Chance ou malchance?

 

Des bourrasques à 207 km/h, des vagues hautes de 21 mètres, 780.000 foyers privés d’électricité… Dans la nuit du mercredi 1er au jeudi 2 novembre 2023, la Bretagne a subi de lourds dégâts dus à la tempête Ciaran. La région a été la plus touchée. Les vents y ont été si forts qu’ils ont réussi à briser une grue en deux, et à déraciner des dizaines d’arbres, dont deux dans mon jardin, sans compter une grosse branche abattue sur mon chalet de méditation, et une porte explosée.

 

Une telle chance!

Voilà des années que la Bretagne essuie des tempêtes parfois violentes, comme celle de 2001. Le désastre est passé au large. Mes parents ont acheté cette propriété en 1953, et depuis lors, chaque année, j’y passe des semaines, voire des mois. Je m’y suis installé après leur décès, j’étais déjà ici lors de la tempête mémorable de 2001, rien n’a morflé. Jamais de dégâts en soixante-dix ans! Quand on habite en bord de mer, très exposé aux vents de suroît qui font rage dans la baie de Saint Brieuc, c’est une prouesse. Pour moi, ça s’appelle la chance. Comme je ne crois pas au hasard, une chance pareille signifie protection.

Je suis protégé depuis mon jeune âge. Depuis toujours. Les maisons que j’ai habité, les lieux que j’ai fréquenté ont toujours reçu la même protection, souvent inexplicable. Il y a des dégâts tout autour, et rien là où je me trouve. Et l’amour qui m’entoure! Que d’amour j’ai donné, autant que j’en ai reçu! J’ai eu la chance de vivre quatre merveilleuses histoires d’amour, des romances comme on serait content d’en connaître une seule, car elle enchante le reste de la vie. Fabuleuses histoires d’amour. Je vis la quatrième, merveilleuse et délirante, avec une femme en tout point admirable. Ceux qui ont le privilège de la connaître seront de mon avis.

Quand j’y pense, je me pince pour voir si j’existe. Si elle existe. Si tout ça est bien vrai. J’ai failli mourir si souvent! Ainsi dans ma folle jeunesse, comme je faisais la route avec Micha, deuxième grand amour de ma vie, la mère de mes garçons, celle qui m’a comblé pendant un quart de siècle, je ne dis pas qu’on a souvent frôlé la mort, mais plus d’une fois nous nous sommes trouvés dans un fichu guêpier.

 

Bang-bang!

À 20 ans, nous traversons l’Europe dans une vieille Oldsmobile pour faire le tour de la Turquie. Sur le lac Tuz, un grand lac salé en plein désert d’Anatolie, un parti de Kurdes  nous encerclent tandis qu’on casse la croûte. On leur propose de la Vache Qui Rit, ça ne les fait pas rire, les vaches! Ils hochent la tête avec un Yok! sonore. Ça veut dire non, foutez le camp! Ce qu’on fait illico.

À 22 ans, nous voici à Macao, Chine portugaise, où nous passons des mois interminables. Sur la minuscule presqu’île s’entassent 200.000 Chinois. Il n’y avait que 200 Occidentaux, dont 150 Portugais. Micha et moi, nous sommes les seuls Français. Derrière la Porta do Cerco gardée par les gardes rouges, commence la Chine communiste, Mainland China comme on disait par prudence. Les Blancs n’y sont pas les bienvenus. Les hauts parleurs de Mao Ze Dingue diffusent des messages anti-colonialistes et moralisants. Dans l’abri relatif du collège Santa Rosa de Lima, caché derrière les bonnes sœurs, j’enseigne le français. Les cours sont couverts par les cris des émeutiers. Chaque détonation nous fait sursauter. Ce ne sont bien souvent que des pétards, les Chinois en raffolent. Mais il y a aussi des coups de feu.

 

 

Kalash

À 24 ans, les sorciers vaudous et les zombis d’Haïti ont bien failli nous avoir. Sans la protection de notre jeune guide, deux Français auraient « disparus » lors du pélerinage vaudou de Saut-d’Eau, en pleine montagne sauvage, où nous étions les seuls Zoreilles.Surnom des Blancs Et cette disparition n’aurait pas fait une ligne dans le canard local…

À 25 ans, nous étions au Sénégal quand a éclaté une violente émeute, manifestement anti-colonialiste. Les armes automatiques faisaient entendre des rafales peu avenantes. Nous étions descendu plein sud, à Ziguinchor, en Casamance. La ville était déjà à feu et à sang. Un minibus nous a évacué d’urgence, direction l’aérodrome herbeux. Fumées, explosions, une vitre du bus a explosé, mais pas de blessé à bord. Le petit bus s’est arrêté sur l’herbe de la piste unique, tout près du petit coucou qui devait nous emporter vers l’aéroport international de Dakar. En descendant, stupeur! Les flancs du véhicule étaient zébrés par plusieurs rafales de Kalashnikov!

 

De boa en scorpion

Nos aventures autour du monde ont duré plus de douze ans, avant qu’on se fixe à Paris pour donner naissance à notre fils aîné, Loïc, qui a eu la bonne idée d’attendre qu’on se pose pour se manifester. Dans un temple de Goa, un gigantesque boa d’un temple hindou s’est glissé entre mes jambes. Le temps s’est arrêté pendant un long moment! Une autre fois, j’ai failli crever en passant un col à 5000m d’altitude pour me rendre à Amarnath, dans l’Himalaya. Les pèlerins shivaïtes y montent entre la pleine lune de Juillet et celle d’août, seule période de l’année où cette grotte sacrée est accessible, libre des neiges. Je ne pouvais plus respirer. Un peu plus, mon compère Gilles m’ouvrait la gorge pour laisser entrer l’air. Micha s’est interposée. Deux cent mètres plus bas, je retrouvais ma forme. Je venais d’atteindre mon altitude critique: 5000m. Je peux donc grimper les 4807m du Mont Blanc sans faire de malaise. Mais je n’ai plus l’âge ni le pied assez sûr…

Il y a eu cet enterrement d’un vieux chamane dans l’arrière-pays philippin: nous étions invités à la cérémonie émouvante, hélas elle a mal tourné. Hurlements, coups de poings, coups de feu, nous n’étions pas visés, mais quand même. Il y a eu l’Indonésie, des îles hostiles, livrées à la sauvagerie totale, avant de trouver le paradis terrestre: Bali l’enchanteresse, Bali la sublime, Bali la douce où je me suis fait piquer par une sorte de scorpion, heureusement non mortel. J’en fus quitte pour un bras enflé, en écharpe pour deux semaines. On voit encore la cicatrice.

Tout ça pourrait faire un bouquin flippant. Mais toujours, quoi qu’il advienne, on est passé au travers. Et maintenant, que se passe-t-il?

 

 

Fin de la chance?

Pourquoi, tout à coup, le vent de la chance a laissé place à celui de Ciaran? Pourquoi mon jardin est-il dévasté? Je n’en ai pas la moindre idée…

Autre chose: pourquoi mon corps me fait-il souffrir de partout? Le cou, les hanches, le bide, les pieds, la tête, rien ne va plus. Je me suis toujours porté comme un charme, je deviens ce charme qu’on abat, comme les arbres de mon jardin magique. Je n’aime pas me plaindre, pourtant j’ai déjà évoqué mon combat astral avec cet être super lumineux que j’ai pris pour un archange. Vacherie d’Archonte, mon compte est bon.

D’une décharge électrique, il m’a flingué le cou. Cré vingt dieux! La douleur me réveille en sursaut. D’autres Loups Volants ont témoigné de l’incident, je n’avais pas rêvé. Ou plutôt si, j’avais rêvé, mais c’était un rêve contrôlé, semblable à l’art de rêver des sorciers du Nagual. Et depuis lors, mon vieux corps se dégrade. Pour un guérisseur, c’est le comble. J’ôte les bobos, graves ou légers, de tous mes visiteurs, et je ne suis plus capable de me guérir moi-même. Pendant des années, je n’ai jamais eu à me guérir, vu que je ne tombais jamais malade.

Est-ce de la chance? Est-ce de la malchance? Vraiment je n’en sais rien, dit le vieux Chinois. Qui peut dire si une tuile ne deviendra pas une aubaine ? Si une grande joie n’apportera pas un grand chagrin ? Qui peut dire si c’est bien d’agir de telle ou telle façon ? On se souvient du paradoxe de l’escargot. Faut-il intervenir dans le cours d’une autre existence ? Nos principes moraux tiennent-ils compte de tous les paramètres ? Peut-on faire entrer la complexité du vivant dans une grille d’analyse ? Il y aura toujours plusieurs inconnues dans nos pauvres équations. (source)

 

Chute positive

C’est drôle ce verbe tomber. Tomber malade. Mais aussi tomber enceinte. Tomber amoureux. Tomber raide dingue. Tomber une fille. La chute positive? C’est donc ce qui m’arrive? Vais-je rebondir ou tomber plus profond encore? Allez, ça suffit, je vais très bien. Le moral est excellent, jamais les stages n’ont été si bénéfiques, les éveillés sortent d’ici avec un grand sourire. Quand on voit ce triste monde de plus en plus enténébré, la clarté d’un nouvel éveillé est un baume sans pareil.

La chance ne m’a pas quitté. Elle prend une autre forme. La souffrance a toujours été un instrument d’accomplissement, de dépassement, de purification. Il est utile que j’en prenne plein la tête et le reste. Cette chance fabuleuse a veillé sur moi, qui m’a toujours mené au bon endroit. Des amis comme il y en a peu ont fait de ma vie un livre d’or aux dix mille pages. Micha m’a donné deux garçons aussi intelligents que beaux — le deuxième vient de m’apporter un petit-fils. Des passe-temps excitants m’ont tenu lieu de carrière, du coup je me suis amusé toute ma vie. Et ça continue avec Eden Saga, qui me comble au-delà de toute espérance.

Non, rien n’a changé, sauf le régime. Changement de vitesse, de pignon, de braquet. Quand une côte arrive, il est normal d’en mettre un coup. Mes fesses ont quitté la selle, et alors? Pas de souci. Les Archontes m’ont fait tomber de mon trône, mais ils ne vont pas se débarrasser de moi pour autant.

 

Aucune chance que je n’en aie plus.

 

Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toute limite.
Nelson Mandela