Miguel de Unamuno

Pour la période classique, l’Espagne a Cervantès. Mais pour les temps modernes, Miguel de Unamuno est sûrement le plus grand écrivain espagnol. Ardent défenseur des belles lettres et des justes causes, à la fois poète, auteur dramatique, romancier et philosophe, il conjugue l’amour de la vérité avec une passion pour la langue la plus pure.

Par toutes ces qualités, Unamuno a forcé l’admiration de ses lecteurs au-delà des frontières, et chaque Espagnol lui en sait gré. Une pensée vaste et généreuse, un souci méticuleux du mot juste et de l’expression parfaite, une volonté d’unir et de rassembler ce que l’époque a séparé, Unamuno séduit par sa droiture, même si ses opposants lui reprochent d’avoir manqué de suite dans les idées. Chez lui, ce soi-disant défaut ne s’applique qu’aux petites choses, telles que les idéologies, la politique, les clans, les partis de tout bord.

Un grand humaniste

Plus sage que philosophe, il se range toujours du côté du bon sens, maudissant les menteurs, les hâbleurs et les coupeurs de cheveux en quatre. Il avait tendance à ne jamais tenir sa langue quand la cause lui semblait juste. Dès qu’il ouvrait la bouche au mépris du danger, ni rien ni personne ne pouvait l’arrêter. Même pas lui. On lui en a voulu pour ça.

Je l’ai découvert trente ans après sa mort, tandis que j’étudiais la philo à l’université de Paris Nanterre. Ne parlant pas l’espagnol à mon grand dam, je l’ai lu en français. Traduttore traditore, disent les Italiens. Traduire c’est trahir. Toute traduction peine à rendre compte des beautés de l’original. J’ai adoré quand même. Les idées sont fortes et sans ambiguïté. La prose est belle qui témoigne d’une profonde intelligence comme de la plus vive sensibilité.

En 1936 éclate la guerre civile en Espagne, que l’on peut voir comme une répétition générale, à échelle réduite, de la deuxième guerre mondiale. Certes Franco n’est pas Hitler, mais il y a comme un parfum familier… Cette année 1936 est aussi celle de la mort de Unamuno.

Au plan politique, il s’est trouvé mêlé malgré lui au franquisme naissant. Dès le début de la guerre d’Espagne, le grand homme, épris de justice et de liberté, se prononce en faveur des nationalistes. Mais il a tôt fait de changer d’idée. Il réprouve leurs exactions, tortures, et autres faits sanglants. Il trouve abominable leur cri de guerre « Viva la muerte ! » Vive la mort ? Et puis quoi encore ? Unamuno est dans le camp de la vie. 

Très vite, Francisco Franco et les généraux de la junte fasciste ont tout fait pour l’embrigader, du moins en apparence, dans leur répugnante toile d’araignée. Il a tranché et s’en est exprimé clairement.

 Ni les nationalistes ni les fascistes n’ont trouvé grâce à ses yeux. Unamuno reproche aux deux camps leur violence et leur mépris des existences. Ça lui coûtera son poste de doyen d’université, mais vu les lascars d’en face, il s’en tire à bon compte.

Basque d’origine, Miguel de Unamuno se place résolument au dessus des régions, des provinces, voire des nations. Son camp, le seul qu’il ait toujours respecté, c’est le parti de l’humain. Sa famille, l’humanité. Son école, l’humanisme. Il appartient à une race disparue.

En ce moment même, d’autres auteurs – et je ne pense pas seulement à celui qui vous parle – reprennent ce flambeau où brille l’amour de la beauté et de l’équité. Je n’ai pas dit justice – est-elle seulement équitable ?

Je n’ai pas dit non plus raison, on en a fait l’objet d’un culte qui aveugle. Descartes a joué. Je ne loupe jamais l’occase de balancer des peaux de bananes sous les pas trop assurés des défenseurs du tout-rationnel.

Vous offensez la nature humaine, messieurs-dames les robots coincés. Décrispez-vous, chahutez, retrouvez la cour de récré ! Laissez la raison pure et la logique formelle aux ordinateurs, puisque c’est tout ce qu’ils savent gérer. Demain peut-être, ils s’essaieront à l’imaginaire. La marche est haute encore, et nos positions solides.

Sentiment et raison

Sur cette question du primat de la raison, Unamuno a son mot à dire, et comme toujours il le dit bien.

« L’homme, dit-on, est un animal raisonnable. J’ignore pourquoi on n’a pas dit de lui qu’il était un animal affectif ou sentimental. Il se pourrait que ce qui le différencie des autres animaux soit davantage le sentiment que la raison. J’ai plus souvent vu raisonner un chat que je ne l’ai vu rire ou pleurer. Peut-être pleure-t-il ou rit-il en lui-même, mais à ce compte-là, peut-être qu’une écrevisse résout en elle-même des équations du second degré. » (source)Miguel de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie, traduit de l’espagnol par Olivier Gaiffe (lire)

L’humanisme du 18e siècle a défini l’être humain de façon beaucoup trop restrictive : il l’a défini comme être pensant au lieu d’être vivant. (Claude Lévi-Strauss)

Depuis le temps que je le répète ! La raison n’est pas nette. Penser nous prend la tête. Vivre avec tout son être, ouvrir grand les fenêtres, envoyer les dieux paître, excommunier les prêtres, la raison prend en traître, la raison est prison.

Je ne pense pas, je suis trop intelligent pour ça. (Caligula par Albert Camus)

« Prenez Kant, l’homme Emmanuel Kant, celui qui naquit à Koenigsberg à la fin du dix-huitième siècle, et qui y vécut jusqu’au seuil du dix-neuvième. Dans la philosophie de cet homme appelé Kant, homme de cœur et d’esprit, autrement dit : de cet homme tout court, se trouve un saut significatif, comme aurait dit Kierkegaard, autre homme (et tellement homme ! ) : le saut qu’il y a entre la Critique de la raison pure et la Critique de la raison pratique.

Quoi qu’en disent ceux qui ne voient pas l’homme, il reconstruit dans cette dernière tout ce qu’il avait démoli dans la première, après avoir examiné et pulvérisé par son analyse les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu, du Dieu aristotélicien, qui est le dieu qui correspond à l’animal politique, du dieu abstrait, du premier moteur immobile. A partir de là, il en vient à reconstruire Dieu, mais c’est le Dieu de la conscience, l’auteur de l’ordre moral – le Dieu luthérien, en fin de compte. Ce saut réalisé par Kant est déjà contenu en germe dans la notion luthérienne de foi. » (source)Miguel de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie, traduit de l’espagnol par Olivier Gaiffe (lire)

Comme tout ce qui est pur, la raison pure est imbuvable. Je ne dis pas que la folie soit préférable. Ni enviable, ni même viable. Il s’agit pour le guerrier funambule de se tenir en équilibre sur le fil du rasoir. Il s’agit de choyer nos trésors intérieurs, l’humanité profonde qui nous meut, nous émeut, loin des îlots brumeux, théoriciens fumeux, mathématiciens creux et logiciens affreux.

Tout ce qui est pur est imbuvable. (Paul Claudel)

Je ne dis pas non plus que Miguel a raison, je déplore qu’il se cantonne à l’aimable. L’heure est à l’absolu. S’arracher à la glu qui retient nos folies jolies, nos douces incertitudes, briser la solitude des laissés-pour-foutus, des secrets qu’on a tus. Que fais-tu des fétus que nul n’a reconnus, des doux, des inconnus, de ceux qui vont tout nus, qu’on va bouffer tout crus ?

Sa force est d’être sincère, toujours et contre tout. Unamuno espère et transmet l’espoir. Il ne promet pas le grand soir mais juste à manger et à boire. (musique) Il n’a pas fondé les Restos du Cœur mais il nous transmet son ardeur. On gagne à le lire ou relire avant que le monde n’empire au point de mire et de périr.

Tous mes vœux : Soyez guerriers. Éveillez-vous.

Que nous dit-il ?

Ne vous demandez pas pourquoi j’ai choisi de démarrer 2021 avec l’évocation de ce grand Espagnol. Si l’ombre de Franco, hélas, plane encore sur l’Espagne actuelle, son cœur se réchauffe au soleil éternel de Unamuno. Par son œuvre mais aussi par sa vie dans une période épouvantable il a su donner la mesure aux générations futures. Il mérite d’être lu et reconnu.

Ne pas choisir aveuglément, garder raison et clair jugement, réfléchir avant d’agir et non réfléchir au lieu d’agir. L’action est le mode d’expression favori du guerrier. Il agit sans attendre de résultat de son action, et ne se sent pas offensé si le résultat attendu n’est pas venu. Le guerrier n’est pas le nombril du monde. Personne ne l’est. Le guerrier, lui, le sait.

Soyez dans la lumière puisqu’elle vient en vous. Ouvrez vos cœurs frères et sœurs la nuit meurt les jours allongent ainsi que l’espérance de vie. Et la durée de la pandémie dont on dit que c’est pas fini. Occupez-vous des choses qui comptent vraiment, donnez-vous des ailes.

Je lève ma coupe à ceux qui me lisent et parmi eux à ceux qui vivront deux cents ans. C’est dans les tuyaux. Vous allez en voir des révolutions, des renversements, des modes différentes, des théories opposées, des tsunamis qui se révèlent tempête dans un verre d’eau, je vais bien rigoler de là-haut. Si on me laisse approcher du hublot. Témoins impuissants de tous ces changements, vous ne pourrez que constater que tout redevient toujours comme avant le bain de sang.

Révolution vient du vocabulaire de l’astronomie. En clair, pour faire une révolution, la planète décrit une grande boucle pour revenir à son point de départ. Les révolutionnaires devraient s’en souvenir avant d’égorger.

Allez, youpie, vive 2021, vive la nouvelle norme alitée, vive le con s’il l’est finement, vive le masque, vive le casque, vivent les Basques, vive la recherche, vivent les chercheurs, vivent les trouveurs, vivent les vaccins, survivent les vaccinés.

Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse; puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements.
Honoré de Balzac