Vieux Patate démasqué

Finalement il a disparu pour de bon, au coin du boulevard et dans la petite rue. Il a quitté la ville, il a quitté ce monde aussi, il est parti sans laisser d’adresse, il n’en avait jamais eu. Je l’ai revu longtemps après, mais j’en doute encore. Trop singulier. Comme lui…

Entre barges

Il s’en fou le vieux con. Il a toujours été cinglé. Mais quand je l’ai retrouvé chez moi, dans mon phare, j’ai trouvé ça doublement bizarre. Bizarre qu’il vive à la campagne, l’air pur lui foutait des pustules. Bizarre qu’il n’ait pas pris des rides, étrange étranger, il est resté le même qu’il y a cinquante ans. Moi par contre j’ai pris cher. Je fais le double de son âge.

Non que je sois jaloux, j’y crois pas, c’est tout. Je me dis ça pue l’hallu,6 nations le sale mirage banal, mon canal ordinaire. J’ai jamais eu les pieds sur terre, aussi j’ai pris la mer. Sur un caillou on sent moins les vagues – sauf quand on se les prend dans la face. J’ai toujours eu la tête ailleurs – me demande pas où, j’ai jamais su. N’empêche que ce vieux de la vieille a l’air bien plus jeune que moi, qui ai l’âge d’être son petit-fils. Ça sent le paradoxe temporel à plein pif. Comment il a fait ça ? J’en sais rien. Viens, donne-moi la main. (écouter)

Allons au verger Simone. C’est pas la saison, je sais bien, ça fait rien. On mangera des nèfles. Je déconne encore. Quel verger ? Sur un rocher battu par les lames ? Je m’égare, mon parnasse. Il fait grand beau, la mer est en feu, la côte est brûlée. Mmmh ! Un bonne boutanche de Côte Rôtie ! Je m’égare encore et sans garde-corps. Aventure, quand tu nous tiens ! Viens, donne-moi la main. (ré-écouter)

Le plus fort dans tout ça, c’est pas lui, c’est moi. Il est mort depuis toujours, dites-moi que je ne l’ai jamais connu. Ni vu. Rien que des hallus. Des bouquins que j’ai lu. Il est sorti tout armé de ma tête dure, un beau jour que j’allais dans le mur. À quoi ça sert de chercher à comprendre ? Quand c’est fini, c’est fini. (écouter) Comme dans la chanson, le soleil s’est levé demain, j’étais toujours ici. Dans la lumière, il n’y a rien à voir. C’est ça l’histoire.

Et son affaire ne manque pas de nerf, imaginaire de mercenaire, moisi d’accord, mais couillu d’abord. J’ai tout avalé. Ça m’a calé. J’ai dégueulé. Puis dévalé dans la vallée, pour rigoler. Pour m’en aller en mer salée. M’y installer. Tout déballer. En vain. J’ai rien. Sain d’esprit, mort de corps. J’y suis encore. Tout est raccord, sauf le vieux porc qui schlingue à mort. Dieu qu’il est gore ! Un esprit vain dans un porcin. Tout nu ça craint dans les embruns. Ne changez rien. Je suis trop bien.

Revue de détail

Même si tu revenais, je crois bien que rien n’y ferait. Vieux Patate est mort à jamais. Et pourtant… Pourtant je le sens bien vivant. Bien puant. Bien revenant. Bien gonflant. L’enflure ! C’est quoi c’t’affure ?

Et pourtant, j’avais déjà tous les éléments depuis longtemps. L’humaine nature est ainsi faite que les détails très évidents sont souvent les plus ignorés. On s’accroche aux détails insignifiants, on pinaille, on ergote, on se chamaille sur des broutilles, la solution nous crève les yeux mais demeure invisible. C’est risible.

N’empêche que c’est vrai. Je l’entends tout le temps. Tous les jours que Dieu fait le Vieux est là. Patate me parle comme s’il était devant moi. J’entends sa voix bancroche dans ma caboche qui rabâche à la bêche et débouche une cibiche en chuintant portugèch. Enfer ! C’est quoi c’t’affaire ? Souvenir de Chine, début de la route.

Tout commence à Macao. Colonie portugaise à l’époque, début des seventies, on y débarque Micha et moi après un baptême de l’air qui a duré plus de trente heures. Et qui coûtait deux mois de salaire. Nos maigres économies y sont passées. On a dû bosser des mois comme des bêtes pour se payer le billet de retour. Le bout du monde était vraiment très loin à cette époque. Hors de portée. Il s’est beaucoup rapproché. Trop peut-être ?

L’enfer du jeu

Pendant de longs mois d’exil, Macao a concentré les extrêmes. La beauté, la laideur, l’attrait et l’horreur des tristes tropiques. Heureux comme un poisson exotique dans les mers chaudes, malheureux comme un crouton derrière une vieille malle coloniale. Oui, ma foi, pour moi la route a commencé comme ça. Une année scolaire en enfer. Prof de français langue étrangère. Collège de filles et de prières. Au jeu d’enfer on peut s’en faire. 

À tout perdre on y reste. C’est la nuit, c’est la peste. Tue l’ennui, tourne veste où la magouille empeste. Des mois de bois, peinture écaillée, ville abandonnée aux pirates, ils ont quitté la mer de Chine pour débarquer sur ce rocher. Les Portugais apprivoisés les ont laissé s’y installer. Commence alors le trafic d’or et de pucelles, catalogue de putes dans les hôtels de luxe, filles nues encagées rue de la Félicité, Macao est une cité débauchée, désaxée, délaissée, dégueulée par un ivrogne au milieu de la chaussée.

Tristes Tropiques. Ça craint, ça pique. Chaos Macao. Sordide à gogo. Sinistre tableau. Se peut-il que j’ai… ? Marqué à jamais ? Dégoûté d’avoir ? Pressé de savoir. Il se fait tard et j’en ai marre. Je vous balade à droite à gauche, visiter des lieux de débauche, des lieux clos, des bas-fonds glauques, des caniveaux, des égouts, des puits; visiter à la ronde les trous du cul du monde; pur plaisir des yeux, dur plaisir des vieux; c’est gentil quand on y passe, mais s’il fallait y rester…

Charlie

À jamais j’y reste. Pourtant c’est la peste. Je reste accroché sur ce vieux rocher battu par les vents, bu par les courants, fouetté par l’écume, noyé par les brumes, frappé comme enclume au martel des lames, j’y perdrai mon âme, et pourtant j’y tiens. Mal y vient, triste lien, terrifiant maintien.

Tout ça pour ça, comme on dit chez Je Suis Charlie. Une vie d’essais-erreurs, mille à l’heure au compteur, un poil baroudeur, mais surtout rêveur. Il me fallait un double ad hoc. Cascadeur de choc. Pas le bourrin du paddock. Un capitaine Haddock enlevé sur les docks.

En futal cradoc et manteau d’époque, ce vieux-là n’est pas toc. J’ai bien choisi mon phoque.

Ce qui compte, c’est l’ambiance. La mienne a tourné rance. Le phare était intense, il est petit, si gris, pris d’assaut par les eaux, ça peut paraître idiot je ne m’y plais pas trop. Pourquoi y aller ? Les jours et surtout les nuits d’hiver me pèsent énormément. Les nuits et surtout les jours d’été me donnent envie de pleurer. Prisonnier de plein gré.

Totalement siphonné

Encore le vieil Hénoch qui se rappelle à mon passé. Assez. Qui a besoin d’un guide pour l’aider à grimper ? Pépé. Suis-je un plant de glycine à pleurer mon tuteur ? Menteur. Trop seul dans ma tour, envie d’amis autour. Amis oui. Gourous non. Mon guide est intérieur, mon tuteur l’est aussi. C’est ma kundalini, ma colonne de vie, mon chemin d’énergie. C’est moi, ce n’est pas lui.

Suis-moi si tu veux, sois toi si tu peux. Il n’est de plus grand bonheur que d’ouvrir en grand son cœur. Aimez toujours, vos jours sont courts. Vos étés sont comptés. Quand le temps court, vive l’instant. Le spot sans temps. L’éternité. Mitée ? J’ai rien bité.

Triste temps, triste mœurs, triste à dire, encore plus triste à lire. La vérité m’oblige – je suis son obligé. J’obéis. Je le fais savoir de la façon qui me semble optimale. Où est le mal ? Tu vas devoir de creuser la caboche. Moche. J’ai donné le truc au début, c’est là que ça se tient. Mais au début, c’est à la fin. Relisez bien.

-Merde ! -Mange. Dialogue de CM2 qui de mon temps s’appelait la 7e. J’y fus brillant, pour une fois, grâce à Loulou ma mère qui m’a selon ses mots poussé l’épée dans les reins. Ça veut dire bachoter toute l’année dans l’espoir de réussir l’examen d’entrée en sixième. Sérieux comme tout, c’t’affaire. J’en avais rien à faire. Et à Pâques, l’examen d’entrée en sixième est définitivement supprimé. Vacheté ça craint, j’ai bossé pour rien, bon premier haut la main et même pas d’examen. Ça m’a guéri des premières places jusqu’à la fin de mes classes. Ça m’a appris à simuler. À gueuler. À reculer. À dégueuler.

On prenait l’air satisfait mais en avait rien à secouer. Dès l’école primaire on savait faire semblant d’être con faire semblant d’être content. On cultivait l’hypocrisie, le mensonge, la manipulation, jusqu’à devenir expert en faux, qui va du faux-cul à la fausse modestie en passant par le faux-frère. Tout pour plaire.

Incendiaire. Pompier pyromane. Enchanteur enchanté. En chantier, oui, aussi. Qui se dira fini ? Chacun est perfectible. Pas se tromper de cible. Le contraire est nuisible et son parti, risible. Vingt-trois morceaux du présent puzzle attendent que tu leur coupe la tête. Et du bouquet de crânes alignés en bon ordre un secret va sortir que tu connais déjà.

 

C’est peut-être le coeur qui s’ouvre, baby groove.
Michel Jonasz