J’ai fait des foules de choses dans cette vie. J’ai connu une foule de gens. Beaucoup d’amis ont disparu. Certains n’ont fait que croiser ma route, d’autres se sont perdus corps et biens dans la pénombre de l’oubli. Ces montagnes de moments arrêtés à jamais sous le fixatif du souvenir, ces instants figés en plein vol, ces phrases qui reviennent isolées, plumées, parées par la mémoire, un jour j’ai trouvé le moyen de les remettre en marche.

 

Je vais tenter une fois de plus de te dire comment. Retrouve d’abord un de tes souvenirs. Contemple l’image fixe et entre dedans. Tout simplement. Comment devient-on passe-muraille ? En se cognant longtemps la tête contre les murs. Un jour le mur s’ouvre. On peut voir à travers. On passe par le vide infini qui sépare les atomes. On se retrouve de l’autre côté. C’est aussi simple que ça. À condition de stopper le monde.

 

Bienvenue dans l’autre monde

À partir de ce moment, l’image fixe a disparu. Qu’importe ? Ce n’était que la porte. Bien des facettes de toi-même attendaient que ce moment arrive. You were only waiting for this moment to be free. (musique)

Te voilà prêt pour la grande aventure. Tes retrouvailles. Tes épousailles. Tu vas bientôt ne faire qu’un seul être, investit d’une puissance et d’une sérénité que tu ne peux pas même imaginer. Prêt à l’ultime rencontre, la rencontre avec toi.

Ton pire ennemi, prends-le dans tes bras. Ton meilleur ami s’en réjouit avec toi. Te voilà investit d’immenses pouvoirs que tu ne peux pas dénombrer. Te connais-tu pour ce que tu es ? Ce que tu as toujours été ? Au-delà des fantômes du réel, au-delà de l’irréalité quotidienne, au-delà de la folie banale qu’on appelle vie sociale, au-delà de tout, au-delà surtout du mensonge permanent que l’Inde appelle illusion. Beware of Maya ! (musique) Habile déesse qui est partout, habille tout, maquille tout, tourne tout à son goût et te force à y croire.

Tu tiens dans tes mains le moyen de réconcilier la foule de tes différents toi, tes anciens moi que tu pensais effacés à jamais. Alors tu pourras profiter de leur expérience oubliée. Tu as vécu de nombreuses vies en une seule. Un peu de ton énergie vitale est bloquée dans ces vies passées. Attention, je ne parle pas des vies antérieures – quoique ça se passe pareil pour elles. Je parle des tranches de vie qui se sont succédées, dont le simple collage a formé ta vie.

 

À ta recherche

Tranches de vie oubliées, méconnues, floues… Dans ton premier souvenir, quel âge avais-tu ? Trois ans ? Bravo. Certains ne se souviennent de rien avant sept ou huit ans. Inquiétant. Là où ne va pas, quelque chose nous en empêche. Quelque chose en nous. Danger. Va voir ! Non. Nous ne voulons pas y aller. Si tu évolues en astral, si tu es passé de l’autre côté du miroir déformant qu’on appelle le réel, alors ces questions-là sont déjà réglées.

Tu te souviens de la vie intra-utérine, quand tu étais fœtus dans le ventre de ta mère. Tu te souviens de l’entre-deux-vies, de la spirale d’incarnation, de la lumière qui jaillit de ces deux êtres qui s’aiment et qui t’attirent, qui t’attirent, et wooof ! Tu t’incarnes dans l’ovule au moment précis où le spermatozoïde y pénètre. La mère accueille le père et ils attirent l’enfant.

Avant ? Oui, tu peux remonter avant. Revivre à rebrousse-poil la vie d’avant, quelle qu’elle fut, retrouver l’entre-deux-vies quand tu planes en astral, l’autre monde qui nous est accessible dans celui-ci. Je peux te montrer la porte. Je peux glisser ma chaussure dans l’embrasure  et forcer pour que tu puisses passer. Mais la décision de passer, l’engagement ultime, la volonté absolue, l’acte décisif viendra de toi, et de toi seul.

Il n’y a qu’un seul coin de l’univers que vous pouvez améliorer à coup sûr, c’est vous-même.

Aldous Huxley

 

 

 

Seul au monde

Tout se passe comme si tu étais seul au monde. Comme si tu inventais le paysage, les gens, ton travail, ton environnement, tes amis, tes parents, les êtres les plus chers comme ceux qui font partie du décor. Tout ça est faux. Bien fait, ah ouais, super chiadé, mais totalement bidon. C’est toi qui as tout inventé. Tu n’y crois pas ? Essaye voir de prouver le contraire. Impossible. Comme l’argument de Matrix, on est dans une impossibilité métaphysique. On ne peut pas invalider la thèse. Prouver le contraire est impossible. On l’a dans l’os à moelle.

Que tu me crois ou pas – ou mieux, les deux – il est tout à fait possible que rien n’existe. Sauf toi. Pourquoi ? Parce qu’il faut bien qu’un témoin donne la vie au monde. Il faut un spectateur pour que l’univers prenne vie. Le spectateur est aussi l’acteur, l’acteur est d’abord l’auteur. Le créateur. Tu te rends compte ? C’est TOI qui a créé tout le bazar. Je ne dis pas que c’est sûr, rien ne l’est. Je dis que c’est probable. Je dis que tu inventes tout ce que tu crois voir, vivre, goûter, sentir, toucher… Tous les livres que tu as lu c’est toi qui les a écrit. Toutes les histoires entendues sont de ton cru. Eden Saga ne serait pas sans toi, quelle imagination ! Ça troue le fion.

Partout où tu passes, le néant trépasse. Le décor se met en place, les figurants se mettent en mouvement, le réal se met à gueuler silence ! et les techos cavalent en tous sens. Un tournage dont tu es le héros. Un film écrit par toi, produit par toi, filmé par toi, monté par toi. Tu as eu mille femmes et mille hommes. Si tu vis assez longtemps tu peux tripler ce chiffre. On se revoit dans mille ans, rendez-vous à Milan. Est-ce qu’on peut choisir le lieu et l’époque de nos retours ?

 

Retour vers le futur

Nul ne connait ni le jour, ni l’heure. Vu qu’on ne sait pas prévoir son départ, ça m’étonnerait qu’on choisisse quoi que ce soit, sauf le ventre maternel où on s’incarne. Voyager dans le temps est bien pratique quand on fait comme moi métier de conteur du passé. Mais la ligne de temps va aussi vers le futur.

Le futur, comme le passé d’ailleurs, se sépare en plusieurs rameaux, comme le foudre de Zeus. Oui, le foudre, et pas la foudre. Voyez l’article en lien.

Chaque rameau représente un futur possible, voire probable. Mais rien n’est stable dans la marche du temps, puisque le temps n’existe pas. C’est une illusion, comme tout le reste qu’on tient pour réel. Seul le présent compte, univoque, certain, absolu. L’instant présent, ici et maintenant. Tout le reste est légende.

Le passé ? Il se ramifie aussi, à l’infini. Ici je vous raconte une autre histoire, elle aussi sujette à caution. Tout a pu arriver – sauf, très probablement, la version usée des manuels scolaires… Et ce que je vous raconte par la même occasion !

L’histoire est une fable convenue.

Napoléon Bonaparte

Vois ce poing serré sur un faisceau de possibles, qui s’élargit vers le haut pour figurer les futurs hypothétiques, et vers le bas pour désigner les passés probables. Entre les deux, la main les tient. Main-tenant quoi ? Le présent, seule certitude qu’on ne pourra jamais m’ôter.

C’est une interprétation possible du symbole que montre l’image ci-dessus, et qu’on retrouve sur de nombreuses poteries, fresques ou sculptures antiques. Les Grecs et les Romains, notamment, ont usé et abusé de ce symbole. Certes, le faisceau au poing représente le plus souvent Zeus lanceur de foudre, mais il montre autre chose qui échappait sans doute aux peuples antiques. Une leçon divine sur la nature du temps.

Un auteur a écrit que le temps était en forme de spirale. Moi je dis qu’il ressemble à ce poing serrant un double faisceau symétrique, hier et demain tenus par aujourd’hui. Main qui tient les faisceaux du futur comme ceux du passé. Au creux du poing fermé, plus de faisceaux, juste l’instant présent. Arrêt sur image. Éternité figée.

Le temps passé n’est plus et le futur n’est pas / Et le présent languit entre vie et trépas / Bref, la mort et la vie sont en tout temps semblables.

Jean-Baptiste Chassignet

Arrêt sur image ? Dites, ça ressemble à une photo, non ? Une image retrouvée ouvre la porte du temps perdu. Pas besoin de madeleine, cher Marcel. Photo des jours heureux qui ramène sa rengaine amène, un soir en scène aux bords de Seine, badauds obscènes matant sans gène un corps de reine en volupté sereine.

Ou d’autres photos moins glauques. Comme celle qui suit, souvenir figé des Rencontres d’Erquy. Reprendront-elles ? Peut-être bien. Les meilleures choses ont-elles une fin ? Vraiment je n’en sais rien. 

J’ai adoré, c’est passé trop vite, tant de moments intenses dont il ne reste qu’un souvenir confus, les huit séjours se mélangent, les couleurs changent, les sons s’arrangent, les séquences se dérangent. Nous étions comme des anges. Automne, hiver, printemps, été et encore automne. Ceux qui s’étonnent perdront la donne. Dur-dur. Elle est bien bonne.

 

 

Xavier Séguin

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