Partout où je regarde, la souffrance m’étreint. Ce monde est souffrance, a dit Bouddha. Et ça se voit. Douleur pour enfanter, douleur pour naître, douleur pour grandir, douleur pour vivre, affreuse douleur pour survivre, douleur pour mourir. Souffrance de chien, souffrance pour rien. Au bout du compte on se rend compte qu’on est toujours tout seul au monde.

 

J’ai voulu, oh l’idiot, donner tout ce que je pouvais pour aider l’amour, mais l’amour se passe bien de mon aide. Comment atténuer la souffrance, comment raviver le don et la tendresse ? J’ai tenté de partager la joie de vivre qui m’habitait et je n’y suis pas parvenu. Sans doute n’en avais-je pas assez. Ou la tâche était trop rude. Trop de souffrance, trop de terreur, trop de mal dans un océan vide, palpitant, étincelant, mais vide. Désespérément.

Quel orgueil dément m’animait ! Peut-on aider qui que ce soit ? Frères et sœurs dans le malheur, amis que j’aime, notre sort est le même, pas nos difficultés. Nous avons chacun et chacune notre propre sillon à creuser sur cette terre. Le chemin est souvent dur, parfois terrible, et le but reste incertain. Mais on s’accroche, sans savoir à quoi ni pourquoi. On tient le coup envers et contre tout.

J’ai voulu vous aider, je me trompais. C’est à toi de le faire. Chacun se prend en main, chacun son propre guide. Nul n’a besoin qu’on l’aide. Chercher de l’aide, c’est douter de soi, de ses propres forces, et donc mettre un pied dans la tombe. J’avais le cœur d’aimer. J’avais envie de vous.

A revenir de tout je ne sentais plus rien. J’étais dans le désert que j’avais désiré. Je souffrais, mais surtout, je m’en voulais pour tout. Et j’accusais la race ou l’époque à ma place. Sur les chemins de longue solitude, je me suis vu mort bien souvent. J’ai même attenté à mes jours tant la souffrance de la solitude me pesait, tant le sentiment de ma propre inutilité m’écrasait.

Je suis là, les mains vides, le cœur plein d’amertume, pourquoi faut-il tant de souffrance si à la fin on a vécu pour rien ? Chacun fait comme il peut pour tirer son épingle du jeu. L’épingle est rouillée. Jeu de dupe. Toi, c’est quoi ? Un être souillé qui s’est mouillé pour rien. Tu vis peu, tu ris comme tu peux, puis vient la mort. Triste sort. Pauvres humains que nul ne plaint ! Rebuts divins qui ne comprennent rien.

Pourquoi sont-ils ici ? Dans quel but ? Quelle envie ? Gagner de l’argent ? Malheureux, ils oublient qu’un linceul n’a pas de poche. Que feront-ils de leur monnaie quand ils seront dans l’autre monde ? Elle n’a plus cours là-bas. D’ailleurs, après la mort, vivront-ils encore ? Personne n’est revenu nous rassurer là-dessus.

Je les vois qui se traînent, qui s’entraînent et s’entr’aiment, se sèment et se démènent. Je les vois qui retiennent, qui apprennent et par la main je les emmène. Je les vois qui reviennent. Innocents les mains pleines. Mais je n’ai pas le cœur de rire à leur malheur, car je sais qu’à la fin ils ne seront plus rien. C’est ainsi, tout est dit, et pourtant je les plains. Triste fin. Ils ont joué au plus fin, ils se sont crus malin, mais ils choient un par un chez le diable et son train.   

Souffrir oui, si c’est pour grandir. Mais pourquoi grandir si c’est pour mourir ? Ce jeu à la con doit en amuser d’autres. Nos dieux sont bons apôtres, nous payons pour leurs fautes. Ils n’ont rien à offrir, et nous rien à choisir. Tout va selon le plan, fallait savoir avant. Pas la peine de chialer. T’avais qu’à pas y aller.

Tu n’as rien demandé ? C’est la beauté de la chose. You can’t always get what you want but you get what you need. (trado)Tu ne peux pas avoir toujours ce que tu veux mais tu as ce qu’il te faut. (Rolling Stones)

L’erreur est juste. Il n’y a rien d’injuste. Rien d’absurde, ni rien de cruel. Il y a l’amour. L’amour à vivre, à recevoir, à donner, donner encore. C’est la beauté de la chose. L’amour donné te revient au centuple. J’ai reçu tant de tristes lettres, tant de désespérés m’ont confié leur souffrance. Que pouvais-je pour eux, sinon prêter l’oreille ? Je l’ai fait tant et plus, doucement, sans jugement. Peut-être la seule chose dont ils ont vraiment besoin, c’est qu’on les écoute ?

Un jour sur la plage, rêvant. Il y avait un enfant qui a passé longtemps à bâtir un château, élancé, face aux flots. Et la mer a monté. Le château veut rester, mais le sort est jeté, rien ne peut résister à l’assaut des marées. Le château est tombé.

Pans par pans, tours après tours, il a glissé dans l’eau qui l’a bu et rebu de la douve au donjon. Le courageux donjon tout en sable poli, renforcé à son pied par des galets jolis. Il a tenu, il s’est fendu, il a pris des gnons. Lui qui fut mignon, le voici moignon, le voici sein, puis plus rien. Il a vécu. La marée a vaincu. 

Mais le plus étonnant : l’enfant n’a rien perdu. Il s’est ému un peu, au début. Puis il s’est animé. Puis il a trépigné. Quand tout eut disparu, il bondit sur ses pieds, exultant, libéré. Au lieu d’une défaite, je l’ai vu gagner. Cet enfant a donné. Il s’est abandonné. Il a fait don au temps d’un château de l’instant.

Et si le sort commun était de se dissoudre ? Je ne l’accepte pas. S’il y a une chance, juste une seule, d’échapper à l’Aigle, je veux la courir pour ne pas mourir. Je désire en découdre. Comble pour un non-violent : se battre post mortem.

J’étais assis sur un banc dans un jardin public, un handicapé est arrivé dans son fauteuil roulant. Modèle de luxe, gros pneus, moteur électrique. Du silence et de la reprise. J’admire sa belle mécanique. Le mec était ouvert, je lui rends son sourire.

En moins d’un quart d’heure, il m’a fait plonger tête la première dans l’océan de galères et de souffrances qu’il doit traverser tous les jours. Je ne veux pas – le pourrais-je ? – faire écho d’un tel chagrin. La machine à broyer les vies tourne sans répit, enfourne et détruit. La Mort s’en réjouit.

Me voilà réduit à ce que je suis. Un insignifiant pli dans l’infini, l’infiniment grand ou bien le petit, l’infiniment long ou le flash qui fuit, sans bruit, loin des vivants, loin des amis, loin du temps haletant où tu m’as dit je t’aime.

Partir, oui, parce qu’il le faut bien. Partir de bonne grâce, avec classe, prendre ma place derrière la glace. Et doucement, dans les vapeurs d’éternité, m’effacer, fuir, fondre dans l’eau de mer comme le sable fin dont mon corps est fait. 

Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri.

(Louis Aragon, musique de Léo Ferré)

 

 

De temps en temps, à force d’éponger le malheur des autres, ça déteint.
Le malheur ne se lave pas en machine. (source)

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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