L’arcane VII LE CHARIOT montre un roitelet triomphant. Il n’est pas dans un carrosse, toutefois, mais dans un modeste chariot. Le chariot est bien la seule personne modeste dans cette image et dans cet arcane.

LE CHARIOT fait suite à L’AMOUREUX. On a vu comme le jeune être s’éveille aux merveilles de son corps précisément à L’AMOUREUX. Avant, il était un BATELEUR qui a connu divers éducateurs, LA PAPESSE, L’IMPÉRATRICE, L’EMPEREUR, LE PAPE qui lui ont donné les bases indispensables de la vie en société. Mais il restait un enfant. Avec l’arcane VII LE CHARIOT, l’individu triomphe. Le voici presque adulte, et bon à marier. Qu’est-ce qui le rend si fier de lui ?

Observez bien sa position, glorieux sous sa couronne tel un vainqueur sous ses lauriers. Quelle est donc sa victoire ? Oh c’est très simple : l’individu à peine constitué lors de l’arcane précédent, VI L’AMOUREUX, se sent tout gonflé par sa jeune importance. Pensez donc, le voici homme pour de bon ! Il a connu l’étreinte amoureuse, il n’est plus un enfant, son passage à la vie d’adulte sonne la fin de l’enfance.

Inutile de dire à mes lectrices qu’elle doivent tout mettre au féminin. Dans le tarot initiatique, nus sommes toujours le personnage principal de l’arcane. L’amoureux est l’amoureuse, le roitelet du chariot devient une petite princesse. Il est vrai que cette initiation, la perte de la virginité, reste une expérience marquante à l’heure actuelle, où pourtant plus rien ne semble avoir d’importance.

Depuis la disparition du sens du sacré et la discipline collective qu’il impliquait, les valeurs de l’individuation ont remplacé la quête de l’éveil. Devenir un individu autonome, se refermer sur son petit moi-je, tel est le piège que nous tend l’ego dominant dans cette phase de vie. C’est exactement ce que symbolise la couronne : le triomphe de l’ego, l’absence de lien avec le grand tout. À ce stade, l’ado s’en contrefout ! Il n’a pas d’yeux pour dieu, mais pour les fesses de sa déesse.

Je me souviens très bien de ce jour de gloire : je l’ai vécu à 19 ans. Dans la chambre parentale, sur le lit de ses parents, j’avais connu Marie. Elle était vierge. Cette tache de sang venait de mettre fin à l’enfance. J’avais courtisé une fille, j’ai aimé une femme. La première fille avec qui l’on couche est bien plus qu’une fille. Quand vous quittez ses bras, quand vous sortez de ses draps, elle devient femme. Et l’amoureux devient homme. Il quitte la belle avec la joie au cœur. Comme l’a si bien chanté Jacques Brel, il n’est plus barbare.

La guerre n’est pas arrivée. Mais nous voilà quand même ce soir. Le chariot d’orgueil m’a mené jusqu’à la mort. Pas la mienne, la sienne. La mort de l’ego. Ou pour être plus juste, sa mise à l’écart. Tenu en respect, il cesse de se prendre pour le seul maître à bord. Ça se passe beaucoup plus tard, à l’arcane XVI LA MAISON-DIEU. Patience. La fin de l’ego n’est pas encore d’actualité : son règne commence à peine.

Les yeux cernés

 Après cette belle découverte du corps de Marie, je me revois rue du Ranelagh : je saute de joie plus que je ne marche. Dans le tarot initiatique, rien n’est dû au hasard, tout est signifiant. Dans l’original de Conver, on notera les poches sous les yeux du jeune roi. Elles sont encore plus marquées dans le tarot initiatique de Dodal. Par contre, dans la copie moderne redessinée par Paul Marteau pour les éditions Grimaud, ce détail a été gommé. On se demande pourquoi. Mes yeux cernés sont un signe qui ne trompe pas. Je viens de vivre une nuit d’amour bien remplie, bien fatigante. La première ! Un pucelage ne se perd qu’une fois. Je me donne à fond, je suis épuisé, mais qu’importe ? Je viens de vivre la plus belle nuit de ma jeune existence, ça mérite bien quelques courbatures et les traits tirés. 

Voilà qui justifie l’orgueil du roitelet. Il exsude le contentement de soi. Il ruisselle d’auto-satisfaction. Il loue son mérite autant que son talent d’amant. Ah oui vraiment, il n’est pas peu fier, et le roi n’est pas son cousin. Car le roi, à cet instant, c’est lui. Le chariot n’avance pas,  il ne s’en soucie guère. Il est si content de son sort que son modeste chariot prend à ses yeux l’allure d’un luxueux carrosse. C’est sans doute pourquoi Jean Dodal n’écrit pas LE CHARIOT mais LE CHARIOR. Méfie-toi, jeune paon : tout ce qui brille n’est pas or !

Cette image du Chariot évoque le triomphe immodeste du jeune Leonardo Di Caprio dans Titanic. Il est à la proue du gigantesque navire et il se tient au bastingage, cambré, la poitrine gonflée, la tête dans les nuages, et il s’exclame : « je suis le roi du monde ! » Quand j’ai vu le film, ça m’a immédiatement fait penser à cet arcane. Mais pour Di Caprio, le Chariot prend la dimension du plus grand paquebot de l’époque. Ce qui n’est pas rien. Un bâtiment réputé insubmersible par ses constructeurs. Pourtant le Titanic va couler bas. Ainsi en va-t-il de l’orgueil. Vanité des vanités, tout n’est que vanité, dit l’Ecclésiaste.

Sur notre image, si le Chariot ne coule pas, ça revient au même : les chevaux n’ont pas d’arrière-train, ils tirent chacun dans une direction différente, les roues freinent la marche, bref, tous les signes sont là pour nous faire comprendre que cet attelage triomphal ne peut aller nulle part. 

L’orgueil isole le jeune amant. Il se prépare à une carrière matériel, mondaine. Il va construire son nid, exercer une activité où il entend briller. Il est mûr pour l’arcane XI LA FORCE, qui est l’accomplissement ultime de cette tranche de vie que le Chariot démarre. Mais quelques épreuves l’attendent encore sur la route. Déjà il se doit de faire avancer sa carriole. Le roitelet va bientôt découvrir qu’il ne suffit pas de se pavaner pour avancer sur le chemin d’éveil…

Quand je compare avec ma propre vie, le vertige me saisit. Il y a eu tant de déboires, de tâtonnements, d’hésitations et de retours en arrière avant l’accomplissement de LA FORCE ! Ces années-là sont celles du doute. Non pas le doute salutaire, la remise en question qui permet un nouvel envol, mais le doute morbide, quand le ciel est si sombre que nulle aurore ne peut l’illuminer. Marche ou crève, lâche les rêves, marche encore, questionne-toi, interroge ton destin, et mets-toi enfin au travail. 

Quelqu’un a dit que nous ne rencontrons aucune épreuve impossible à surmonter. Nous méritions toutes nos rencontres et toutes nos épreuves sont à notre portée. Encore faut-il y croire et le vouloir vraiment.

Ainsi se joue cette belle phase de vie, qui se joue des premières jonquilles aux derniers lilas. Elle est toute pleine de l’éclosion des premières fleurs et du premier épanouissement de l’ego – période si bien chantée par Hugues Aufray.

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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