Le troisième cercle

En 1992, j’ai tenu ce journal de mon premier contact avec l’autre monde… et ce qui s’ensuivit.

 

– Chapitre 5 –

Mes visions continuent à nous faire voyager dans le passé lointain, en quête des souvenirs stockés dans la pierre mémoire. A présent nous avons accroché le souvenir d’une jeune fille celte, et l’étrange rituel auquel elle s’adonne sous les voûtes de l’allée couverte. Décidément la Roche aux fées a bien des mystères en mémoire…
 
 
Sous l’allée couverte, la jeune Féline se livre à un rituel qui évoque la magie sexuelle. L’allusion est claire. La grotte — l’allée couverte — est la matrice, et une pierre dressée, source de vertige ou de transe, est la version celte du lingam de Shiva. Deux symboles sexuels aisément identifiables. On les retrouve dans toutes les cultures archaïques.
 

Le lingam d’Amarnath

La chose n’est pas rare. Ni celte. A Amarnath, dans l’Himalaya indien, un pèlerinage shivaïte attire chaque année des milliers de fidèles. Trois jours de crapahut, un col à 5000 mètres, pieds nus dans les neiges éternelles.
 
Au bout, un escalier taillé dans une falaise. Un dernier effort. En haut, c’est Amarnath, la grotte sacrée. Vestige d’avant la Création. Dans cette grotte, papa Shiva a créé le monde. Qu’il en soit loué. L’été, entre la pleine lune de juillet et celle d’août, des moines gardent le sanctuaire. Dès qu’un pèlerin atteint la grotte, ils font tinter un gong. L’écho envahit les vallées. Ceux qui grimpent font une pause et se réjouissent. Ils imaginent leur frère qui touche au but. Puis ils repartent d’un cœur et d’un pied plus légers.
 
 
 
L’heureux arrivant présente aux moines les offrandes rituelles, des graines et des fruits secs, du bois pour le feu qui jamais ne s’éteint. Puis il s’approche d’un bloc de glace. Un stalagmite de deux mètres de haut. La puissance de Shiva.
 
En Inde, ce genre de pierre levée s ‘appelle un lingam. Un phallus… Le pèlerin le touche avec respect. Shiva l’a béni. Ses vœux sont exaucés. J’en sais quelque chose, je l’ai fait.
 

Pierres de guérison

Dans nos campagnes, je suis sûr que cette configuration pierre phallique/grotte vaginale peut se trouver. Et je ne serais pas surpris qu’elle y soit toujours honorée. Il y a des statues qu’on touche. Des roches naturelles où l’on s’assoit. Des pierres levées où l’on se frotte. Des grottes aux parois miraculeuses. Autant de symboles sexuels. Autant de remèdes à l’infécondité…
 
Est-ce le sens originel ? Ces femmes du fond des âges venaient-elles aussi pour être mères ? Je ne le pense pas. La puissance du rite sexuel a marqué l’inconscient des populations locales. Le culte est devenu superstition. Il s’est perpétué longtemps après que son sens profond en fut oublié.
 
Féline, en tout cas, venait y faire autre chose. Une sorte d’entraînement. Un exercice pour affiner le contrôle sexuel. Un training de puissance génitale. Un truc pour devenir tout à fait femme. Tout à fait forte.
 
À plusieurs reprises, on s’est assis au pied du vieux gardien, le châtaignier boulu, à l’endroit où les amples replis du tronc qui lui donnent son nom font comme une vague de bois arrêtée sur un mégalithe. Nous avons tous deux sentis l’ancienneté de ces racines, et la nécessité pour le châtaignier de fixer cette pierre au sol par des liens durables.
 
Sous cette pierre, une énergie puissante est enchaînée. Le genre d’énergie qui donne la chair de poule et l’échine frissonnante. Une force négative est bloquée là-dessous depuis la naissance du châtaignier. Depuis 550 ans ! C’est du moins ce que nous pensions. L’avenir allait nous montrer que nous étions très loin du compte…
 

On entend la majuscule

 
Il est 10 heures. On se replie sur la ferme d’accueil. Jeanne, ravie, repart dans ses confidences. Elle est née tout près d’ici. Sa famille possède presque toutes les terres qui entourent la Roche-aux-Fées. Enfant, elle a joué sous le mégalithe. Elle en sait plus long sur lui que les spécialistes. Sa connaissance ne vient pas des livres. Le Monument, dit-elle. Avec un tel respect qu’on entend la majuscule.

Trop tôt pour l’apéro. Qu’à cela ne tienne ! Elle nous fait visiter son domaine. Une très antique chaumièrevoir photo ci-dessous attire notre attention. Sympa. Gauloise comme tout. La maison d’Astérix. Ses murs, sans soubassement, sont en lattis de châtaignier recouvert de torchis. La toiture à clins était jadis en chaume.

Jeanne ne l’apprécie guère. – Une ruine. Je vais la flanquer par terre.
– N’en faites rien. Vous avez là une authentique maison celte.

Jeff sort son pendule. Il prend Jeanne par le bras : visite guidée. Je les regarde de loin. Jeanne est bouche bée. Jeff lui fait l’article à grand renfort de pendule. Elle hoche la tête. Fébrile, elle gratte le torchis, scrute la charpente, tape des poutres. La voilà qui se met à ranger le souk. Elle extirpe une brouette percée. Soulève la poussière. Tousse. Pousse. Glousse. Prend du recul. Puis elle éclate de rire.

Bien joué, Jeff ! Jeanne est conquise. L’ex-chaumière est sauvée.

 

 

Rouge comme le sang

Depuis, à chaque visite, j’ai constaté l’avancement des travaux. Lentement, sûrement, ça prend tournure. Peu d’argent, beaucoup de récupe et d’huile de coude. Jeanne s’est prise au jeu. Il en vaut la chandelle: une authentique maison celte. Située sur le troisième cercle, à 300 mètres du monument, c’est l’ancienne maison du gardien.

Gardien qui n’est pas un arbre, cette fois. Mais un homme. Un ermite, un sage, un peu mage aussi. En quelque sorte l’ancêtre de Jeanne… Sa chaumière servait de porte d’entrée pour le lieu saint. Son feu était la première halte pour les pèlerins. Ensuite, ils continuaient leur chemin autour de la colline et du temple. Vers un ruisseau, probablement. Jeanne a-t-elle lu dans mes pensées ? Elle montre trois peupliers au fond du swin-golf.

– Là-bas, il y a une drôle de mare. On l’appelle le Bouillant. Parfois, l’eau devient rouge comme le sang. Allez donc y jeter un coup d’œil.

 

Un baptême celtique

Au pied des peupliers, la mare est là, oblongue. Presque rectangulaire. l’eau est sale et vaseuse. Les berges croulent. Les ronces et les orties envahissent les ornières fangeuses.

Alors l’image se fige. Toujours cette impression de mise au point. Je fixe sans fixer. Une scène apparaît.

Tout a changé. L’eau est propre. Couleur de rubis, elle bouillonne en trois points. Sur les berges nettes et fleuries, torse nu, des fidèles s’ébrouent. D’autres se baignent, pleins de vie et de gaîté.

Cette mare était un bassin de purification. La seconde halte des fidèles, sur le cercle extérieur. Je vois un guerrier superbe, nu comme la main, dans l’eau jusqu’à la ceinture. Il descend encore. Il a de l’eau jusqu’à la poitrine. Les mains en coupe, il s’asperge la figure et les cheveux.

Je jurerais qu’il existait un escalier de pierre, un dallage au fond de cette mare… Un sondage pourrait me renseigner. Nos ancêtres avaient sans doute une bonne raison de se purifier là-dedans. Bouillonnante et rouge, cette eau posséderait-elle d’autres vertus moins apparentes ?

 

Bouillant curé

Aucune envie de piquer une tête pour le vérifier. La saleté de la mare dissuaderait le baigneur le plus téméraire. Jeanne a promis de la faire curer. On verra bien… Gamin, j’avais promis de me faire curé. Deux paroles en l’air ?

Il semblerait, oui. Depuis cette époque lointaine, Jeanne a disparu du paysage et c’est désolant. Que voulez-vous ? Tout change trop vite, rarement en mieux. (note de 2021)
 

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L’histoire ne se répète pas, elle bégaie.
Karl Marx