et des éclairs parsèment l’œuvre du grand Hergé et celle de son ami Edgar Jacobs. Dans S.O.S. Météores, ou bien encore dans La Marque jaune, on voit comment Edgar Pierre J. met en scène la foudre et les éclairs. Et on comprend que ce maestro du 9ème art – ainsi nomme-t-on la BD – ne joue pas sur le même clavier que son ami et compère Georges Rémi dit Hergé.
L’œuvre de Hergé est contenue toute entière dans son style graphique : la ligne claire. Il s’adresse au petit enfant, son graphisme est une caricature gentille, les courbes dominent, la gaité insouciante se taille la part du lion, même dans les circonstances les plus tragiques. Nous sommes dans le monde de l’enfance, où rien n’a d’importance, où l’intrépidité est ordinaire, et le culot, constant.
Dessiné dans un style plus réaliste qui ne doit rien à la ligne claire, le monde onirique de Jacobs vient tout droit de la scène lyrique, de la tragédie antique et de l’opéra. Le père de Blake et Mortimer voulait faire carrière de chanteur d’opéra. Cet art complet aurait admirablement servi l’imaginaire épique, mythologique, superlatif et doucement désuet de Jacobs.
Je pense au petit enfant que je n’ai cessé d’être, comme il se régale encore à longs traits de leurs images inoubliables.
Si j’étais président de la République, ce qu’à nul ne plaise, j’élèverais un temple au 9ème art. Tel Atlas portant la voûte céleste, deux atlantes en soutiendraient le fronton. L’un des atlantes serait Georges Rémi, l’autre Edgar Pierre Jacobs. L’entrée serait gratuite pour tous les jeunes de 7 à 7777 ans.
À propos du fameux slogan du Journal de Tintin, aujourd’hui disparu, « le journal des jeunes de 7 à 77 ans » n’a guère porté chance à Georges Rémi dit Hergé, puisqu’il a quitté ce monde à… 77 ans! Ou bien faut-il penser que ce grand visionnaire avait eu connaissance de la date de son décès ? En tout cas, si son métier l’a empêcher de vieillir, ce slogan lui a permis de rester jeune toute sa vie.
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