Premier maître à bord

Quelque chose de bizarre est en train de m’arriver. Avant je n’y prenais pas garde, c’était à peine perceptible. Quand je m’en suis rendu compte, ça ne m’a pas préoccupé davantage, ça n’avait rien de gênant. Et puis c’est devenu préoccupant. Inquiétant même, au point de troubler ma belle sérénité.

Maintenant je ne suis plus tranquille comme avant. Après avoir examiné la situation sur toutes les coutures, je dois me rendre à l’évidence. Il y a un inconnu dans ma maison. Comme je vous le dis. Quelqu’un s’est introduit chez moi. Et ça ne date pas d’hier. Je le connais depuis longtemps, mais j’ai beau faire, c’est toujours un inconnu pour moi. Il a la clé. Il entre et sort quand ça lui chante. Il ne me dérange pas, je ne sais même pas quand il sort. Si ça se trouve, il ne sort plus jamais. Il est tout le temps chez moi. 

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Cette vanne-là ne me donne pas envie de rire. Y a-t-il quelqu’un aux commandes de moi-même ? Quand j’ai l’illusion d’agir librement, quelqu’un m’aurait-il suggéré de le faire ? Quand j’écris ces articles sans même savoir sur quelle touche je vais frapper ensuite, quand je lis mes propres textes en ayant le sentiment que ce n’est pas moi qui ai pondu ça, quand je constate qu’ils sont écrit dans mon style, avec mes vannes et mes irrévérences, tout y est, le moindre détail m’appartient, jusqu’à mon caractère de cochon, pourtant je suis formel : ce n’est pas moi l’auteur. « Je » est un autre.

Parfois je me dédouble à l’intérieur de moi, et je regarde un autre agir avec mon corps, parler avec ma voix, faire des choses que je ne comprends pas, être implacable et cassant, alors je sais qu’il faut accepter de lâcher les commandes. celui qui m’agit sait mieux que moi. Je m’abandonne à sa loi car elle est juste et pleine de magie. Demain lui donne toujours raison. Ce qui me résiste ce soir trouvera cette nuit sa traduction astrale. Tout s’explique, tout se vérifie, et le sorcier n’y est pour rien. 

Qui est le premier maître à bord ? Franchement je doute que ce soit moi. Penser ça, écrire ça, ressentir ça, est-ce l’antichambre de la folie ? Les psychiatres le pensent. Et tous ceux qui font métier de logique ou usage de raison font de même.

Qui sont les fous dans cette histoire ? Qui est le Mat ? Le connard galonné qui me mate du haut de ses principes ? L’échec et mat de l’abruti qui dit oui sans rien piger ? Le badaud badant qui craint tout, même l’ombre de sa main ? La foule des zombies qui ondule au rythme de l’hypnose ? Ou moi, ce fichu moi qui ballotte au gré de la volonté d’un inconnu ?

Je devrais être éperdu de reconnaissance. Cet inconnu m’a mené dans les verts pâturages où plane l’esprit divin et l’amour infini. Ne hochez pas la tête. Quittez cet air entendu. Moi aussi je me crois fou. Ce n’est pas un rêve lucide. Ni un cauchemar trompeur. Ce n’est pas un de ces mirages de l’astral. Ni aucun délire imaginaire. C’est ici que ça se passe. Maintenant. 

Dans ma tête et dans mon corps, quelqu’un me parle. Je suis agi. Remote control. Pilotage à distance. Au gré du vent la graine a trouvé son terreau.

L’obéissance ou la folie

Je pourrais avoir peur, mais la peur n’est plus dans mes moyens. Beaucoup trop chère, la peur. Elle a plombé les meilleures années de ma vie, qui par conséquent furent les pires. La peur est un frein puissant. Je ne sais quel con a décrété qu’elle donnait des ailes. C’est la lâcheté qui en donne. La peur coupe les jambes. Lapin pris dans les phares, le peureux succombe où la peur le cloue.

Quelqu’un commande. Si je n’obéis pas, j’ai mal. Des ennuis surviennent, moi qui n’en connais plus aucun. Les signes sont limpides. Si je m’incline et accepte tout, je suis si heureux. Voilà la Règle, voilà le plus sûr chemin qui mène à la Voie. Peut-être est-ce la Voie déjà ?

Je devrais avoir peur, me payer le luxe d’être logique, m’offrir une belle tranche de raison pure avec un grand verre de raison pratique pour faire passer le tout, mais non. Pensez-vous. Je m’en tape. Avec la raison la peur viendrait. Avec la logique les alarmes rouges se mettraient à clignoter, les sirènes à striduler, les secouristes à rappliquer. Pas question. J’aime autant mon inconnu. L’habitude est trop ancrée. Sans lui, que serais-je ? Mort ? Idiot ? Fou ?  Je le suis déjà.

Cet inconnu aux commandes, reste à souhaiter qu’il agisse pour mon bien. Question idiote : mon bien est dans l’obéissance. Les chrétiens, les musulmans, les juifs savent à qui ils obéissent. Mon pilote ne vient d’aucune religion. Il n’a pas de nom. Il n’a pas de visage, sinon le mien, parfois. Je crois que c’est une femme. Alors je vais dire « elle ». Cette inconnue dans ma maison – et ce n’est pas un problème d’algèbre ! – cette inconnue que je connais si bien sans savoir qui elle est, cette dame astrale me cause bien du souci. J’y pense et puis j’oublie. C’est la vie, c’est la vie. (source)

Quand j’étais petit, elle était déjà là. En moi. Ou bien tout près de moi. Avec elle je ne m’ennuyais jamais. Sans elle je ne voulais plus vivre. Plus tard, je l’ai appelée mon amie imaginaire, et sur la mobylette de mes 15 ans je sillonnais les chemins creux du Penthièvre à sa recherche, ô ma bergère improbable, ô mon amour antique, ma nymphe, ma muse, celle qui de moi s’amuse !

Je l’ai cherchée partout quand elle a disparue. J’avais 16 ans. La belle disparaît toujours, ainsi l’écrit Proust. Sa belle a beau jeu. La mienne vient d’ailleurs. Sa beauté confond mon âme et je l’aime à hurler. Je hurle toutes les nuits, refusant de me mettre au lit, écrivant comme un fou, déjà, tout ce qui me passe par le corps et à quoi je ne comprends rien.

Y a-t-il seulement quelque chose à comprendre ? J’écris. Tant que j’écris, je vis encore. Je me vois chaque soir mort, dans mon lit, si je dors pendant la nuit. Alors j’écris. Je fais durer la soirée jusqu’à l’aube. J’ai peur des voyages astraux que je fais toutes les nuits, si par malheur je dors. Peur de ne pas revenir dans mon corps, peur de casser le cordon d’argent, peur de l’argent, peur de l’envie, peur du vice et de toute sa parade.

Folie ! J’ai dans la tête tant de tristes fumées
Sirènes d’un navire qui vient pour m’emporter 
Loin de chez moi. J’en ai le cœur à pleurer.

Du temps a passé sur ma folie. Chaque décennie m’a donné plus de force. La magie est mon lit, les astres sont mes nuits. J’étais loin d’elle. La voici revenue. Je ne suis plus sourd, ni gourd, ni lourd. La peur n’a pas cours dans la cour d’amour. L’obéissance est la Règle érotique et monastique. L’humilité ma survie. C’est elle ou la folie. Petit, je vis encore quand tous les grands sont morts. Restons petits. Je suis nu sous la nue. La voici revenue. C’est elle et ma folie.

Amour, quand tu me tiens la vibration de ma félicité sereine emplit ce petit morceau d’univers. Amour, quand tu me fais entrer dans ta cour suprême je renais de mes cendres. Dans ton bonheur je tremble. Je plane et m’enflamme à mille et une lieues du sol. En fa dièse. L’adorée seule amie. Obéir à la loi d’amour. S’incliner devant la force aimante. Que faire d’autre ? Qui serait assez fou, assez fort pour contrer ce torrent d’énergie pure ? Exaltante, apaisée, rieuse, familière énergie qui m’agit. Tombe l’ego dans sa tombe en Lego. Ci-gît le vieil Adam de toutes les couleurs. 

Obéir est le passeport du sorcier. Que peut le petit libre-arbitre contre la volonté d’Amour ? Âme et flamme, Eros est une femme. Je la connais. Elle m’ouvre sa couche et je touche sa bouche. L’amie imaginaire d’hier a pris corps, mon désir s’est fait chair. Mon double est ma moitié tout entière incarnée.

A celles et ceux que cet article a touché, ou chez qui il a éveillé un écho profond, je rappelle que j’organise un stage en septembre prochain, les Cinquièmes Rencontres d’Erquy. Un rendez-vous pour l’âme, le cœur et le corps. Demandez le programme.

 

Je ne dis que ce que je peux dire et ce que je dois dire, rien de plus. Le reste, je ne le dirai jamais.
Gérard de Villiers