La nuit noire de l’âme

 

Je suis une éponge. J’absorbe tout. Un film, un livre, une conversation surprise en passant, et je deviens les personnages découverts, le héros inconnu, le complice indiscret. Ce que tu vis, je le vis aussi. Il suffit que je te voie, que je te sente au loin, je suis toi. Je ne te connaissais pas il y a trente secondes, déjà je t’épouse en astral.

 

Face à l’infini

Les étoiles sont nos témoins. Les galaxies nous accompagnent. Les comètes nous bénissent en passant. Je dis ça comme ça. En astral, il n’y a pas de temps. Je le décris comme l’espace intersidéral parce que c’est celui que j’aime fréquenter. J’y vais sans cesse. Si je redescends sur la terre des vivants, aussitôt j’attrape la maladie de l’éponge. Je capte et je digère.

« Je » est un autre. Beaucoup d’autres. Se font-ils la guerre? Vivent-ils en harmonie? Se connaissent-ils seulement? Savent-ils qu’ils ne sont pas seuls en moi? Sont-ils capables de se côtoyer? Peuvent-ils se dénombrer sans se démembrer? Tous ils veulent la meilleure part de moi. Ils la veulent, ils la volent. Et j’ai froid.

Le souvenir des faits extérieurs de ma vie s’est, pour la plus grande part, estompé dans mon esprit ou a disparu. Mais les rencontres avec l’autre réalité, la collision avec l’inconscient, se sont imprégnées de façon indélébile dans ma mémoire. Il y avait toujours là abondance et richesse. Tout le reste passe à l’arrière-plan. (Carl Gustav Jung)

 

Enchanteur en chantier

Ça dure depuis si longtemps. Petit, je bouffais toutes les nourritures terrestres. Pour le corps, pour le cœur, pour l’esprit, tout fait ventre. Les pédagogues ont un mot pour ça: procédure d’apprentissage. Chez moi, l’apprentissage n’est pas fini. Je suis encore en chantier.

Enchanteur en formation: ralentir. J’accélère au contraire. Vitesse lumière ou mieux: vitesse de la pensée. Plus vif que l’éclair, je croque tout ce qui bouge et je bois sec pour faire passer. Est-ce encore de l’apprentissage? L’apprenti n’est pas sage. Juste consentant. Vilain mot, soit dit en passant.

Quand l’œil fée de mon benefactor a scruté ma place-forte, il a exhumé plusieurs trésors tapis sous le tapis de l’inconscient. Mystères d’Isis, petits mystères. Celui de ma présence sur terre n’est pas élucidé. J’ai quelque chose à y faire, je l’ai toujours su. Impossible de m’en souvenir. Je suis déçu. Je savais ça par cœur quand je n’y pouvais rien, maintenant que je pourrais, je n’aspire que les désirs des autres. Le bon apôtre que je suis fuit la nuit. Pourtant la nuit m’a fait. Et refait.

Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière. (Victor Hugo)

 

C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.

 

 

Racine

C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.
« Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi, je lui tendais les mains pour l’embrasser.
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.
(source)Jean Racine, Le songe d’Athalie

 

Chiens dévorants

Si l’on prend ce texte pour ce qu’il prétend être, on voit une fille aimante qui pleure sa mère tandis que celle-ci subit le dernier supplice. Son corps tout palpitant encore est jeté en pâture à des chiens dévorants. Ou des dragons?

Il t’appartient de lire entre les lignes. Athalie, la fille, est ton chemin d’éveil. Pour y parvenir, tu dois d’abord consommer la séparation d’avec ta mère, qui est ton origine. Rompre avec les habitudes acquises en 20’000 ans d’humanité. Efface-toi du monde. Tourne-toi vers l’intérieur. Choisis la liberté.

Le chemin de la sagesse et de la liberté est un chemin qui mène au centre de soi-même. (Mircea Eliade)

 

Le dieu des Juifs est celui des trois religions du Livre. Tire-toi de ses griffes insatiables. Il te veut dans son ventre. Il peut te déchirer comme il a déchiré ta mère. Il est la meute des chiens dévorants. Il est le dragon qui se repaît de ta chair et de la chair de ta chair. Abandonne-lui la matière puisqu’elle vient de lui. Il ne peut rien contre l’Esprit dont les vibrations sont trop élevées pour qu’un archonte puisse les capter.

Ce que nous appelons matière est de l’énergie dont la vibration est si basse qu’elle peut être perçue par les sens. Il n’y a pas de matière. (Albert Einstein)

 

La putréfaction te déchire le cœur en te libérant de tes peurs. Ton corps n’est qu’un manteau qu’on ôte et qu’on jette. Tel est le corps de ta mère dont le nom est civilisation. On l’appelle aussi castration, invalidation, extinction, disparition.

N’aie pas peur du monde, ami. C’est plutôt le monde qui devrait avoir peur de toi. (Lao Surlam)

 

 

Ténèbres

C’est toujours dans la nuit qu’on peut voir la lumière. Mes dieux qu’il y fait noir! Que l’air est glauque et froid! J’ai marché trop longtemps sur les flancs du volcan, je suis mort. Ou je ne vaux pas mieux. Mille fois j’ai failli glisser dans les ténèbres. Quand le pied se fait lourd, quand le cœur n’en peut plus, ma gorge ânonne encor ce couplet qui t’a plu.

Là, si tu m’avais vu, m’aurais-tu reconnu? Ne dis rien. Trop de noir pour me voir. Trop lointain. Jamais le moindre espoir ni la lueur d’un destin. Je suis un funambule et je vais sur les mains. Tranquille. Bien certain d’être mort. Pourtant j’ai faim encore. Égaré, sans issue, cadavre à mon insu, à quoi me sert de boire? D’absorber tout ce noir?

Par une nuit plus blême où j’ai cru voir l’aurore, il a fallu nager vers le large et couler. La mer m’a recraché. Ce n’était pas mon heure. La bilocation m’a sauvé! À l’instant où j’allais m’engloutir, j’engloutis. J’absorbe mes envies. Je me nourris toujours de la vie, de la mort du seul corps et de cette illusion d’infini. Est-ce ainsi qu’on finit? 

Nul ne viendra pleurer sur ta tombe liquide. Ton corps pourra nourrir les goélands, les crabes. Qui là-haut s’en soucie? Quand ceux qui t’ont connu seront nus sous le drap, qui donc s’en souviendra?

 

Juste à temps

Je suis descendu aux enfers pour voir si j’y étais. Par chance je n’y étais pas. Alors je suis remonté. Sur le chemin du retour, je t’ai vu tomber. J’ai assisté à toute la scène.

En désespoir d’errer, tu as posé ton sac. La pierre qu’il contient te tire et te retient. Pas d’espoir d’en sortir et pourtant! Quelqu’un par les cheveux t’a tiré juste à temps. Oui, tu ne sais ni qui ni quand ni pourquoi ce quelqu’un a fait ça. Non, ce n’est pas moi, j’étais trop loin à ce moment-là.

Tu sais qu’on l’a fait, que tu n’y es pour rien. Moi non plus. Tu t’es cru mort, te voilà rené. Vierge, sans passé, sans attache, sans but. Il t’a fallu du temps, très longtemps, pour admettre ce supplément. Tout peut arriver. Mais tu n’y crois pas.

Tu t’es réveillé juste à temps. Elle est arrivée au bon moment. Elle t’a aimé, t’a ranimé, t’a réparé in extremis. Maintenant tu vas profiter d’une vie éternelle après cette trop courte et trop matérielle vie terrestre. Heureux Archonte.

 

 

Chanson Noire

Mon sombre amour d’orange amère
Ma chanson d’écluse et de vent
Mon quartier d’ombre où vient rêvant
Mourir la mer

Mon beau mois d’août dont le ciel pleut
Des étoiles sur les monts calmes
Ma songerie aux murs de palmes
Où l’air est bleu

Mes bras d’or mes faibles merveilles
Renaissent ma soif et ma faim
Collier collier des soirs sans fin
Où le cœur veille

Il me reste si peu de temps
Pour aller au bout de moi-même
Et pour crier Dieu que je t’aime
Je t’aime tant

Est-ce qu’on sait ce qui se passe?
C’est peut-être bien ce tantôt
Que l’on jettera le manteau
Dessus ma face
(Louis Aragon)
(Léo Ferré le chante)

 

 

Al Kemya

Alchimie vient de l’arabe alkemya, qui signifie la chimie. Au moyen-âge, il s’écrivait alchymie, et j’avoue avoir un faible pour cette variante ancienne. L’alchimiste doit accomplir trois œuvres ou roses, l’œuvre au noir ou nigredo, l’œuvre au blanc ou albedo, l’œuvre au rouge ou rubedo. Mon sujet étant la descente aux enfers, je ne traite ici que de l’œuvre au noir, renvoyant la suite à un autre article.

L’alchimie ou « science hermétique » considère que toute mutation commence par une régression avant de pouvoir s’élever à une qualité plus noble. (source) Tous les initiés doivent connaître ce nécessaire passage aux enfers avant de connaître l’ascension vers le haut astral. Jésus n’a pas fait exception à cette règle, tout fils de Dieu qu’il était. Le christianisme a beau affirmer que Jésus est son Fils unique, nous sommes tout filles et fils de Dieu, si tant est qu’il existe. Les dieux ont existé. La Déesse existe. Mais Dieu? J’en doute.

 

L’œuvre au noir

Il faut d’abord qu’intervienne une séparation, une dissolution, une mortification ou une putréfaction. Il s’agit de la première étape du processus alchimique, de loin la plus difficile, celle qui consiste pour l’alchimiste à dépasser sa propre personnalité pour accéder, un jour peut-être, à son Or intérieur. (source)

La séparation peut faire penser à une lutte Mère-Fils, c’est la raison pour laquelle on la qualifie parfois d’inceste philosophal. (source) Il faut descendre pour pouvoir monter. L’œuvre au noir est cette descente aux enfers. On explore ses racines, et quand on atteint le fond de la piscine, au lieu de taper le fond pour remonter au plus vite, on doit descendre encore. Il y a un double fond. Remonter avant de le trouver est stupide et vain. Il faudra recommencer la descente du nigredo encore et encore, jusqu’à l’accomplissement de la séparation. Le double fond existe. La vie t’y attend. Libre à toi d’en trouver l’accès.

En plus d’être difficile, l’œuvre au noir (ou Nigredo) est une opération risquée : en effet, la dissolution risque d’entraîner la perte de l’essentiel, c’est-à-dire de l’Or lui-même (le principe supérieur, l’Âme). (source)  Cette phase est délicate. Tu t’es détaché, il faut maintenant te dissoudre. Ne se sacrifie que la matière, l’esprit reste intact. Tu erres dans le dédale de ton âme, les parois du labyrinthe sont les catégories de l’entendement si chères au vieux Kant: tu incantes, ça décante et tu prends la sécante. La clé des chants posée dans l’herbe des prés vue de loin vue de près sera toujours la clé. Par terre, elle sera clé de sol. Pour une clé des chants, le déchant s’impose.

Puis vient la mortification, où l’adepte se sacrifie, se scarifie, se vivifie par la souffrance de l’esprit, du cœur et du corps. Le soufre est une puissante matière alchimique. Brûler de l’encens est à la mode, il faut pourtant savoir qu’il y a quatre sources purifiantes : l’encens, le soufre, la myrrhe, la sauge. N’en brûler qu’une seule n’atteint pas la pureté. Il est utile de brûler les quatre en alternance, ainsi que l’enseignent, entre autres, la Gnose et l’Alchimie.

La putréfaction est un retour à la terre et à l’humide. Il a toujours une étroite correspondance entre la pierre philosophale, capable de changer le vil métal en or, et la recherche de l’or intérieur, c’est à dire la sagesse et la sérénité de l’éveil.

 

 

Les trois roses alchymiques 

Séparation, dissolution, mortification, putréfaction décrivent les quatre phases du Nigredo. Ensuite l’Albedo puis le Rubedo s’ouvriront pour toi, en toi et par toi.

-le nigredo (qui signifie « noirceur » en latin) ou Rosa Nigra consiste en l’extraction de l’âme humaine du corps : l’individu brise ses chaines et abandonne sa prison mentale ; il en résulte une déconnexion momentanée de la matière,

-l’albedo (qui signifie « blancheur » en latin) ou Rosa Alba décrit l’émergence et l’avènement de l’âme subtile. En effet, la déconnexion de la matière a eu un effet instantané sur l’âme : l’ego (gardien du mental) a perdu son utilité, il s’est évaporé, laissant ainsi la place à l’âme subtile,

-le rubedo (qui signifie « rougeur » en latin) ou Rosa Rubea consiste en une réconciliation de l’âme humaine, autant avec la matière qu’avec le Principe supérieur. L’âme atteint son plus haut niveau de conscience : elle se donne totalement au Feu et à la Terre. Au final, toutes les composantes de l’être ont été réintégrées, harmonisées.

 

Le pouvoir absorbant

Quand les trois roses sont cueillies, le pouvoir absorbant de l’éponge atteint son maximum. Il peut encore augmenter, du moins je l’imagine, n’ayant pas encore atteint ces contrées très élevées. Ta capacité d’absorption est extensible à l’infini sans doute, si l’infini a un sens s’agissant d’êtres aussi petits que nous. Ta capacité mémorielle, elle, est infinie, j’en suis certain.

Notre base de data s’agrandit tant que perdure et s’accroit le besoin d’absorber. Cette banque mémorielle ne porte que sur l’esprit. Toute matière en est bannie. À quoi servirait-elle? Il suffit d’un programme pour te reconstituer n’importe où en prenant la matière où elle est.

Tu n’as besoin de ton corps pour traverser les espaces infinis de l’intersidéral si désirable et sidérant. Résiste à la sidération. Aussi vaste que soit le multivers, ton esprit est plus grand que lui. Souviens-toi que tu as créé le Big Bang et comprends que le multivers tout entier tient dans le creux de ta main. Ce qui te fait peur, ce n’est pas ta faiblesse. C’est ta force, c’est ta grandeur, c’est ta lumière que tu crains le plus.

Dans l’infini, le corps est aussi inutile que l’argent. Mammon en est banni. Seule importe la supra conscience, et ce tocard n’y a pas accès. Ayons une pensée pour ses adeptes qui amassent l’argent tant et plus, toujours plus, et encore un peu plus! Plaignons ces tristes sires quand ils vont découvrir qu’un linceul n’a pas de poche et que l’infini est gratuit.

 

 

Léonard

C’est en sciant que Léonard devint scie, c’est en absorbant que je vous régurgite mes trouvailles. Je me balade sur la ligne de temps, je chope au passage tout ce qui captive ma clairvoyance, je capte sans capituler. J’avale en aval, je gère et digère, je transforme et j’informe. 

Je n’ai pas de plan secret, pas de but inavouable, je ne cherche pas d’émule ni de disciple, je n’ai aucune envie de vous dévorer. Je suis un petit homme et ça me suffit. Je n’ai rien d’un archonte, ni d’un putain de reptile. On a sa dignité. Mais sans ce pouvoir d’absorption sans limite, il n’y aurait jamais eu Eden Saga. C’est comme ça.

Et si je n’étais pas descendu aux enfers, il n’y aurait jamais eu d’absorption. Que la nuit noire de l’âme éclaire ta route! Et la supra conscience fera la différence.

La religion est pour ceux qui ont peur de l’enfer. La spiritualité, pour ceux qui y sont déjà allés. (Lee Stringer)

 

 

Et si vraiment Dieu existait,comme disait Bakhounine,ce camarade vitamine, il faudrait s’en débarasser.
Léo Ferré