Le gai savoir

 

Un vieux qui meurt, c’est une bibliothèque qui disparaît, dit le proverbe africain. Je ne suis pas vieux. J’ai essayé, je n’y arrive pas. J’ai quand même pondu non pas un livre ou deux, mais toute la bibliothèque. Vous l’avez sous les yeux, gratos. Et ça continue encore et encore.

J’ai emprunté au compère Nietzsche le titre de cet article. Ce n’est pas la première apparition du philosophe de la liberté dans Eden Saga. Je lui ai déjà consacré plusieurs articles : l’anarchiste, le surhomme, le prophète. Nietzsche est tout ça ensemble. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce gai savoir est le mien. Ici et maintenant. Une grande joie. Voilà ma vie. Qui n’a pas toujours été ainsi. Le mal s’oublie. Tout est bien qui finit bien. Un jour ou l’autre, je partirai. C’est décidé. Je ne sais pas où j’irai, mais je ne m’en soucie guère : je n’ai connu que des endroits fabuleux. Un jour je vais cesser de me guérir, je me laisserai partir. Déjà je m’y prépare. En fait depuis l’enfance je m’y suis préparé.

Quand le moment viendra, je serai fin prêt. Dans un court-circuit du vril j’allumerai le feu intérieur. Le feu du dedans. Toutes mes cellules s’illumineront ensemble, mon corps s’embrasera dans la lumière blanche où je prendrai mon vol. Mais d’abord je veux prendre mon temps. Du bon temps. J’ai encore envie de rire, de jouir, de choisir, de découvrir à n’en plus finir. Toutes mes vies sont taillées dans cette étoffe.

Ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est toi.

Jean Cocteau

J’en ai vécu beaucoup. Des tas de vies intenses depuis ma naissance, et bien davantage avant, ailleurs, dans d’autres corps, sous d’autres cieux, à d’autres époques.

Tissant toutes les vies dont j’ai gardé souvenance, le récit remplirait deux forts volumes. Deux in-quarto tout enluminés, aux jolis caractères en plomb d’hier, ornés d’eaux fortes et ponctués de culs de lampe, imprimés feuille à feuille sur un vergé d’une belle main, reliés plein cuir avec signets, marque-page et divers ex-libris, le tout de la plus belle façon.

En attendant, je travaille d’arrache-pied, de nuit comme de jour, en toute saison, par tous les temps, et la semaine et le dimanche. La Saga m’appelle. J’ai la chance de dormir peu, les veilles nocturnes sont propices à l’écriture. Les récits s’enroulent et se déroulent mieux sous la lune qu’en plein soleil. Ils coulent de source. Ils roulent de course.

C’est beau d’écrire, de créer des images, de dérouler des vies, de rapprocher les races, d’accueillir les humains de tout pays et de toutes couleurs. Vous avez dans le cœur votre bonheur.

C’est dans vos mains que demain notre terre
sera confiée pour sortir de la nuit.
Et notre espoir de revoir la lumière
Est dans vos yeux qui s’éveillent à la vie
Séchez vos larmes, jetez vos armes
Faites du monde un paradis. (source)Enrico Macias, Enfants de tous pays

 

 

Mon gai savoir est une grande joie. Voilà ma vie. Qui n’a pas toujours été ainsi. Loin de là. Ma mère disait la vie c’est une tartine de merde et tous les jours faut en manger un petit peu. Elle ne disait pas merde, elle faisait mmmmh et on comprenait. Quand j’étais petit je croyais que les grandes personnes ne disaient pas de gros mots. Mais oui, moi aussi j’ai été petit enfant, je le suis encore souvent.

La joie vient surtout de vous. De ce fabuleux contact avec mes lecteurs. Vous êtes nombreux à m’écrire, je réponds à plusieurs centaines d’emails par semaine. Rares sont les gros déconneurs. Rarissimes les détestations. Fréquents les remerciements. Je n’en cherche pas, les plus beaux sont vos sourires, vous que j’aime plus encore, chers amis des Rencontres, vous qui êtes passés de l’autre côté du miroir.

Tous les jours j’écris. Toutes les nuits. J’apporte de l’eau à mon étoile qui a grand soif. Je l’abreuve depuis plus de dix ans, la chère a toujours la pépie. Alors je verse mon eau dans l’eau du vivant, comme fait l’Etoile ma patronne. Je découvre la prodigieuse saga de notre espèce à mesure que je l’écris. Ce que je raconte n’est pas inventé, mais révélé, pour ainsi dire. Non, pas vraiment. Rien n’est révélé. Aucun ange blanc en robe de lumière n’est venu me visiter aux petites heures de la nuit. Aucun démon ne m’a ravi sur une haute montagne pour me monter le monde et me dire : « Tu vois tout ça ? Tu sens le bonheur de toutes ces merveilles ? Ces trésors sont à toi. Prends-les. Je te les donne.« 

Élu mon cul. Personne ne peut se prévaloir d’une quelconque apocalypse, l’autre nom de la révélation. Il n’y a pas de révélation, il n’y en a jamais eu. Ou bien tout est révélation, nos idées viennent d’ailleurs, nos pensées nous sont suggérées. Ce qui revient au même. Dieu n’apparaît que dans les rêves, qui sont plus menteurs qu’un député sortant. On n’est élu que par les urnes, jamais par un être suprême. S’il existe, Dieu s’en tape de nos salades. Chacun les siennes. Faut le comprendre. Sa vie n’est pas drôle non plus.

J’ai fait un rêve où j’ai vu Dieu. Il m’a parlé : Ma vie n’est pas drôle tous les jours, faut se mettre à ma place. Je m’y suis mis pour voir. Et ça m’a plu. Dieu est un boulot sympa. Trop d’avantages ! Tout le monde te salue bien bas, tout le monde te sourit, tout le monde t’aime. Tu peux raconter la pire des conneries, tout le monde t’applaudit. Il y a bien deux-trois crétins qui ne croient pas en moi, mais rien à foutre. Tous les autres m’adorent. Et j’adore qu’on m’adore.

Là je me suis réveillé.

Ce n’était qu’un songe
Un vilain mensonge
La nuit m’a trompé

Gai ou pas, Dieu ou pas, le savoir n’est pas acquis. Jamais. Faut pas rêver. Debout !

 

 

Personne n’a toutes les réponses. Même pas Gougueule.

Plus on est monté haut, plus on est descendu profond à l’intérieur de soi-même.
Roland Topor