Anaëlle et Myrios, La nuit des Archées
Un vécu me tient à cœur depuis l’enfance : le temps à l’intérieur du temps. Je dois m’expliquer là-dessus. J’ai baptisé ce vécu l’infra-temporalité ou le temps suspendu. Le mot peut faire peur, mais la chose est plus étonnante encore. Personne n’en parle et tout le monde la connaît.
Deux temps
Les philosophes distinguent deux sortes de temps qui n’ont rien à voir, le temps subjectif et le temps objectif. Ils sont très différents, ils ne s’écoulent pas à la même vitesse. Le temps objectif est universel, mesurable et régulier. C’est le temps normal, officiel. Du point de vue de l’être, il est stérile. Car chaque être vit dans une bulle temporelle qui ne suit pas le temps objectif. Cette bulle s’appelle le temps subjectif.

Souvenez-vous du cours de maths qui se traîne en longueur. Pensez aux deux jours du week-end qui passent beaucoup plus vite que deux jours de boulot. Il y a aussi l’accident de voiture. J’en ai vécu plusieurs. Le temps ralenti tellement qu’on se trouve dans une autre réalité.
S’y retrouvent le temps objectif, et le temps subjectif. L’accident ne dure qu’une poignée de secondes pendant lesquelles on a le temps de revivre toute sa vie…
L’eau de Jade
Dans certaines circonstances, il est possible de dilater le temps subjectif qui forme une bulle à l’intérieur du temps objectif. Il devient non plus linéaire mais spiralé. Comme la spirale d’incarnation…
Le sujet en danger passe sur une autre échelle de temps, et tandis que le monde extérieur évolue à la même vitesse au fil du temps objectif, le sujet a stoppé le monde ou stoppé le temps pour ce qui le concerne, ce qui lui laisse tout loisir d’agir pour parer la menace et éviter le danger.
Les anciens Égyptiens avaient une recette pour accéder automatiquement à cette bulle de temps subjectif, de sorte qu’il se substitue purement et simplement au temps objectif.
Cette recette s’appelle l’eau de jade. On la fabriquait sous une pyramide, avec de l’eau qui devait y séjourner pendant une lune. Un de mes amis, Guy, a suivi la recette antique et il a obtenu de l’eau de jade que nous avons testé tous les deux.

Eh bien, je peux vous le dire, l’eau de jade déforme le temps. Le temps subjectif devient loi universelle. Il prend le pas sur le temps objectif qui semble s’aligner sur lui. De doctes professeurs de physique quantique pourraient sans doute vous expliquer ce paradoxe.
Deux pattes
Quant à moi, je fais confiance à mon corps : après avoir ingurgité cette potion magique, nous avons fait 300km dans une 2cv à la vitesse de pointe d’un TGV : moins de trois quarts d’heure. En deuche !!
Oui, la chose est impossible. J’en conviens. Pourtant nous l’avons fait dans une vieille 2 pattes cahotante… Mais j’ai déjà raconté cette anecdote.
En 1985, j’étais en charge des bandes dessinées pour Okapi, quand j’ai fait la connaissance de Guy qui m’a raconté les secrets de l’eau de jade avant de me la faire goûter.
Je lui ai fait rencontrer un ami dessinateur, Frédéric Boilet,voir portrait ci-contre et tous les trois nous avons commencé l’aventure palpitante de la création d’un album bd. La plupart des images qui illustrent cet article sont tirées de cet album.
Le sujet me touchait de près. Tout naturellement, la proximité qui s’est créée entre nous au cours des multiples séances de travail nous a amené à la vitesse supérieure. Nous avons vécu tous les trois de ces histoires de pouvoir qui laissent un souvenir fascinant.

L’eau de Jouvence
Parlant de l’eau de Jade, exotique et rare, il y en a une plus près de nous qui s’utilise encore dans les campagnes reculées : l’eau de Jouvence. Je lui ai consacré tout un article.
Il existe une eau magique, qui donne santé, bonne humeur et longue vie. Je suis tombé dedans lorsque j’étais petit. Ma mère s’est précipitée pour me tirer de là. Trop tard, j’étais noyé. Tant pis, la vie. Ce sera pour une autre fois… C’est une eau spéciale, facile à obtenir, dont le secret s’est perdu. N’y voyez pas une farce, mais une antique légende qui pourrait bien redevenir une réalité.
Eau lustrale, eau de jade, eau de jouvence, élixir de longue vie, potion magique, soma, ambroisie, eau de rosée, eau réale,qui s’est fait voler son nom par L’Oréal elle porte beaucoup de noms selon les lieux et les époques. Les Hébreux l’appelaient l’Eau des Patriarches. Dans la Bible, les Patriarches sont doués d’une exceptionnelle longévité : 700 ans pour Enoch, 900 ans pour Mathusalem. Cette longévité pourrait bien provenir de ce précieux liquide. Mais elle s’explique surtout par leur origine : les patriarches appartenaient à la race des géants.
À Mahabalipuram, dans le sud de l’Inde, ce bassin circulaire antique semble avoir été creusé avec un outillage moderne. Il est pourtant d’une très grande ancienneté, et les savants d’Inde ou d’ailleurs se demandent bien à quoi ce magnifique bassin pouvait servir. Allons bon ! Mais à se baigner, pardi ! À immerger son corps, tête comprise, dans cette belle piscine emplie d’Eau de Vie. Ces majuscules montrent que je ne parle pas de l’alcool, mais d’une eau particulière aux vertus bénéfiques.

La consécration du vin
Dans ces mêmes années 85, après Guy et Frédéric, j’ai retrouvé l’ami Gilles. J’ai déjà parlé de Gilles, le yogi avec qui j’ai gambadé sur les toits de Paris. En sa compagnie, j’ai vécu un voyage initiatique dans l’Inde des années 70.voir en fin d’article Quinze ans après, il m’a montré comment consacrer le vin. Voici le rituel qui n’en est pas un…
Emplis ton verre de vin rouge, lève-le à la hauteur de ton front. Maintenant visualise une colonne de lumière qui s’élève du verre et monte vers le ciel. Là, dit Gilles, la lumière rencontre l’esprit du vin.
Puis elle redescend. Alors le célébrant – Gilles en l’occurrence – sent un choc très léger dans le verre. Contact établi. Le vin est consacré. Essayez donc, vous m’en direz des nouvelles…
Et là, contrairement à la consécration bidon que font les prêtres, cette consécration bonifie le vin à tel point qu’il semble avoir pris 20 ans de fût de chêne en quelques instants. Ce n’est pas le sang de Jésus Crie mais franchement, c’est bien meilleur. Quand je pense que les curés ont presque tous décidé de remplacer le vin rouge par du blanc. Dur de se dire que le « fils de dieu » a dans les veines du jus de navet…
Eau de quoi ?
Lors d’une réunion d’amis, j’ai eu l’occasion de montrer cette apothéose du vin aux convives. Noémie était étonnée que la chose ne puisse pas fonctionner avec un autre liquide que le vin rouge, comme je l’en avais avertie. Elle a voulu tester la consécration de l’eau. Le rituel effectué, il semblait que l’eau ait perdue sa belle fluidité. Elle paraissait plus visqueuse, épaisse. Ce qui m’a aussitôt rappelé l’eau de jade.
Intuition vérifiée après l’avoir goûtée. Mon amie Noémie venait de ‘faire’ de l’eau de jade en quelques secondes, sans structure pyramidale, sans coupelle en or, ni aucun des objets rituels utilisés. J’étais sur le uc. Hélas, après en avoir chacun bu une rasade, nous n’avons pas observé d’effet particulier, ni sur le temps ni sur une autre perception. Je pense pourtant que nous n’étions pas loin du compte. On peut faire de l’eau de jade avec la méthode de consécration du vin rouge, celle que Jésus a utilisée lors de la Cène. Dans le cas douteux où il aurait existé…
J’ai eu maintes fois l’occasion de faire vivre ce gentil miracle de la consécration du vin, tout en déplorant que les prêtres, qui croient consacrer le vin tous les jours en célébrant leur messe, n’aient pas la moindre idée de ce qu’ils doivent faire pour y parvenir vraiment. Absence de projet, absence de foi, absence de réalité. Ils débitent des formules vides de sens à l’intention d’un dieu mort en qui ils ne croient plus.

Rapide
Le guerrier est rapide. Le sorcier l’est encore plus. Rapidité intérieure, mobilité émotionnelle, fluidité mémorielle. Multiplicité des sollicitations, sûreté de l’analyse, soutien de l’intuition, messages de l’instinct. Le guerrier traque. Il enregistre le moindre détail car sa vie en dépend. Il dilate l’instant, il bourre ses jours jusqu’à la gueule, croque la banane par le milieu, rit aux éclats, éclate de joie, jouit au combat contre soi, risque sa vie sur un chemin pris, tient sa parole et garde son cap.
Vis comme si l’instant présent est ton dernier instant. Capte. Enregistre. Savoure. Délecte-toi. Reviens-y. Rapide. Multiple. Qui trop embrasse est trop content. Ça fait tellement de bien les bisous, les câlins, les caresses ! Le bon côté de la matière.
Le sorcier passe le plus clair de son temps dans la bulle de son temps subjectif. Il creuse, il arrondit sa capsule temporelle. L’expérience et les années font de lui une sorte de taupe du temps qui étend à l’infini son réseau de galeries. Couloirs du temps. Trous de vers dans la trame temporelle. Ou spatio-temporelle ?
Agir multiple
Je fais rarement une seule chose à la fois. J’adore agir multiple. Accomplir quatre tâches en une seule démarche. Je me démène dans un présent qui me malmène à force de m’aimer. Je remercie pour tout ceci. Je n’attends rien. J’agis quand même.
Dans le temps suspendu je glisse. Sur le mur du temps je me hisse. Vertu du vice. Lenteur du grimpeur qui dévisse. Indifférent au précipice. Chance indécente du novice. Rival complice. Dans le temps qui n’est plus je glisse.
La vieillesse est un ralentissement progressif jusqu’à l’immobilité de la mort. Rester vif, alerte, actif est l’antidote au vieillissement. Garder sa rapidité épargne l’énergie qui est utilisée pour augmenter encore la vitesse intérieure.
Le guerrier est comme l’éclair. Il agit sans délai. Ce que son œil voit est transmis à ses muscles sans passer par le cerveau. L’action est immédiate. Ainsi fait la fine mouche.
À force de stocker l’énergie vive, vient un moment où le guerrier bascule dans l’infini. Il a trouvé l’éternité. Tellement le guerrier va vite, le monde s’arrête. Le guerrier est bouddha.
L’éternité dans l’instant
J’ai connu quand j’étais lycéen un prêtre prof de philo en terminale. Il s’appelait Jacques Durandeaux. Un homme hors du commun. Non parce qu’il était philosophe, il faut l’être dans son sacerdoce, ça aide. Ni parce qu’il croyait en dieu, comme ses collègues il avait passé la main, il n’y mordait que du bout des dents.
Le titre de son premier livre est assez éloquent : Questions vivantes à un Dieu mort. Vous vous doutez à quel point ce bouquin a défrisé la hiérarchie cléricale. Surtout que ce gus, fringué en fluo, roulant décapotable, assurait les sermons de carême à Notre Dame de Paris.
Il était très écouté, se démerdant pour rester toujours sous les projecteurs.
Peu après mai 68, il a renoncé à la prêtrise pour se consacrer pleinement à la psychanalyse. Que certains nomment la confession des temps modernes… Un autre bouquin de lui m’a choqué dans le bon sens. Ce livre me hante encore un demi siècle plus tard. Son titre ? L’éternité dans la vie quotidienne.
Ses questions m’en ont amené d’autres. L’éternité n’est pas un état qu’on épouse après la mort, dans je ne sais quel hypothétique paradis. L’éternité n’est pas quelque chose qu’on atteint en cheminant au ventre du temps objectif. L’éternité est ailleurs.

Ultime degré d’éveil
L’éternité est l’ultime degré d’éveil, celui dont je n’ai pas encore parlé. Il est possible de quitter ce plan temporel et spatial pour venir habiter un temps à l’intérieur du temps où tout est présent — éternellement présent. Il faut chercher l’éternité au cœur de l’instant. Et pour ça, la recette est connue. Il suffit de stopper le monde.
Ainsi donc l’éternité est accessible. Mais dès qu’on y parvient, on a stoppé le monde de façon radicale, définitive. On a quitté le plan des vivants. Hors du temps, hors de l’espace sensible, hors de la compagnie de nos semblables.
Finalement, l’éternité, n’est-ce pas le nirvana du bouddhisme ? La description est la même, en tout cas. Quand Bouddha y est parvenu, il a été libéré des chaînes karmiques, il a posé le joug des sempiternelles réincarnations, il a stoppé les mondes. Il a quitté la vie telle qu’on la connaît. Pour aller où ? Le savait-il ?
L’Éternité
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Âme sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.
Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
![Arthur, par SKI Stef Kervor Infographie pour Eden Saga, d'après : Arthur Rimbaud, photo par Étienne Carjat - Close-up from Arthur Rimbaud [1872] - foto de Étienne Carjat, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=13053586](https://eden-saga.com/wp-content/uploads/Rimbaud-ski-1500x900.jpg)
Arthur d’Armor
Arthur plus grand que le roi du même nom, Arthur est l’empereur des sens. Arthur l’enfant poète assassiné par l’homme contrebandier, Rimbaud le trafiquant d’opium en Mer Rouge, d’or en Mer Noire et de charbon en Mer d’Houille.
Sans doute a-t-il écrit tout ce qu’il devait. Le monde s’en contentera. Il a pris son vol et s’est tiré comme on se tire une balle dans le pied. Tant pis pour nous. Mais quel foutu génie précoce !
Et quel spécialiste de l’éternité ! Un sujet difficile. On n’en parle que par ouï-dire, personne ne revient d’outre-tombe pour nous raconter ça.
Les anciens voyants
À part los Viejos Videntes, les anciens voyants. J’ai pondu un article sur l’éternité vue par ces lascars, selon ce qu’en dit Castaneda.
Les anciens voyants du Mexique ont un rapport étroit avec ma définition de la nature de l’éternité. Ils savent que l’éternité est au cœur de l’instant, ils savent qu’elle appartient à celui qui stoppe le monde, mais en plus de ça, ces fabuleux gaillards d’avant ont trouvé le plus sûr moyen d’y parvenir. Je le pratique assidûment…
Et leur truc, c’est vraiment l’éternité dans la vie quotidienne. Et pas seulement imprimé dans un bouquin.
Ils sont parvenus à prolonger indéfiniment leur existence terrestre. Ces voyants-là n’ont pas une confiance illimitée dans l’au-delà. Ils ne croient pas à la vie après la vie. Ils ont acquis la conviction qu’après la mort du corps, l’esprit, l’âme et la conscience s’envolent vers le bec de l’Aigle.
Une fois dévorée, croient-ils, la conscience est dissoute par les sucs gastriques de l’Aigle et se retrouve mélangée à la conscience universelle, prête à être utilisée pour un nouvel assemblage, par un nouvel être, dans un autre monde, lors d’un autre temps.
L’individu perd la conscience de soi. Son aventure s’arrête, tandis qu’ailleurs, on ne sait où, à une autre époque, on ne sait quand, une fontaine blanche recrache un nouvel être qui doit beaucoup au disparu, mais qui doit aussi à d’autres. Et ce nouvel être ne se souvient de rien. Il lui appartiendra de reconquérir ces souvenirs d’outre-tombe, dans l’espoir, par la grâce de la remémoration, d’échapper enfin à l’Aigle dans sa prochaine incarnation.

Les routes de l’Inde 1975
- Bienvenue en Inde
- Sur le lac Dal
- Bom Shankar

- La fête du lac
- La tactique du sadhu
- Le figuier des anges
- Le Tombeau Indien
- Trekking en tongs
- La grotte d’Amarnath
- L’adieu aux Indes
L’âme et la mort
- Mort initiatique
- Le Grand Ailleurs
- Portrait d’un monde perdu
- L’amour inconditionnel
- Le sens de la douleur
- Ton double, ta mort et toi
- La nuit noire de l’âme
- Creuser la vie
- Le couple éternel
- L’éternité en face
- On s’endort
- Ceux qui s’en vont
- L’effusion mystique

- Soyez passants
- La porte étroite
- Merci l’Immense
- La princesse en sa tour
- Mon Graal
- L’Or du silence
- La fêlure entre les mondes
- Le corps glorieux
- Les voix intérieures
- Parole d’âme
- Les deux loups
- Gratitude pour mon pilote
- Le moi supérieur
- L’origine du racisme
- Expérience de Mort Imminente
- Quand la mort vient

Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

