Retour au Palais des Songes

 

Il est un lieu que nous connaissons tous. Un lieu inoubliable dont peu se souviennent. Plus rares encore ceux qui peuvent en parler. En bon aide-mémoire, je veux ici jeter une autre bouteille à la Mer d’Amnésie, dans l’espoir que ce récit rappelle vos propres souvenirs.

 

Cristal qui songe

Cristal qui songe, a rêvé Jodorowsky. Moebius l’a mis en images. Ce fabuleux cristal rêveur m’a inspiré des années avant que j’en trouve le chemin en toute conscience. C’est un palais gigantesque. En astral bien souvent j’ai tourné autour jusqu’enfin m’y poser. M’y reposer. Quel édifice fabuleux ! De loin on ne remarque pas ses dimensions. Plus on s’approche, plus elles se révèlent écrasantes. Inhumaines.

Elles sont divines. Ce cristal gigantesque a la forme d’une pyramide suspendue dans l’espace immédiat. Une pyramide transparente qui diffuse une douce lumière. On ne peut la voir qu’en astral, on ne le connaît qu’en rêve, mais on la connaît tous très bien.

 

La source des rêves

Parfois la lumière de la pyramide semble s’éteindre, et l’univers tout entier basule dans la nuit des siècles. Parfois elle devient vive et crue, si vive qu’on ne peut en supporter l’éclat. Ou bien elle apparaît terne et grise comme du béton. D’autres fois la pyramide apparaît comme une falaise transparente, très vivement éclairée, dans laquelle rien ne peut demeurer caché. Il semble que cette lumière soit celle de la connaissance et que cette pyramide soit la source de tous nos rêves.

Cette pyramide étincelle. Grande comme un monde, vaste comme une mer de lumière, elle danse sa danse immobile et mêle ses harmonies subtiles à la musique des sphères. Elle est suspendue à un fil invisible qui s’appelle Antigravité. Elle troue l’espace sans faire de remous. Elle disparaît doucement pour réapparaître au même instant à des années-lumière de distance. Rien n’indique sa présence, rien n’a signalé son absence.

 

Créatures d’outre espace

Elle est et en même temps elle n’est pas. J’y crois et en même temps je n’y crois pas. Elle se donne à voir et s’offre à la visite. D’abord une sorte de hall d’accueil. Comme le lobby d’un palace mais beaucoup plus vaste. Il n’est pas réservé à des êtres aussi petits que nous. La plupart des guichets sont beaucoup trop hauts. Il y règne un silence profond, recueilli.

Avec l’habitude, on se dirige tout de suite vers le guichet le plus petit, celui des humanoïdes de 5e génération. En dessous, il n’y a pas. Sauf les rats… Une hôtesse de petite taille nous guide vers notre amphi en essayant de ne pas nous marcher dessus par inadvertance. Elle mesure dix fois notre taille, la naine. Vous dire le format des autres !

En face des créatures intelligentes d’outre-espace, l’humain se sent souvent très péteux. Très très péteux. Non seulement leur format nous écrase, mais aussi leur intelligence, leur créativité, leurs connaissances dans tous les domaines y compris dans d’innombrables champs du savoir universel dont nous ignorons jusqu’à l’existence.

 

 

Méta-images

L’amphithéâtre est en demi-cercle, en forte pente, trois ou quatre rangées de sièges baquets pivotants et inclinables pour observer l’écran tout autour de nous, non seulement à 360 ° horizontalement, mais aussi au-dessus et en dessous. Le sol de l’auditorium est aussi un écran, comme le plafond. Le spectateur – l’élève? – est immergé dans un monde chatoyant d’images stéréoscopiques animées, agréables, vivantes, voire parfumées.

Au début c’est très impressionnant, surtout pour ceux qui n’ont pas connu Epcott Center en Floride, le Futuroscope de Poitiers ou la Géode de la Cité des Sciences à Paris. Bien que ces ouvrages humains ne se rapprochent pas de l’amphithéâtre de cristal. Sur l’écran panoramique, les images sont époustouflantes. En relief holographique, elles contiennent mille fois plus d’informations que celles que nous connaissons.

Il suffit d’en regarder une pour pénétrer la culture qu’elle évoque, comprendre le contexte, s’immerger dans les mœurs des protagonistes, parler leur langue, partager leurs croyances, leurs goûts et leurs aversions. Paradoxalement, cette profusion de sens n’est pas une gêne, mais une réelle simplification.

Ces images polysémiquesqui ont de nombreuses significations ne s’adressent pas au cerveau, mais à tout le corps du spectateur. Elles sont immédiatement reçues, comprises et stockées dans une nouvelle position du point d’assemblage.

 

L’homme qui songe

Alors ? Que conclure ? Nous sommes pilotés secrètement pendant notre sommeil. Ça c’est sûr. Aucun doute là-dessus. Mais encore ? Tout ce que nous pensons, rêvons, imaginons, découvrons nous est soufflé quand on dort. Rien ne vient de nous. Nous ressemblons farouchement aux avatars d’un jeu vidéo. Chacun a ses caractéristiques propres, son apparence, ses armes, ses qualités, etc. Mais aucun ne peut lever le petit doigt sans le gaillard qui manie la manette.

L’homme descend du songe. (Antoine Blondin)

 

L’homme est un songe, mes amis. Rêve éveillé pour certains élus, rêve inconscient pour tous les autres… L’immense William l’avait déjà dit il y a des siècles, mais peu l’ont écouté, et ceux qui l’ont écouté ne l’ont pas toujours compris.

Nous sommes faits de la même matière que les rêves et nos courtes vies sont bordées de sommeil. (William Shakespeare)

 

Tous nos rêves

Tous nos rêves, dites-le! Tous nos rêves nous sont inséminés nuit après nuit. Des rêves pour comprendre, pour évoluer, pour admettre, pour digérer, pour progresser afin de devenir un authentique citoyen galactique. Tous nos rêves viennent de là-bas. À l’infini, nous encerclons la méga pyramide super brillante.

Et tandis que nos corps physiques, fatigués, récupèrent leur vigueur dans un sommeil réparateur, nous sommes sagement assis dans nos fauteuils pivotants, basculés en arrière dans le dossier anatomique, contemplant médusés les portails temporels, les couloirs du temps, les allées galactiques, les vaisseaux démesurés des dieux d’avant, les mondes mille fois plus grands et plus anciens que le nôtre.

 

 

La vie et rien d’autre

La vie et rien d’autre ? Mais qu’est-ce que la vie ? Obéir ? Réagir sans sourciller aux stimuli électroniques que reçoit notre cerveau ? S’imaginer une autonomie que nous n’avons jamais ? Qu’est-ce que nous avons choisi là-dedans ? Avons-nous décidé, avant notre incarnation, de choisir cette pseudo-existence tronquée ? 

Et le libre arbitre, là-dedans ? Je me marre en pensant aux bouquins, aux thèses, aux discussions passionnées qui ont enflammé les intellos occidentaux depuis la Renaissance… Les philosophes pré-socratiques de la Grèce antique étaient beaucoup moins naïfs.

Le libre arbitre vient de l’ignorance des causes réelles qui nous font agir. (Démocrite)

Oui, est-ce que ceci, ou cela, ou autre chose pourrait être de nature à limiter notre sacro-saint libre arbitre ? Est-ce que la liberté sacrée de chacun peut être soumise à l’arbitraire ? Il semble que oui… Les lois cosmiques semblent ainsi faites.

Et pas qu’elles. Il n’y a qu’à regarder les libertés individuelles rétrécir comme une peau de chagrin pour comprendre que ces lois cosmiques sont aussi les nôtres ici-bas. Comment pourrait-il en être autrement ? Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas… (source) Franchement, je rigole alors que je devrais chialer…

Quelle mâle gaîté, si triste et si profonde / Que, lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer! (Alfred de Musset)

 

Celui qui a connu le monde a trouvé un cadavre. Et celui qui a trouvé un cadavre, le monde n’est pas digne de lui.
Jésus, Evangile de Thomas