La chevalerie ! Quel enfant n’en a pas rêvé ? L’image du chevalier en armure arborant sur sa lance les couleurs de sa Dame de Cœur, quel rêveur ne la porte en lui ? Mais pour le guerrier de l’éveil, au-delà de la chevalerie terrestre, vient la chevalerie céleste…

Chevalerie terrestre

Les nobles chevaliers médiévaux ont profondément marqué l’imaginaire des enfants. On les retrouve en Asie comme en Europe, tandis qu’en Amérique, les nobles chevaliers ne furent pas les renégats occidentaux blancs de peau, mais plutôt les peaux rouges, ces natifs envahis par une marée de démons armés de longs couteaux et de bâtons à feu.

Quelques siècles plus tôt en Europe, les nobles chevaliers ont formé une caste chantée par les trouvères et les troubadours. En composant ces récits épiques et fantastiques, les chanteurs itinérants y ont incorporé les éléments fondamentaux de la tradition ésotérique occidentale. En premier lieu, l’amour de la Dame de cœur, platonique, enseigné aux jouvenceaux par la Dame elle-même, dont le chevalier portait les couleurs lors des tournois ou des batailles.

Cette pratique initiatique des cours d’amour est la base de l’amour courtois. D’après Rougemont, c’est l’archétype de l’amour tel qu’on le vit en occident. Il est caractéristique d’un lieu et d’une époque, l’Europe médiévale. (source)Denis de Rougemont, l’Amour et l’Occident Sentiment dont on chercherait vainement la trace en Asie, notamment en Chine. Le Japon a connu un ordre de chevalerie puissant, les samouraïs, obéissant à un Maître de Guerre, le shogun. Les samouraïs d’aujourd’hui sont sans doute les yakusas, qu’on pourrait qualifier de nobles bandits. La Chine a eu aussi des ordres de chevalerie, et leur successeurs actuels sont au sein des Triades, ou maffias chinoises.

La chevalerie initiatique de l’Europe médiévale a certes de nombreux points communs, comme nous le verrons plus loin, avec les « chevaleries » asiatiques. Mais en occident, une voie originale a été développée qui marque l’inconscient collectif et modifie, encore aujourd’hui, tous nos comportements amoureux. L’amour courtois, l’amour des cours d’amour est un phénomène aussi magnifique que déconcertant. Pourquoi ? Parce qu’il débouche sur la violence, les blessures et parfois la mort. Eros et Tanathos, l’Amor côtoie la Mort.

Les troubadours chantent l’amour courtois tel une porte donnant sur la lice ou le champ de bataille. La bravoure du chevalier n’est pas dédiée au shogun ou au seigneur de guerre, il est tout entier adressé à la dame de cœur. Nous voyons au sein de ces récits la naissance d’une forme de chevalerie morale, plaçant les idéaux spirituels au-dessus des combats physiques. La quête du Graal est la représentation symbolique la plus connue et elle représente un des aspects essentiels de notre tradition.

L’amour courtois, l’art de faire la cour, les cours d’amour, voilà autant de notions clés pour comprendre l’évolution particulière de ce sentiment dans les contrées européennes qui ont connu les chevaleries médiévales. Le guerrier ne se bat pas pour un maître, mais pour sa Dame qu’il place plus haut que tout. Car la Dame de cœur des cours d’amour est l’image idéalisée de Notre Dame, la trace vive non de Marie mais d’Isis la Grande Déesse, le don de l’Éternel Féminin dans le cœur de l’ado.

Les ordres guerriers

Précisément, la chevalerie s’adressait d’abord aux adolescents. Cet âge est plein d’idéal. Je pense que c’est la pratique platonique et désintéressée des cours d’amour, qui a fait passer le jeune guerrier du combat pour la Dame au combat intérieur. La chevalerie rassemblait une aristocratie habituée à combattre pour de nobles causes, ainsi qu’on peut le lire dans le cycle de la Table Ronde. Les chevaliers d’Arthur ont muté pour devenir, quelques siècles plus tard, les nobles chevaliers du seigneur Godefroy de Bouillon lors de la Première Croisade.

Qu’ils soient des combattants du christ Jésus ou d’une autre cause, la Pax Romana par exemple, les chevaliers croisés sont les justes héritiers des tournois et des cours d’amour. Il importe peu que ces nobles chevaliers aient voulu libérer le tombeau présumé du christ Jésus ou tout simplement reconquérir la Palestine, partie intégrante de l’Empire Romain.

Tout en eux souligne cette filiation : leur bravoure, leur esprit de sacrifice qui peut aller jusqu’à donner sa vie, leur idéal de pureté, leurs rites secrets comme le yoga occidental dont nous possédons encore quelques positions, et leur vœu de pauvreté qui rappelle l’idéal de Lancelot et des preux chevaliers d’Arthur.

Dans cette perspective, ces preux chevaliers de la table Ronde représentent les derniers résistants face à la toute puissance de Rome, tandis que leurs héritiers présomptifs, les chevaliers croisés, sont au contraire des légionnaires, décurions, centurions et généraux arborant sur la croix pattée les lettres SPQR, Senatus Populusque Romanum, Au nom du Sénat et du Peuple Romain. Le passage de la Gaule à la France Romaine s’est effectué à l’intérieur même de la tradition celte, discret, masqué, dans le feutré, entre le 6e siècle et le 11e siècle de l’ère courante (EC).

Sans surprise, on retrouve ces ordres de guerriers spiritualisés en Asie, où les arts martiaux transforment la castagne en rite sacré. Sans surprise, parce que toutes les cultures d’Asie comme d’Europe sont issues de l’enseignement de nos maîtres communs, les dieux d’avant, les terraformeurs de cette planète. Un des principaux agents de cet enseignement euro-asiatique est Rama, que les Hindous considèrent comme un dieu de l’Inde, ou tout du moins un deva ou demi-dieu, ce qui est vrai – puisque Ram était fils de la Grande Déesse et d’Hénoch, simple mortel que la déesse a fait vivre mille ans ou davantage. Mais de l’Inde il n’était pas, lui qui vient du ciel, Fils du Soleil issu d’Hyperborée, Rama le Grand a régné sur toute la terre.

Son enseignement peut se retrouver partout dans le monde, en particulier en Extrême-Orient. Les moines de Shaolin, les Yakuzas, et mêmes les Triades ou mafias chinoises ont bien des points communs, notamment sur la discipline et l’obéissance, avec les ordres de moines soldats d’Europe médiévale. L’ordre du Temple est le plus célèbre, mais n’oublions pas l’ordre de Saint Jean de Jérusalem et l’ordre Teutonique, qui veut dire allemand.

Les chevaliers Teutoniques sont surtout cités dans mes pages pour leur devise éclatante : « Si tu ne meurs pas de ton vivant, tu mourras en mourant. » (info)

Le combat intérieur

Quand je dis que l’amour courtois a fait passer le guerrier du combat pour l’honneur au combat intérieur, je n’oublie pas que l’Islam veut arriver au même résultat par un tout autre chemin. La notion de Jihad, combat sacré, est le plus souvent mal comprise par la frange extrémiste de l’Islam, ceux qu’on appelle les Islamistes. Tous les Musulmans ne sont pas Islamistes, et selon leurs dires, aucun Islamiste n’est vraiment Musulman. Ce noble titre se mérite, alors que celui d’Islamiste, frappé d’anathème, se vole et se viole.

Le Jihad n’est pas la guerre sainte contre tel ou tel ennemi extérieur. C’est le combat intérieur. La guerre intime, quotidienne, perpétuelle, contre tes obstacles intérieurs. Tout ce qui t’empêche d’avancer, c’est toi qui l’as mis sur ta route. Tu n’as de pire ennemi que toi-même. Comme tout un chacun, tu es trois en un, et tant que les trois ne marchent pas du même pas, ça déconne pour toi.

La traque, notion emprunté à Castaneda, est un nom qu’on donne au Jihad. Tout traqueur se traque d’abord lui-même, sinon il n’est pas traqueur, mais calculateur, manipulateur, exécrable ennemi de toute personne sincère. La différence entre la traque et la manipulation n’apparaît pas au non-initié. Elle est pourtant capitale. Le traqueur obéit à une impulsion intérieure. Sa tête est vide, son cœur est ouvert, sa loi est l’humilité. Il respecte sa proie, qui est lui-même, ses propres défauts, son ego.

Quand la traque implique une tierce personne, elle peut se sentir flouée, roulée, manipulée, elle peut accuser le guerrier d’être responsable de ce mauvais tour. Non, il ne l’est pas. Il s’est mis à la disposition du Vivant pour faire comprendre quelque chose à quelqu’un, lui ou un autre. Je suis impulsif, spontané, jamais je ne pourrais exécuter un plan concocté à l’avance. Je sais avec Søren Kierkegaard que l’existence fait éclater tous les systèmes, et me garderais bien d’appliquer des schémas ou d’autres recettes sur le Vivant qui agit à sa guise et se rit de nos projets.

« Si tu veux divertir Dieu, raconte-lui tes projets » (dicton russe)

 

Les deux chevaleries

Dans les leçons qu’il nous donnait au Moulin de Rochefort (aujourd’hui disparu) Jean-Claude Flornoy (disparu aussi) avait coutume de distinguer deux cycles distincts dans les 22 arcanes majeurs. Il appelait ces cycles les chevaleries.

La chevalerie terrestre va de l’arcane I Le Bateleur jusqu’à l’arcane XI La Force. Cet arcane représente le point le plus haut qu’on puisse atteindre sur terre, en œuvrant dans le monde matériel. C’est donc l’ultime arcane de la chevalerie terrestre. Celle-ci, comme son nom l’indique, s’occupe de la matière et du matériel. La Force indique la maîtrise matérielle réalisée. C’est ce qu’exprime l’image d’une femme écartant à mains nues la gueule d’un fauve. Elle maîtrise même les animaux féroces.

Il fut un temps où Flornoy avait surnommé La Force « l’arcane Bernard Tapie ». Tout lui réussissait, à ce milliardaire de gauche, bien vu du pouvoir de François Mitterand. Il achetait des usines, des marques, des équipes de foot. Et puis d’un seul coup, tout s’est gâté pour lui. Ruine, prison, soucis de santé, il a fait son Pendu. Qui mériterait aujourd’hui le surnom d’arcane Bernard Tapie.

Mais s’il se guérit de son cancer, il aura vaincu les pièges du passé, il aura traversé l’arcane XIII, celle qui n’a pas de nom, la mort initiatique… Alors on sera sûr qu’il est passé à autre chose. Le chemin du tarot nous réserve à tous les mêmes étapes.

Adieu Tapie. Fin de La Force, fin de la chevalerie terrestre. Avec l’arcane XII Le Pendu on bascule dans un autre monde, qui n’est plus du monde, précisément. Le Pendu a la tête en bas. Tout ce qu’il voit est donc à l’envers. C’est le moment où l’individu, obsédé par l’argent, la réussite matérielle et le statut social, bascule cul par dessus tête et réalise alors que toutes les valeurs sont inversées.

Ce qu’il appréciait se révèle sans valeur, et ce qu’il dédaignait devient désirable. Il se dépouille de ses possessions terrestres, il va parfois en prison, il perd la femme de sa vie et se retrouve ruiné, seul et bientôt malade pour couronner sa déchéance.

Plus Le Pendu est terrible, plus énorme sera la puissance du nouveau chevalier céleste. Cette chevalerie-là est réservée aux plus méritants. Ceux qui ne s’arrêtent pas aux apparences, qui sont capables de voir au-delà des murs, des diktats et des dogmes. Ceux qui vivent chaque seconde de leur vie comme un précieux cadeau. Les guerriers de l’éveil.

À partir du Pendu et jusqu’au Monde, voir jusqu’au Mat, les questions terre-à-terre n’encombrent plus l’esprit du chevalier. Sa tête est vide. Son lac intérieur est sans ride. Le ciel est sa demeure. S’il a encore les pieds sur terre, il plane dans les étoiles. Il lévite. Si la mort survient, il l’évite. S’il faut un héros, il l’est vite.

C’est bien pratique. Mais ça ne marche pas ainsi. Le guerrier se conduit seul. Ça lui suffit. Il n’a pas vocation à conduire les autres. Il n’est pas bon apôtre. Si tu le crois, tu te vautres. Ce guerrier-là n’est chef que de lui-même. Il n’a d’autre but que l’éveil, d’autre loi que la Règle, d’autre horizon que le Nagual. La chevalerie céleste est un ordre invisible, sans hiérarchie, sans chef. Elle n’admet que les purs, ceux qui sont imbuvables. Intenables. Inaltérables.

Le chevalier du ciel fend les éons sur sa machine interne. Il plane à travers monde sur le petit vélo qu’il a dans la tête. Il pète. Il s’arrête. Il reprend sa quête. Le chevalier du ciel est dans son jet supersonique, il jette sur personne hic et nunc, il se prend pour quiconque et s’en va comme personne. Midi sonne. Kyrie eleison. Fermez le ban. Silence dans les rangs. Au revoir les enfants.

Résumé

Vis ta vie. Sois pas con. Dissipe les mauvais rêves pour laisser place aux bons.

Xavier Séguin

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