Papatoès ? Qui est-ce ? Il tire fort sur sa laisse. Fais gaffe princesse, il te sniffe les fesses. Crains les caresses du vieux Papatoès. Face au moral en baisse, sa libido progresse. Il te presse, il t’oppresse, il s’enhardit sans cesse. Maître ès maladresses, Patate en fait des caisses. Qui est-ce ? Pas de promesse, fous tes boules quiès.

Il a changé le bougre. Il est dérangé. C’est un vrai danger. Il veut tout manger, peut tout engranger, doit tout vendanger. Il boit trop. Trou qu’il est, tranquille, il picole, hoquète et s’écroule en tas. Mais dans quel état ! Avec émotion, je vois le vieux temps où je l’aimais tant. Il a bercé mes rêves d’enfant, il gâche mes cauchemars de grand.

L’oublier ? J’ai oublié ça aussi. Me voilà rendu à l’âge qu’il avait quand je l’ai connu. J’ai fui la ville il y a trente ans de ça. J’en avais 42. J’ai regagné ma Bretagne, je l’ai trouvée trop envahie l’été. Jaloux de ma tranquillité, je me suis fait gardien de phare. À dire vrai, mon phare est automatique depuis des années. Donc déserté. Plus de gardien. Alors je l’ai loué contre effort. Mon rôle consiste à réparer ce qui doit l’être, sans toucher ni au projo rotatif, ni à la cuve hydraulique, ni à la mécanique, ni à l’informatique. Je m’occupe des pierres, des fenêtres et des portes. Voilà mon loyer.

Pourquoi éprouvé-je le besoin tyrannique de ressasser sans cesse les excès passés du Vieux Patate ? Un foutu psychopathe. Paix à son âme, c’était un âne. Il doit être canné depuis des années dans son caddy défoncé, c’est ce que vous pensez. C’est ce que je croyais. Je t’en foutrais !

Psychopatate

Une belle soirée de septembre, calme sur la mer comme dans le ciel, pas de vent, pas de mouches qui piquent, pas d’écume ni de lames qui se brisent sur la phare, je peux profiter de la petite terrasse aménagée pour les transbordements. C’est mon solarium par beau temps. Deux sortes de chaises longues ont été creusées et maçonnées par mes prédécesseurs sur lesquelles j’adore me vautrer, les yeux clos, la tête vide.

Il faisait doux, j’ai chopé ma gratte et j’ai joué mes vieux succès. Le cœur léger, la tête vide, je me suis mis à chanter. Mes compositions anciennes, tout d’abord. La Baleine, Vieux Camarade, T’es Belle, Qu’as-tu Cathy, Le Pays du Dedans, Les Gaulois, Le Chevalier Ficelle, Les Parques… Et puis encore La Baleine, c’était de circonstance. Elle m’a propulsé d’un coup de queue vers les chants de marins, qui sont les folksongs de nos côtes.

Je chantais à tue-tête. La guitare tremblait de rage et de surcharge énergétique. On aurait dit une électrique. Du coup le volume sonore manquait pour le vocal. Aussitôt une autre voix, de basse celle-là, m’a accompagné. Timide d’abord, puis de plus en plus assurée. C’était si naturel, indispensable ! Les harmonies m’ont bercé pendant de longues minutes avant que je réagisse. D’où vient cette voix ? J’ai doucement posé ma guitare et je me suis retourné encore plus lentement.

Et je l’ai vu. Il m’a souri, bon enfant. Il m’a dit : On ne chante plus ?

Un guerrier doit vaincre la peur. Contrôler ses émotions. je n’ai pas crié, je me suis juste frotté les yeux. L’instant d’après, il avait disparu. Je l’ai appelé, je l’ai cherché dans le phare, sur l’îlot, c’était vite vu. Il avait disparu. Encore une hallu.Six nations ?

Reviendu

J’étais fatigué de toutes ces conneries. Je voulais ma tranquillité, intérieure, extérieure, totale et durable. Je l’ai toujours voulue et ne l’ai jamais eue. Sans doute était-ce trop demander. Je n’ai jamais été tranquille une seule seconde, moi qui ai vécu seul si longtemps. Des hallus, des visions, des mirages, des fantômes, des revenants, des spectres, des égrégores, je n’en peux plus, je demande la paix. LA PAIX !

Mais ça n’est toujours pas au programme. J’ai repris ma vieille râpe à sons, je l’ai enlacée amoureusement, doucettement, bien gentiment, et j’ai joué pour moi seul le concierto de Aranjuez. Ça m’a toujours fait du bien. Trois jours sont passés sans histoire. Et comme je m’attablais pour mon déjeuner, mal réveillé, la voix de Patate s’est fait entendre derrière moi.
-Tu les veux comment tes œufs ?

Je ne mange pas d’œuf. D’ailleurs je n’ai pas de poule dans mon phare. Et je le déplore. Alors je voudrais bien savoir d’où vient cette odeur d’œufs grillés ? Du même droïde que la voix patatoïde. Il est revenu le vieux cul. Évidemment.
-Ouaip ! Je suis reviendu comme on dit à Groland ! s’exclame le Vieux dans un gros rire lourd. On fait quoi ce matin ? On chante ?

Fais chier Patate. Je t’ai assez vu. Manque de pot, à partir de ce jour-là, le 22 septembre équinoxe d’automne de l’an 2010, Patate ne me quitte plus d’une semelle. Je suis maudit, j’en porte les séquelles. La bête affreuse me tient par les burnes, elle ne va pas me lâcher. Fais chier.

L’énigme

Déjà le fait qu’il ressurgisse ici, en pleine mer, à mille lieues de son milieu, trop loin de sa foutue banlieue crade – c’était totalement incompréhensible. Mais il y a autre chose. Quand je l’ai perdu de vue, il y a quarante piges, le Vieux n’était plus tout jeune. Maintenant c’est mon tour. Le temps passe pour tout le monde.

Sauf pour lui apparemment. Il n’a pas changé d’un poil. Toujours le même qu’avant. Comme moi maintenant. On dirait même qu’il fait plus jeune le salopard. Comment c’est possible ? Quand j’y repense, il ne changeait pas non plus à l’époque, mais je n’ai pas fait gaffe. J’étais le cancre à l’école des buissons, dans la cour de récré des voyous. Keum qui se fout de tout.

Hé Dieu, si j’eusse étudié
Du temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes mœurs dédié,
J’eusse maison et couche molle.
Mais quoi ? Je fuyais l’école
Comme fait le mauvais enfant.
En entendant cette parole

À peu que le cœur ne me fend.
(François Villon)

Ah c’est sûr, jamais Patate aurait pu torcher ça ! Quel tempo ! Quel chagrin ! Villon était condamné à mort et ça se sent si fort. Élégie. Et l’idiot ? Pourquoi cet animal est-il resté le même après quarante ans ? Quand même ! Il ne vieillit donc pas ? Pourquoi, hein ? Pourquoi ?? 

Purée de Patate

Je me suis promis de lui faire cracher le morceau. Il a dû sentir le truc, parce que les jours et les semaines suivantes, il apparaissait et disparaissait trop vite pour que j’ai le temps de le cuisiner. Fantôme de l’Eau paiera,allusion sa brusque survenue me flanquait une baffe à chaque fois. Et son départ sans crier gare au beau milieu d’une phrase me collait son pied au cul.

Il faut du temps pour lâcher prise. Devant la porte grise, les doigts dans la prise, je mise ma chemise grise,où l’as-tu mise ? la peur n’est pas admise, fuir n’est pas de mise. Je crains le pire. Je vais l’ouvrir, la forte porte, je vais tout découvrir. Soupir ! Il est temps d’en finir. Réapprendre à sourire. Le meilleur devient pire, le voyant devient mir.

Un mir, qui s’écrit aussi myre comme Nicolas de Myre, était un enchanteur d’Europe centrale où son nom signifie la paix. Et quand il casse les glaouis avec ses tours bien chiants, on le repousse en criant son nom : LA PAIX !!! Ou encore : LA PAIX BORDEL !!!!

Lui crier dessus ça lui a pas plu. Et Patate le mir n’est jamais revenu.

Il s’était envolé pour de bon. Parti depuis longtemps comme une dinde à travers le maïs. (source) Repose en paix Vieux Patate.

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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