Mon but

 

Mon but n’est pas de ce monde. Après la vie, je veux que l’aventure continue. C’est à cela que je me prépare. C’est pour l’après-vie que je fais tant d’efforts. Jusqu’au dernier souffle, jusqu’au bout de mes forces. Il existe un autre monde au-delà de celui-ci. La frontière est intérieure et la peur s’arrête ici. Je connais, j’y habite. Rien ne me dit qu’il s’arrête avec la mort du corps.

 

Il court, il court, le furet. Après quoi ? Encore plus de vie, encore plus d’argent, plus d’envie, moins de gens. Le furet fait le vide. Et quand le vide est fait, la tête a disparu. Et quand la tête a disparu, la vie commence. La vraie vie. Celle qu’on suit jusqu’au bout de l’autre monde. Le chat a neuf vies. L’être humain en a dix fois plus. Comme dans un jeu vidéo. Vide et bas. Jeu comme je. Rien à foutre. Rien de rien. C’est comme ça.

Le ciel est par dessus le toit Si bleu si calme Un arbre dans le ciel qu’on voit Berce sa palme. Prison. Notre bonne vieille terre est-elle une prison? Notre corps est-il une prison ? Nos désirs ? Nos limites ? Notre vie ? Sommes-nous réels ? Qu’est-ce qui est réel si je ne le suis pas ? Le programme ? Ou le programmeur ? Existe-t-il seulement ? Est-il encore vivant ? La folie n’a qu’un temps et c’est l’éternité. Je suis noyé dedans. Tirez-moi de là, six balles dans l’appeau. Je veux. Que veux-je ? Vouloir. C’est ça, vouloir. Je veux pouvoir vouloir. Il me semble que seul Dieu veut. Je ne suis pas dieu. Je suis vieux. Quand avec le trois j’aurais fait le un, serai-je dieu enfin ? Non mon garçon, tu seras toujours aussi con.

Comme Tintin dans le télescope, au lieu de l’étoile mystérieuse, je vois une énorme araignée. Celle que j’ai dans le plafond ? Puits sans fond. Suis toujours aussi con. Comment osé-je moquer Castaneda, bien moins nigaud que moi ? N’empêche. Son but est le mien. Mais comment a-t-il fait, sans un clan de guerrier pour l’aider ? Le problème est entier. C’est le mien comme le sien. Échapper à l’Aigle, déjà c’est pas gagné. Et après ? Où aller ? Admettons que ça marche, que la récapitulation suffise. Admettons. L’Aigle ouvre les serres. Bon vent, belle brise. L’idée me grise. Mais ensuite, les chances s’amenuisent. Et ça me défrise.

Les guerriers du clan de Juan Matus ont chacun leur fonction, idem pour les guerrières. Le rôle du clan, la fonction de chaque guerrier n’a qu’un but. Il n’est pas de ce monde. J’ai chopé le virus. Avec un handicap majeur. Je n’ai pas fait de clan autour de moi. Les naguals qui font un clan sont des naguals à quatre branches. Les naguals à trois branches n’en font pas. Ils s’adressent au monde. Carlos Castaneda en était un, Juan Matus ne l’a compris que longtemps après l’avoir pris comme apprenti. Je suppose que je suis comme lui, un nagual à trois branches. Un jour peut-être, un voyant me le dira.

Ou bien est-ce un rêve tout ça ? La belle affaire ! Tout est rêve et mystère. Le rêve est dieu sur terre. Libre à toi de tout inventer, la réalité est virtuelle, seule notre âme est éternelle. Ce que tu crées devient vrai. Le passé s’estompe et change au fil des rêves. Ce que tu fais ne meurt jamais. L’argent n’est rien, le jeu n’est rien, seule compte la faim qui justifie les moyens. Faim de vie, faim de pain, faim d’amour, faim toujours. Ton désir fait le monde. 

Mon ambition n’est pas sur terre. La vie que je vis me suffit. J’en ai vécu beaucoup en une. Mon but n’est pas de ce monde. Mon désir est de l’autre côté. Passée la mort, si j’existe encore, j’ai l’ambition démesurée de marchander ma liberté. Je veux me souvenir de moi, jusque dans les plus petits détails. Si l’Aigle existe — notre juge et notre ogre — je pourrai lui offrir de quoi satisfaire sa fringale. Je donnerai à l’Aigle une copie de qui je suis. S’il s’en contente, il me laissera passer.  

« J’ai déjà reçu le pouvoir qui gouverne mon destin.
Et je ne m’accroche à rien, pour n’avoir rien à défendre.
Je n’ai pas de pensées, pour être capable de voir.
Je ne crains rien, afin de me souvenir de moi-même. 
L’Aigle me laissera passer, serein et détaché, jusqu’à la liberté. »
Carlos Castaneda

 

 

Le vent se lève. Il faut tenter de vivre. Oublier ces folies qui me tueront si je m’y attache ainsi. L’autre nom de l’Aigle est trou noir. Rien n’échappe aux trous noirs, pas même la lumière. Le mangeur d’âmes peut-il laisser partir quiconque ? Ce pari est absurde. L’Aigle n’a pas d’état d’âme. Il n’a pas d’émotions. C’est pourquoi il se nourrit des nôtres. Il est là pour nettoyer les vagues humaines, qui comptent à peine. Sa coupe est pleine. Après la mort, au-delà du mur de l’oubli, y a-t-il encore moyen de tirer son épingle du jeu ? Tout se joue ici et maintenant. Vouloir un impossible après, chercher l’inaccessible étoile, rêver debout quand tout s’agite autour de nous, non-sens, extraordinaire naïveté, folie démesurée. Courir après la surhumanité. Oui, l’ami. Tu as raison. Je suis toujours aussi con.

Je vous enseigne le Surhumain. L’homme n’existe que pour être dépassé. Qu’avez-vous fait pour le dépasser ?

Friedrich Nietzsche

 

Mais s’il y a une chance, toute petite, une seule chance sur des millions de malchances, je la saisirai par les ouïes. Je partirai demain sur le chemin dont aucun ne revient. Baluchon sur l’épaule, tel le Fol du tarot. Marche ou crève, va sans trêve, petit paquet de rêves, dans le vent qui se lève. Des musiques et chansons de quand j’étais enfant feront escorte à ma peau morte, doucement je fermerai la porte aux doux souvenirs qui m’emportent. Tout est fini pourvu qu’on sorte, reniant la chair accorte, les chants touchants et le parfum des champs. Ta peau de soie, ton corps sur moi, tes baisers menus, tes yeux doux, ton petit minois, ton minou mignon et ce troublant parfum de toi. Tout s’oubliera au fond du ventre du néant. Vivons l’instant présent.

Les deux jours les plus importants de ta vie sont le jour où tu es né et le jour où tu comprends pourquoi.

Mark Twain

 

Aimons ce que jamais on ne verra deux fois. Les bisous du bout de tes doigts. Un tel bonheur ne revient pas. Trois petits tours et puis s’en va. L’Aigle attendra. Il faut accomplir tant de choses, cueillir encore tant de roses, me battre encore pour tant de causes. Dis que tu m’aimes. Souris-moi même. Pardonne à mon cœur ses blasphèmes. Sur tes cheveux doux le diadème de mes mains amoureuses se pose. 

L’Aigle ? Un personnage de conte de fées. Un mythe né au hasard d’un cerveau enfiévré. Un épouvantail, un pantin désarticulé. Que fais-je ici ? Pas la moindre idée… 

Il y a la place dans la barque
Du nautonier de l’au-delà
Fringant coursier dont le dos s’arque
Sous le fardeau des falbalas
Gréement du voilier qu’on étarque
Juste avant qu’il ne soit plus là
Embarque 

 

 

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Entre tes jambes, je vois la lumière.
Stef Kervor