Un éboueur descendait la rue des Parfumeurs quand il tomba soudain inanimé. On tenta de le ranimer avec de suaves essences mais son état ne fit qu’empirer. Un de ses collègues vint à passer qui comprit aussitôt le problème; il mit sous le nez de son confrère un fond de poubelle, l’éboueur reprit aussitôt connaissance en s’écriant : « Vrai, ça c’est du parfum ! »

 

Cette histoire qui appartient au répertoire des anciens sages soufis est présentée ici dans la version de Idries Shah. Elle contient un enseignement sans prix et – plus rare encore – explicite. Même si les réalités qu’il évoque restent inaccessibles ici-bas. 

Que pouvons-nous dire de ce qui nous attend de l’autre côté ? Bien des sages s’y sont essayés, tous se sont heurtés au même obstacle : l’impossibilité de valider leurs hypothèses. Il faut se préparer pour le passage où il n’y aura rien de tout ce à quoi nous sommes habitués.  Après la mort, l’entité doit répondre à des stimuli auxquels il est impossible d’avoir un avant-goût dès à présent.

Il est donc difficile de s’y préparer avec efficacité. Un seul entraînement est recommandé, le détachement.

Si on reste attaché au petit nombre de choses familières, objets, personnes, situations, habitudes, on en sera très malheureux, et on en souffrira autant que l’éboueur dans la rue des Parfumeurs.

En quoi consiste la vie d’après, s’il y en a une ? Bien malin qui peut en être sûr. Certains y sont allés voir, mais ceux-là sont toujours revenus : preuve qu’ils n’étaient pas vraiment morts. Que se passe-t-il dans une NDENear Death Experience ou EMIExpérience de Mort Imminente ? L’être a quitté la vie mais il n’est pas encore mort.

Dans cet entre-deux qu’on a appelé le purgatoire ou les limbes, la marche arrière est encore possible. Puis arrive le point de non-retour. A partir de là, c’est l’inconnu total, on ne peut rien en dire avec la moindre autorité, car nul vivant n’en a ni ne peut en avoir. Personne n’est revenu de la mort qui jamais n’a rendu sa proie.

Et les morts, ah les morts ! Est-ce que les morts sont dignes de foi ? Personne n’a jamais fait la moindre évaluation de la fiabilité des morts qui viennent parler aux médiums, qu’ils soient spirites ou juste branquignols. Ce qui, selon moi, ne fait pas grande différence, n’en déplaise aux malheureux disciples d’Allan Kardek, le pape du Brésil. Il faut savoir que ce Kardek, inventeur sulfureux du spiritisme, est au Brésil le Français le plus connu – et le plus respecté. Le respect se perd. En France, Kardek est presque oublié, quoique sa tombe soit une des plus fleuries du cimetière du Père-Lachaise, avec celle de Jim Morrison.

Les revenants sont bizarres. Ils ont accès à nos souvenirs, ça nous bouleverse, mais ça ne prouve rien : en astral, l’akashique est accessible à tous. Qui nous dit qu’ils ne mentent pas ? Tout indique qu’ils le font. Pourquoi mentent-ils ? Histoire de se rendre intéressants, pour qu’on les invoque encore, pour qu’ils continuent à vivre, même chichement, une réalité terrestre qui leur manque.

 

 

Libérer les fantômes

Pendant quelques années, mon ami Jean-Claude Flornoy eut le don de parler aux fantômes. Plusieurs paysans ont fait appel à ses services. Une fois il s’est rendu dans une ferme hantée. C’était une dépendance croulante que le fermier voulait transformer en gîte. Très vite Flornoy entra en contact avec l’âme errante qui hantait le lieu. C’était une femme morte en 1768, amoureuse du bedeau, qu’elle prenait pour un saint, et qu’elle n’avait pu se résoudre à quitter.  D’avoir goûté aux plaisirs de la chair avec ce saint homme, elle se reprochait cette offense impardonnable envers Dieu et la foi catholique, elle se croyait perdue, bonne pour les enfers. 

Aussi était-elle restée accrochée à cette misérable vie et à la maison du péché : cette bâtisse hantée qui était autrefois le presbytère où elle avait fauté avec le bedeau. Flornoy a recueilli sa confession et lui a rendu sa liberté, à cette pauvre femme. Va, lui a-t-il dit. Tu peux poursuivre ta route, plus rien ne te retient ici. Et le fantôme a disparu pour ne jamais revenir. Les morts s’attachent parfois à une vie manquée, un regret trop vif, un crime inexpiable. Il suffit de les remettre en route, comme peuvent le faire les naguals. C’est ce qu’il faisait. Et donc il a eu plusieurs occasions de parler de la mort avec des morts. Il ne s’en est pas privé.

Pourtant il n’a rien découvert : les morts qu’il a rencontré n’étaient pas encore entrés dans l’autre monde, ils restaient collés à celui-ci. Ils étaient en purgatoire. Donc leur témoignage ne pouvait rien nous apprendre.

 

Voyageurs de la mort

Ce titillant paradoxe n’a pas échappé au brillant Bernard Werber, qui fait des thrillers aux sujets parfaits, et parfaitement instructifs. Un de ses romans, Les Thanatonautes, n’a pas eu le succès qu’il méritait et c’est dommage. Parce qu’il a le défaut rédhibitoire de parler de la mort, et c’est un tabou terrible. La mort est honteuse, on la cache. 

Bref, Werber imagine un astucieux procédé pour aller visiter la mort, et surtout pour en revenir. Il se sert d’une astuce, le fil doré – ou fil d’argent – qui relie notre corps physique à notre corps astral. Lors de la mort, le corps astral quitte le corps physique en rompant ce fil subtil. Les thanatonautes – ou voyageurs de la mort – se shootent un poison mortel, et avant d’être réanimés par l’antidote, ils explorent la mort de plus en plus loin avec leur corps astral.

On peut toujours reculer le moment où l’on coupe les amarres avec la vie humaine. Cela n’ouvre pas d’un pouce la porte du mystère. A reculer les limites, on entre dans l’infinitésimal, l’infiniment petit où tout se dilue dans tout, le règne de la physique quantique où le chat de Schroedinger est à la fois vivant et mort.

 

Quand la porte s’ouvrira

Quand la porte s’ouvrira, que verras-tu ? que comprendras-tu ? Il y a le connu et il y a l’inconnu. Il y a deux sortes d’inconnu : le connaissable, dont la recherche est excitante et la découverte exaltante ; et l’inconnaissable, qui sans fin se dérobe et dont la quête impossible déprime le chercheur qui finit par en mourir, décharné, sucé de l’intérieur par ce mal qui ne pardonne ni dans ce monde, ni dans les autres. 

« Chaque fois que vous ne suivez pas votre guidance intérieure, vous sentez une perte d’énergie, une perte de puissance et un sentiment de vide spirituel ». (source)Shakti Gawain

Cette recommandation est trop basique pour être utile. Parfois vous suivez votre guide intérieur, et pourtant, vous ressentez ce même vide : la cause en est autre. Votre quête actuelle ne peut aboutir, car vous vous heurtez à l’inconnaissable. Si l’inconnu est stimulant, dynamisant, l’inconnaissable laisse le chercheur abattu, sans tonus. En ce cas, comme dans le premier, changez de cap, tout rentrera dans l’ordre.

L’inconnaissable n’est tout simplement pas à notre portée. Laissons-le où il est.

Innombrables sont nos voies et nos demeures incertaines.

Saint John Perse

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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