Merci l’Immense

 

Remercie quand tu souffres. Remercie quand il fait moche, humide et froid. Remercie pour chaque contretemps, chaque insulte, chaque coup reçu. Remercie pour les erreurs en ta défaveur. Remercie les avocats, les garagistes, les marchands de bestiaux ou les fourgues d’occase. Remercie l’Infini. On n’est jamais assez petit devant l’Immense.

 

Merci aux voleurs, au fisc, aux boutiquiers. Merci pour les crachats et les humiliations. Remercie toujours, remercie sans savoir qui. Prie si tu veux, mais ne dis pas Son nom. Prie l’Immensité. Prie ce qui est sans forme, sans nom, sans lieu, sans fin, sans attente et sans s’en faire.

 

Du peuple en moi

Il y a en moi un homme qui marche, un vieux qui n’en peut plus. Le corps couverts de plaies, écorchures, ulcères, ecchymoses, cabosses. Je suis l’errant en loques, le banni, le délabré.

Il y a en moi un être abject qui se réjouit du malheur des inconnus. Qui fait comme si ces gens qui passent n’étaient qu’un décor, une toile peinte. Dans ce démon détestable et malin gisent mes qualités en miettes. L’humour qu’il fait ne vaut pas le mien. Le temps qu’il fait me semble incertain. Quant à l’heure qu’il est, ça ne ressemble à rien.

Mais il me tient, ce Malin. Je ne pourrai m’en défaire qu’en mourant. Aussi réjouissez-vous quand ce moment viendra. Dites-vous : Il est uni — enfin. Là il ne souffre plus. S’il est nu, sa peau est intacte. Son cœur bat d’amour, il vivra. Sa bouche est pure et sans insulte, il aime. Paradis, enfer, pourquoi faire ? Je suis libre des fers. L’âme erre. Je prends l’air de la mer.

Le démon de l’ego a passé la frontière, il s’en va finir sa carrière au cimetière des éléphants. Là où vont les corps de matière tandis que notre corps de gloire rejoint son océan natal, entre-temps, outre-espace…

 

Le sublime et l’ordure

Il y a en moi le Diable et le Bon Dieu. Mais rien n’est simple. Un bon petit diable m’a souvent tiré d’un mauvais pas. Tandis qu’un bon dieu de merde n’a souvent été qu’un juron.

Il y a en moi le diable et ses cent mille diablotins, demonitos de mierda. Il y a en moi l’être de lumière et ses cent mille facettes. Et je fais le va-et-vient entre le sublime et l’ordure. Ou pire, je vis les deux en stéréo.

Ou pire, je me coupe en quarante et je prends les paris.

Il y a en moi des spectateurs, des badauds, des ribaudes, des chalands qui passent et des oiseaux qui rapacent. Il y a en moi le câble et son frein, le râble et son crin, la fable et son grain, le diable et son train.

Remercier pour ce qu’on reçoit de bon, de bien, de beau est à la portée de nombreux salauds. Remercier pour le contraire est bien moins ordinaire. Tiens-le toi pour dit. Mets ça dans ta poche avec ton mouchoir par dessus. Dans la poche de ton pardessus. Mais par dessous, reste à poil si tu veux. Plaisir des yeux, désir des vieux. Il n’y a pas lieu. C’est un non-lieu. 7-1, mon dieu ! S’éteint monde Yeu.

 

Gens d’Armes

-Chef, on a un problème. Il y a un gars qui porte un prénom pas possible.
-Quel genre ?
-Jésus, chef.
-Jésus ? On en a des tas, des Jésus !
-Mais çui-là, par respect pour la religion, il se fait appeler par son deuxième prénom : JésusMarie.
-Et alors ? Je ne vous toujours pas ce qui vous gêne.
-Son patronyme, chef.
-Quoi ???
-Je veux dire son nom, chef.
-J’avais compris, bougre d’âne !! Alors il s’appelle comment ce crétin ?
-Il s’appelle Joseph, chef.
-Joseph ?!
-Joseph, chef.
-Ah oui… En effet…
-Ça fait Jésus-Marie Joseph. Et moi je ne peux pas inscrire ça dans le fichier des pervers sexuels. Pas possible, chef.

 

La danse de Shiva

Il y a en moi le diable et son train, le dieu et son ciel, des seins innocents, des fesses de carême, des terres inconnues, des cieux et des nues, larges avenues de fleurs et d’odeurs, de merle moqueur et corbeau truqueur, d’impossible ardeur, et ça vient du cœur, patience et pudeur.

Pas un de ces sbires, de ces reitres, de ces fantômes bien réels, de ces illusions qui s’emmêlent, pas un seule, pas la moindre qui sans se plaindre, sans geindre, sans feindre, ne disent merci sans cesse, gratitude et largesse, solitude et vitesse, mansuétude et caresse, chien sans laisse, fille en tresse, cœur en liesse, pète en messe, chant de fesses à confesse.

Merci pour l’avis, merci pour l’amor, merci pour toux, merci pour fou, pour pou, pour tes genoux que j’aime et qui m’enchantent, pour tes cheveux qui chantent, pour mes reins qui déchantent, pour ton cœur, pour ton droit, pour ta vie, pour ton charme, pour ton orme et ton chêne, pour tes hanches, tes seins, le maintien qui retient le soutien qui détient la magie des secrets évanouis que toi seule utilises. Merci pour tes cerises, tes framboises promises, merci pour mes chemises, pour nos parties remises, pour nos folies admises, tes baisers qui me grisent, ton désir qui m’attise, ton regard doux qui frise entre rire et surprise.

Merci au sans nom, l’innommable défi, l’incommensurable oui, l’Immense, l’Intense, Shiva qui danse, Yahveh qui pense, merci l’Immense qu’on ne peut nommer mais qui s’en contrefout n’attendant rien de nous. Merci la Source, merci la Bourse, merci la Course, rendez-vous sur la Grande Ourse. On mangera du chaource.

 

 

Le Sujet et l’objet

Dis merci, sois gentil, sois poli, dis merci sans répit. Pour le mal et le pis. Pour masquer tout dépit. Ton portrait décrépi. Ta face à deux roupies. Ton honneur en charpie. C’est tant mieux, c’est tant pis. Remercie, je t’en prie.

Remercie pour l’affront, pour les branches et le tronc, pour le mal, pour le faux, pour le pal et la faux, pour ce qui nous confond, ce qui cale, ce qu’il faut. Merci pour les voyous, les gourous, les hiboux. Aussi pour les goudous. Les goûts doux. Lègue oud où. Merci pour la conscience, pour la science sans conscience, la science concon,la science qu’on confine s’oppose à la science fine  pour l’absence, l’inconscience, l’inconstance, le silence. Merci pour l’Être Immense. Merci d’avance.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.

François Rabelais

 

Remercier ne suffit pas. Il faut t’offrir en reconnaissance. Sacrifice de toi-même. Je ne suis que l’objet, le Sujet est ailleurs. Le Sujet est caché, il n’est pas révélé, il réside en secret dans nos rêves insondés. Le Sujet ouvre, l’objet découvre. Le Sujet parle, l’objet déparle. Le Sujet pense, l’objet dépense. Le Sujet gueule, l’objet dégueule. Le Sujet cède, l’objet décède.

Le Sujet est bien grand, on peut le dire Immense. Et pourtant le Sujet appartient au Royaume. Le Roi du Ciel dirige et maintient tous les Sujets qui dirigent et maintiennent tous les humains qui dirigent et maintiennent… Quoi donc, au fait ? Les humains jouent-ils leur partition dans le concert des mondes ? Qu’ont-ils fait pour les animaux ? Et contre les animaux ? Viendront-ils nous remercier pour la façon dont on les a traités ?

Un grand silence éteint fut toute la réponse.

 

 

Quand je souffre, quand je pleure, quand j’ai mal, quand je meurs, je crie merci. De l’épreuve on sort grandi. Plus grande est l’épreuve, plus fort le merci. Merci l’Immense. Merci l’Intense. Merci infiniment pour chaque instant qu’on m’a donné. J’ai tant aimé.

La chance que j’ai !

 

La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas.
Charles Baudelaire