« Je hais les voyages et les explorateurs », c’est ainsi que débute Tristes Tropiques, le plus célèbre livre de Claude Lévi-Strauss.  Explorateur, il a voyagé toute sa vie. Alors pourquoi tant de haine ? Tout simplement parce que voyager, c’est toujours exporter nos valeurs, quitte à détruire celles des autres. 

 

A l’évidence, les primitifs ne vivent plus dans l’âge d’or. Car s’ils sont beaucoup plus proches de la nature que les civilisés, n’oublions pas qu’ils sont au Kali Yuga comme nous. Ils en supportent les ondes lourdes, eux aussi. Par ailleurs qui peut encore croire que l’âge d’or fut celui du bon sauvage ? Pour mémoire, le mythe du Bon Sauvage date du 18e siècle, développé par Diderot dans son Encyclopédie. Il prend son origine dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau qui soutenait que l’être humain naît bon et pur, et que c’est la société qui le corrompt et le rend mauvais.

Cette thèse un peu simple, voire simpliste n’est pas morte avec Diderot et Rousseau. Premier retour du mythe dans les années 1970, quand le western a cessé d’être côté cow-boy pour passer côté indien, avec Little Big Man par exemple. Les mouvements hippie, baba-cool et végé-bio ont accentué le processus. N’est bon que ce qui est naturel. Vive le sauvage, vive le bio, vive le sain, le vrai, l’état sauvage, le naturisme et tout ce qui s’ensuit. Les vieux s’en souviennent, le camping sauvage, c’était la préhistoire du Club Med : sans les Bronzés, mais avec Jeremiah Johnson et Dersou Ouzala.

 Quitte à choquer les adeptes, il ne faut pas s’imaginer que notre espèce a démarré dans la sauvagerie. Je sais que la thèse officielle l’affirme, mais cette thèse est fausse. Elle repose sur un malentendu, le mythe du progrès. Pourquoi croire au progrès ? Notre saga montre un tel déclin ! Les protohistoriens ne regardent pas dans la bonne direction. Il faut remonter le temps pour trouver l’ère des merveilles.

Nous avons été maternés, élevés, éduqués par des êtres supérieurs, que nos mythologies ont nommé des dieux, et que l’ère moderne a transformé en un dieu unique. Erreur considérable. S’il est possible d’admettre que l’espèce humaine soit le résultat d’une manip génétique effectuée par des savants venus d’ailleurs, il paraît antiscientifique et pour tout dire présomptueux de supposer que le dieu unique, l’être source, ait pu venir chez nous pour nos beaux yeux. N’aurait-il pas autre chose à foutre, le Big One ? Quel orgueil démesuré chez les petits êtres éphémères que nous sommes !

Une civilisation très ancienne, extrêmement puissante sur les plans scientifiques et technologique s’est penché sur notre berceau. Voilà qui explique un bon paquet de chaînons manquants dans l’évolution darwinienne. Ils nous ont créés développés et développeurs, habiles et habillés. Nos premiers ancêtres vivaient dans des villes volantes. Le déclin est arrivé quand les « dieux » sont repartis.

C’est pourquoi le développement ultime de notre espèce se trouve à son origine. Ensuite, le temps et l’érosion ont fait leur œuvre, conformément au deuxième principe de la thermodynamique, l’entropie ou dégradation.  Si l’énergie est conservée, toute organisation se dégrade. Ceux qui croient encore au progrès humain feraient bien d’étudier la question. Si l’on veut trouver un développement technologique avancé, il faut remonter le temps, encore et encore. Tant qu’on trouve de la barbarie, on n’est pas remonté assez loin. 

 

 

Dès l’âge de Bronze, on trouve des traces de développement technique, et plus encore à l’âge d’Argent. Plus on remonte dans le temps, plus les indices technologiques sont manifestes. Du coup, nos primitifs actuels sont plutôt des rescapés d’un cataclysme qui seraient retournés à l’état de nature. Ces pseudo-primitifs sont des « seconditifs ». Et nous des « tiercitifs », ou plus que ça. Les pseudo-primitifs sont des développés qui ont souhaité renoncer au développement technologique pour revenir à la nature. Ils sont atteint de ce que j’appelle le syndrome de Mad Max. Retour à la nature, solidarité tribale et prise en charge des faibles par la collectivité.

Pas d’impôts, pas d’état central, pas de lois, pas de forces de l’ordre. Mais la tradition, non écrite, et l’arbitraire d’un chef héréditaire. C’est leur choix, mûrement pesé, en accord avec la mémoire de leurs anciens, celle de leur légendes et celle de leurs gènes. Ils n’ont pas oublié. Je ne sais quel abruti a dit que le problème de l’Afrique c’est qu’elle n’est pas assez entrée dans l’histoire. Quelle histoire ? Celle, racialiste et raciste, écrite par les Blancs et centrée sur les Blancs ?

Tandis que nous sommes frappés d’amnésie sur nos origines, les sauvages se souviennent que le développement conduit à l’esclavage. Pas fous, les Papous. Ils préfèrent rester libres. Ils savent que pour offrir une haute technologie et un luxe tapageur à une caste de privilégiés, appelons-les des dieux, de nombreux pauvres triment à l’usine. Ils ne veulent pas entrer dans notre moule, ils ne veulent pas se transformer en chiens de garde, en écureuils tourne-roues, en bœufs de labours ou en singes savants. Pendant que les riches, les dieux, les géants profitent d’une existence de rêve en se payant des psys pour exorciser leurs cauchemars.

Sans succès, le plus souvent. Jusqu’au jour où nos nouveaux « dieux » feront tout péter. Et sans le prévoir, ce coup-ci. Ce qui nous ramènera à la case départ : tous des sauvages. De quoi les peuples premiers sont-ils les témoins ? Sans doute, les Pré-diluviens, scientifiques de pointe, pétris de hautes technologies, n’ont qu’un lointain rapport avec les Papous ou les Masaïs. Et pourtant un lien les unit qui s’est rompu entre eux et nous. Le chamanisme. Le Temps du Rêve.

 

 

Cette puissance de l’esprit se manifeste, identique, chez tous les peuples premiers… Tant qu’ils n’ont été privés ni de leurs racines, ni de leurs traditions, ni de leurs lieux de pouvoirs, ils garderont cette puissance intacte. Après, c’est une autre histoire. La nôtre.

Il y a des animaux sauvages et des animaux domestiques. Les oies sauvages sont les oiseaux qui montent le plus près du soleil. Dans leurs vols migratoires, certaines d’entre elles volent par dessus le Toit du monde, l’Himalaya. Les oies domestiques ne volent pas, elles se dandinent en tortillant du croupion. Pour les hommes, c’est pareil. Les Bushmen, les Yanomanis ou les Abos sont de magnifiques sauvages. Des hommes entiers. Proches de leur mère la terre.

Ils ont tout ce que nous n’avons plus, nous autres, les domestiques. La genèse sumérienne nous raconte pourtant que nous avons été créés, fabriqués par des êtres plus puissants qui avaient besoin de main d’œuvre. L’être humain est domestique par essence. L’état sauvage est le résultat d’une évolution, c’est la prise de conscience que la technologie n’est pas forcément la clé du bonheur.

 

 

Disposer librement de son temps et de ses rêves, voilà ce que nous envions dans l’état de nature. 

La dictature parfaite aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. 

Aldous Huxley

 

Xavier Séguin

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