Il y a deux loups en nous. Deux loups se partagent nos entrailles, le loup du bien et le loup du mal. Ces loups, nous les portons en nous. Ils grondent. Ils sont frères, ils se battent et se déchirent en frères. L’enjeu, c’est ta chair. Quel est le loup du bien ? Comment le reconnaître ?

 

Choisir ?

Loup du bien, loup du mal, lequel sera ton allié principal ? Avant de pouvoir choisir, apprends ce qu’ils sont. Si tu veux les amadouer, fais-t’en d’abord des alliés. Offre-leur des cadeaux. De la viande fraîche en quantité. Vois comment ils fonctionnent. Connais leur cœur. Après tu choisiras, s’il le faut. Si la sagesse est venue, tu te diras : pourquoi choisir ? Nourrir l’un, affamer l’autre, le choix est-il bon ? Non. Il faut nourrir les deux.

Le loup du mal n’est pas moins utile que le loup du bien. Si tu le brimes, si tu l’affames, tu le rendras furieux. Tu deviendras sa cible. Un jour il te dévorera.

Le guerrier met parfois des années avant de comprendre. Il sent souvent des morsures, il donne parfois des blessures, mais il ne comprend pas que deux loups se battent en lui. Il ne les connait pas encore.

Tantôt forts, tantôt doux, le guerrier les entend gronder. Sous la pleine lune, ils hurlent. Leur silhouette lugubre se détache sur une crête. Tête en arrière, ils gémissent vers l’astre. La plainte se mue en cri de guerre, en cri de ralliement. La meute pourrait-elle les rejoindre ?

Les mois, les années passent. Les tempes du guerrier sont blanches. Le jour flanche. Le guerrier prend de l’âge. Il rêve en silence aux loups de son enfance. Ses peurs terribles, ses blocages, ce sont deux loups qu’il n’a pu mettre en cage. Le loup sage, le loup en rage, et l’enfant impuissant qui les voit s’affronter sans choisir son côté.

 

Le dibbouk

Mais au plus profond de son vieux cœur, il sait qu’il a eu raison. Le loup du bien, le loup du mal, il faut les nourrir tous les deux. Tu n’as pas à choisir. Prendre l’un et rejeter l’autre, c’est perdre la moitié de tes atouts.

Un beau soir d’été, il s’endort sous la véranda. Il fait un rêve. Il rencontre un dibbouk. Et le dibbouk a pris possession de son corps. Il y a longtemps que le guerrier ne s’identifie plus avec son corps. Il l’appelle l’animal, en souvenir de son patron François d’Assise, qui parlait à son corps en l’appelant l’âne. Et il se dit :

Nous sommes deux dans cet animal. Moi et le dibbouk. ET LE DIBBOUK BORDEL !! Nous sommes deux contre lui aussi, moi et mon bon ange. Avec le dibbouk, nous sommes trois. Voilà la vérité. Le bien et le mal sont des gens comme vous et moi. Mais ils n’ont pas de corps. Ils n’ont pas de lieu. Alors ils prennent le corps d’un loup, et les deux loups se cherchent un lieu.

Ils font ça tout le temps. Et ils finissent toujours par trouver un corps mal défendu. Ils s’installent dans cet animal. Ils vivent heureux dans ce ménage à trois.

 

 

Le dieu bélier, le diable bouc

Je les appelle les deux loups, la tradition judéo-chrétienne les appelle le bon ange et le dibbouk. Deux fois bouc. Jojo Brassens a rendu ce bel hommage à Stef Mallarmé :

Comme un bouc, un bélier, une bête, une brute,
Je suis hanté le rut, le rut, le rut, le rut.

Du bouc au bélier, il n’y a qu’un pas, un seul petit pied de bouc que Jojo franchit allègrement. Le bélier, c’est Bélial le vilain diable, mais c’est aussi Rama, le dieu bon. Comme le savent les mythologues et mes lecteurs assidus, le diable est toujours le dieu de la religion précédente.

D’un côté Rama le dieu d’avant, l’enfant d’Hyperborée ; Ramos le druide qui a stoppé une pandémie ; Ram qui a tant fait pour le bien de cette humanité, la cinquième. Le Bélier qui ôte le mal engendre aussi l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde…

De l’autre, Bélial l’obscur démon. Il est accompagné d’autres dieux anciens rétrogradés en démons : Bel – Belen – Belenos, Belisama, Belzébuth, BaalLes dieux d’avant portaient des cornes, ils vivaient à l’ère du Bélier et à celle du Taureau. Les dieux d’avant sont devenus des divinités du mal tout simplement parce que l’époque a changé. Les mœurs ont évolué. Ce qui était banal est devenu choquant, ce qui était accepté est maintenant odieux, et l’inverse aussi : les vices d’autrefois sont devenus des habitudes.

De quoi se nourrit le loup ? De l’agneau…

 

 

Le Loup et l’Agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l’Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau ; je tête encor ma mère
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
Je n’en ai point. C’est donc quelqu’un des tiens:
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

(Jean de La Fontaine)

 

 

Xavier Séguin

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