Avez-vous remarqué que ce mot revient souvent dans mes pages ? Soyez guerriers, la Règle du guerrier, le guerrier impeccable… D’aucuns penseront que je mets ce terme belliqueux à toutes les sauces. C’est vrai, j’en use et j’en abuse. Mais le guerrier dont je parle si volontiers n’a rien d’un soldat ni d’un bagarreur. Il ne cherche pas la guerre, mais la lumière.
S’il se bat, c’est contre lui-même, dans l’espoir de nettoyer ses défauts. S’il est blessé, s’il saigne, c’est dans son cœur; il n’étale pas ses blessures. S’il est pugnace, c’est son chemin de droiture, il ne transige pas avec la Règle non-écrite. S’il est fatigué, ce n’est pas d’avoir trop travaillé, c’est d’avoir trop mal œuvré. S’il regarde en lui, il le sait. Il se voit tel qu’il est. Il ne se fait pas de cadeau, mais ne se torture pas non plus. Toute vengeance est inutile, contre les autres comme contre soi-même.
Le guerrier, c’est vous, c’est moi. C’est tous ceux qui arpentent le chemin de l’éveil. Tous ceux qui ont choisi de s’élever au-dessus de la matière, grâce à la matière physique, et en dépit de la matière électronique. Les semeurs de rêves. Les suiveurs d’étoile. Les marcheurs de pouvoir. Ce guerrier-là est très hors du monde. Trésor du monde. Il ne recherche pas à tout prix la compagnie de ses semblables. Il vit à l’écart de la meute. Sa guerre, il la mène contre lui-même. Tel est le véritable sens du jihad, la guerre sainte contre ses propres faiblesses.
Dans ce but, il recherche non pas ses semblables mais ses contradicteurs. Il n’a pas de mal à en trouver. Ce sont eux que les naguals appellent des petits tyrans. Ils sont utiles au guerrier car ils l’aident à progresser. L’idéal du guerrier est l’impeccabilité non-stop, l’éveil non-stop, l’amour non-stop. Comme tout idéal, celui du guerrier s’acquiert à grand peine, au prix d’immenses efforts tout au long de la vie.
Personne n’est jamais tout à fait impeccable de son vivant. Il n’y parvient qu’avec la mort. Ce qui a fait dire à un sage que si la mort est le cauchemar de l’homme ordinaire, elle est la perfection du guerrier. Il ne la craint ni ne l’espère. Elle est là, précieuse conseillère, à chaque instant, derrière son épaule gauche.
J’ai été touché par ma mort à plusieurs reprises. J’ai pu la regarder en face, les yeux dans les yeux. Du coup, je crois la connaître. La mort est jaune et sent la vanille, dit Jean Rochefort dans Le mari de la coiffeuse. Cette phrase m’a touché au cœur. Dit-elle vrai ? Je ne sais et je m’en moque. Ma mort, je ne la vois pas, je ne la hume pas. Elle est derrière mon dos qui m’épie, qui m’observe. Elle ne perd rien de ce que je fais. Elle me jauge, elle me juge. Elle m’attend à chaque instant. J’ai tout mon temps…
Je sais qu’elle me ressemble, mais nous sommes pourtant très différents, elle et moi. Ma mort est sûre de son affaire, elle connaît déjà la fin du film. Moi je ne suis sûr de rien. Et ça fait toute la différence. Elle a tout le temps, tandis que mes jours sont comptés. Nul ne sait ni le jour ni l’heure. Pas plus le guerrier que le sorcier. Ma mort le sait-elle ? J’en doute. Ou si elle le sait, elle ne le montre pas.
Pour le genre de combat que mène le guerrier, aucune violence n’est requise. Le guerrier de lumière est pacifique. Il n’use pas de contrainte. Il est doux et maître de lui en toutes circonstances.
La douceur envers soi aide à être doux avec autrui.
S’il échoue, il s’efforce de trouver la cause de son échec, et fait en sorte de ne pas retomber dans le même piège. Ça aussi, c’est un idéal inaccessible. Le guerrier s’y efforce, et quand il fait une connerie, il ne se fait pas de reproche : ce qui lui évite de faire une deuxième connerie.
Dans un couple, ou entre de vieux amis, les disputes éclatent et se déroulent souvent selon un scénario immuable. Chaque étape, du déclencheur au paroxysme de l’embrouille, arrive à son heure, dans un ordre précis, et la crise épuise les protagonistes qui en sortent meurtris. Le guerrier s’efforce de repérer le déclencheur des hostilités. C’est sur le déclencheur qu’il peut agir et court-circuiter le déroulement. Agir sur le déclencheur, c’est éviter de réagir à la sollicitation. Ne pas entrer dans l’intrigue éculée. Refuser de rejouer la même scène pour la énième fois.
Le contrôle total des émotions négatives et des pulsions destructrices est un chemin d’éveil. La maîtrise de soi est la qualité première du guerrier. Une étape décisive vers l’impeccabilité. Ce n’est pas un but, c’est une condition. Les véritables progrès sur le chemin de lumière ne commencent qu’après. Pratiquer l’impeccabilité est une préoccupation constante de l’apprenti. Le guerrier confirmé n’y pense plus. L’automatisme est acquis à ce stade.
Mais les rechutes sont toujours possibles. Elles amènent le guerrier à une introspection positive. loin de se faire des reproches stériles, voire dévastateurs, il s’efforce de comprendre le mécanisme de son erreur. Il en recherche la cause.
Le guerrier n’attend rien, n’espère rien, ne demande rien. Son but est son chemin. Tout ce qui lui arrive est une bénédiction. Il rend grâce au Vivant principe de toutes choses. Il agit sans attendre de résultat de son action, mais il agit toujours. Ceux qui le voient vivre le prennent pour un fou, mais pour lui, les fous, ce sont eux qui jugent sans savoir, sans comprendre.
Le fou se croit sage, le sage se sait fou.
Nous ne sommes pas tous de l’étoffe dont on fait les guerriers de lumière. Nous ne sommes pas du bois dont on fait les cercueils. La mort n’est pas le but, mais le chemin. La vie continue par delà la mort, sur des chemins improbables, à travers des surprises inimaginables.
Le guerrier ne se préoccupe pas de l’avenir, car tant qu’il ne devient pas le présent, il n’offre qu’un intérêt spéculatif. Le guerrier reçoit les conseils et les anticipations que lui donne son double. Il apprend à l’entendre, il s’exerce à l’écouter. Son double est un conseil, sa mort en est un autre. Il écoute les deux, et sait faire la différence.
Le guerrier attache plus d’importance à l’invisible qu’au visible. Il sait que les choses cachées sont plus utiles que les trésors visibles. Il sait qu’un linceul n’a pas de poche, et ne s’intéresse qu’à ce qu’il emportera avec lui dans l’autre monde. Aucune des réalités physiques, aucun des objets concrets, aucune chose matérielle ne retient son attention. Il danse à la porte du mystère. Le guerrier ressemble à l’homme que décrit ce poème :
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles
L’homme y marche à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers (source)Baudelaire, Correspondances
L'histoire humaine commence en Afrique avec les australopithèques, des Noirs.
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