Mes dieux d’avant sont les poètes que j’ai relu souvent, qui ont bercé mes nuits blanches, qui ont filé la laine de mes premiers émois, qui m’ont parlé au creux de l’oreille et du cœur. Ont-ils comptés pour moi autant que mes amours ? Ils s’y sont associés, fondus, amalgamés si bien qu’on peut plus en scrutant mon cadavre différencier ce qui vient d’eux et ce qui n’est qu’à moi.
Ne sont-ils pas nos maîtres ?
Nos professeurs de lettres
et nos tuteurs de l’Être ?
Après avoir écrit des litanies sur les héros qui nous ont façonné dans l’argile et dans l’alchimie, je ne peux plus les distinguer des surhommes qui ont peuplé mon enfance à l’amour dédiée. Ces dieux de la beauté, ces surhumains dont les chemins rythmés ont accueillis mes premiers pas, mes premiers bouts-rimés, gribouillés, farfouillés dans un patois rétif qui sentait la blédine.
Mes dieux des Cieux
j’ai poussé vigoureux dans leur ombre et les rires
ces dieux m’ont tout appris, tout ce qui a du prix
la droiture et l’amour, la colère et l’esprit
la force de se taire et la rage d’écrire
Ces dieux-là se sont mis en cercle autour de moi, je n’avais pas dix ans. Tour à tour, ils m’ont dit des mots que mon émoi tenait pour médisants. Je n’en ai souvenance. Aussitôt qu’ils parlaient, tous leurs mots s’effaçaient.
Il m’a fallu patience et des longueurs de temps. Il m’a fallu l’école des grands, le lycée, le collège. Il m’a fallu les vers du Lagarde et Michard pour découvrir Verlaine, Aragon, René Char, Ferré, Brel, Brassens, Prévert, Rimbaud, Gainsbourg, Rabelais, Victor Hugo, Boileau, Molière — devant un tel ballet mon esprit s’emballait.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Et leurs baisers au loin les suivent Comme des soleils révolus.
Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
Et si vraiment Dieu existait,comme disait Bakhounine,ce camarade vitamine, il faudrait s’en débarasser.
Un artiste, c’est quelqu’un qui a mal aux autres.
Les Dieux ont toujours soif, n’en ont jamais assez Et c’est la mort, la mort toujours recommencée.
Dépêchez-vous, mangez sur l’herbe, un de ces jours, l’herbe mangera sur vous.
J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges.
Je voudrais que la terre s’arrête pour descendre
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière.
Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Je volais, je le jure
Mon enfance éclata
Ce fut l’adolescence
Et le mur du silence
Un matin se brisa
Ce fut la première fleur
Et la première fille
La première gentille
Et la première peur
Je volais, je le jure,
je jure que je volais
Mon cœur ouvrait les bras,
je n’étais plus barbare.
Et la guerre arriva,
et nous voilà ce soir
Louis et Elsa
Mon sombre amour d’orange amère
Ma chanson d’écluse et de vent
Mon quartier d’ombre où vient rêvant
Mourir la mer
Mon doux mois d’août dont le ciel pleut
Des étoiles sur les monts calmes
Ma songerie aux murs de palmes
Où l’air est bleu
Est-ce qu’on sait ce qui se passe
C’est peut-être bien ce tantôt
Que l’on jettera le manteau
Dessus ma face*
*Louis Aragon (1897-1982) est poète et romancier français. Avec André Breton il a fondé le mouvement surréaliste. Il a traduit Lewis Caroll. Il s’est battu en journaliste engagé pour le Parti Communiste Français dont il fut membre. Anti-franquiste, il a écrit sur la Guerre d’Espagne et composé d’innombrables poèmes d’amour pour Elsa Triolet.
Léo et Louis
Mais rien de tout ça n’a compté pour moi. Ce qui m’a touché d’abord chez Aragon, ce sont les musiques que Léo Ferré a mis sur ses poèmes.
J’écris pour dans vingt siècles. Et je prends date.
Jean Ferrat s’y est essayé aussi — à part son « Que serais-je sans toi?« , il ne m’emballe pas. Sa mise en musique a l’air d’un exercice. Il chante avec des trémolos, certes, mais où est l’émotion ?
Et sur Aragon le merveilleux, d’autres aussi ont fait ce qu’ils pouvaient. Rien ne vaut Léo, tel est mon avis qui remonte à l’enfance. Léo l’immortel anarchiste à qui Aragon osa préférer Ferrat le communiste. Soutien obligé entre membres du parti.
Toute magouille mise à part, du strict point de vue de l’art, j’aime cent fois mieux Léo l’anar. Brassens aussi l’a chanté, lui ça passe, il est presque anar. Un peu casanier, certes, mais quel poète !
Ma première maîtresse est la poésie. Elle m’a consolé de bien des chagrins, et s’y colle encore quand la nostalgie me serre à la gorge ou quand l’amour me malmène. Qu’est-ce que vous croyez? On aime toute sa vie. La mienne est loin d’être finie. Dix ans de rab, je prends. Vingt ou trente ans me plaisent autant.
Louis et moi
Aragon lançait souvent
Ses refrains au vent
Je veux chanter comme il fit
Quand il écrivit
Au café de Saint-Germain
Les mots m’ont pris par la main.
Devant l’âtre du passé
Hier finissait
De noircir se consumer
Et toi tu dormais
Que vienne le lendemain
Les mots m’ont pris par la main.
Arthur et moi
J’avais quinze ans, l’âge de toutes les folies. Canalisées grâce à l’écriture. Au dessin. À la peinture. À la musique. À mes nombreuses chéries. Je les dessinais. Je peignais leurs doux visages. Je faisais des poèmes pour elles. Aussi j’étais fou de Rimbaud. Penser qu’il écrivit ces rimes immortelles, il n’avait pas seize ans !
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
– Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, – mouche au rosier. (…)
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
Nu
Je peux me rhabiller. Comment rivaliser? Nos maîtres nous écrasent, est-ce ainsi qu’ils enseignent?
je suis prêt à caler
le meilleur de mon cœur
en l’espoir d’égaler
le don de mes vainqueurs
ici-bas je suis nu
quand je pense à ces rois
comment sont-ils venus
j’y pense et puis j’ai froid
je suis seul et j’ai froid
il est tard et je crois
que je n’ai plus qu’à me jeter
sous un train pour oublier
Les dieux sont-ils poètes ?
Il a bien fallu qu’ils le soient
pour nous laisser ces beautés-là.
Tant de merveilles à contempler !
Les poètes, en tout cas,
Sont des dieux vénérés.
Leur nom mourra peut-être,
Leur chant ne mourra pas.
On chantera toujours
Leurs mélodies d’amour.
Mes dieux d’avant
Ainsi
Tristement
Voici
Désarmants
Aux vents
Parfumés
Des fumées
D’avant
Les dieux morts
Qui n’ont vu
Nos bévues
Sans remords
Ils vont dans les pas
Des trois fils d’Adam
En grinçant dents
Au seuil du trépas
Ils sont dix grands dieux
Sonneurs d’oliphants
Dix tyrans odieux
Abuseurs d’enfants
Vieux dieux venus des cieux
Passeurs de chemins
En chariots sans essieux
Dévoreurs d’humains
Ayant vécu si long
Ils n’ont jamais gagné
Dans un sommeil de plomb
La valeur des années
Ceux des vieux dieux qui sont encore
Tant de vieux temps les ont perclus
Qu’au fond du monde ils sont reclus
Le poids du sang clouant leur corps
Tenant un impossible accord
Entre l’âme et le failli corps
Ont-ils encore en leurs mains d’or
Cet ultime élan qui s’endort?
Le souvenir du bon vieux temps
Cachant le sort qui les attend
Si cruelle est la destinée
Des tout puissants assassinés
N’accomplissant plus de merveilles
Au printemps de leur cœur glacé
Les yeux mi-clos ils se surveillent
Jalousant leurs exploits passés
Qu’un tel bonheur leur soit ravi
Issu du tréfond de leur être
Au bout du banquet de la vie
Tâchant tant soit peu de paraître
Ayant bâti les fondations
N’ont-ils mérités meilleur sort
Qu’un paradis par leurs actions
Qui les ont condamnés à mort?
Quand les déesses
D’avant
Qui les délaissent
Souvent
Vont revenir
Céans
Vers l’avenir
Béant
En feront-elles
Pour que tout soit dit
De la dentelle
Ou des bigoudis
Les verrons-nous
Pardonner les péchés
Sur les genoux
De vieux dieux éméchés
Ou bien diront-elles
En lançant des éclairs
Qu’un cœur d’hirondelle
A sauvé les vieux clercs
Dès lors chanteront
Dans l’harmonie des sphères
Les vieux forgerons
Par l’airain par le fer
Soit qu’ils n’aient pas mérité mieux
Soit qu’ils préfèrent
Être expulsé du haut des cieux
Jusqu’aux enfers
Dieux des cieux ils le sont
Qui m’ont foutu la honte
Le meilleur de mes contes
Est loin de leurs chansons
Visions, Mythes, Légendes
- Mes Dieux
- La ligne de temps
- Les auteurs du Big Bang
- Merveilleuses mythologies
- Finalement
- L’origine des mythes
- Mythique mi-raison
- Parler aux arbres
- La mémoire des pierres
- Géants de pierre
- Héritiers des dieux
- Un éternel printemps
- Le paradis perdu
- Les anges déchus
- Les sept filles d’Eve
- Les Amazones
- Zeus le Père
- Archontes de la Gnose
- Dragons d’Eden
- Le feu de Balor
- Quetzalcoatl serpent à plumes
- La musique des Sphères
- L’eau de Jouvence
- La terre plate
- L’origine de la croix
- L’ultime élément
- Jonas et la baleine
- Immortel phénix
- Excalibur
- Quel progrès scientifique ?
- La boîte de Pandore
- Egypte inconnue
- Romulus et Rémus
- La descente aux enfers
- Le caducée d’Hermès
- L’île magique d’Avalon
- Les contes de fée
- Le Gardien en toi
- La Mère l’Oie
- La Langue des Oiseaux
- Merveilleuse Cité d’Ys
- Le Petit Peuple
- Merlin d’Armor
- La fin des temps
- L’autre histoire
- Au Bois Dormant
Salut Xavier
Je fais attention à tes remarques, et réfrène l’envie de t’écrire « salut sorcier« , comme avant, parce que je t’ai toujours perçu comme un coupeur de sorts (sort scié), magnifique adoubement qui peut se produire entre éveillés. Sans doute t’ai-je moins écrit ces derniers temps, accaparé par des turpitudes physiques inattendues mais pas imprévisibles.
Mais ai-je besoin de t’écrire pour te dire que je pense à toi chaque jour ?
Non.
Ai-je besoin de te rappeler à quel point tu comptes dans notre modeste (mais magnifique) saga familiale ?
Non.
Ai-je besoin de te dire que tes écrits, tes pensées, ta pensée, sont mes compagnes de route ?
Non.
Alors pourquoi te l’écrire ainsi, comme une lettre à la mer, un message ténu parmi les centaines que tu reçois ? Pas pour flatter ton ego, certes non. Pas pour attendre un quelconque retour (même si avoir de tes nouvelles en direct me réjouira). Pas pour entretenir une quelconque illusion de proximité avec un auteur génial (putain que je suis con).
Juste pour te (re)dire que tes productions (dont je ne partage pas toutes les idées, heureusement) sont simplement essentielles. Eden-Saga est un joyau, un ovni. Dans 247 ans, par exemple, quand nous nous retrouverons dans une sweat lodge éthérée, je te dirai « regarde ce que tu as fait » tant je pense que ton œuvre subsistera.
La modernité paye le prix de l’ignorance de ses contemporains. L’aspect jubilatoire de la lecture de tes articles t’échappe, j’espère. Il se fait tard dans nos vies terrestres. La suite va être terriblement rock. C’est juste ce que je crois. L’expérience terrestre (qui ne m’est pas si facile) est une bénédiction. L’astral ne m’est pas inconnu. Vivement l’éternité. Le Vivant fait bien les choses, il a le temps pour lui.
Je m’en remets à la Source, que nous pensons (je veux dire toi et moi) différente mais pas antinomique, avec une vraie confiance. Parce qu’au final, « je » vis « ma » vie. Reste à accommoder tout ça… À bientôt, Xavier.
(s) Alain Aillet, août 2024
À tout de suite, Alain.