Il existe plusieurs marqueurs culturels pour observer l’évolution d’une société primitive : le cru et le cuit, les totems et les tabous, la chasse-cueillette et l’agriculture, mais aussi la parole et l’écrit. Certaines cultures écrivent, d’autres pas. Pourquoi ? La cause va vous surprendre. Le primitif n’est pas celui qu’on croit… Depuis toujours, ces deux façons de s’exprimer -la parole et l’écrit- se retrouvent dans toutes les cultures. Différences, préférences, références.

La pseudo-culture mondialisée a déjà fait son choix : l’écrit est partout, les écritures variées ont conquis la planète. Partout l’écrit s’impose, érudit, magnifique… Son triomphe ne laisse aucune place au doute. Ne pas savoir écrire te rend analphabète, anal fat bête. Le procès est instruit, la cause est jugée. Pas pour moi. Pas pour Eden Saga. Je refuse la pensée occidentale dominante qui considère que l’écrit l’emporte sur l’oral. C’est bien connu, les sauvages n’écrivent pas. Pourquoi ? Mais parce qu’ils sont sauvages, précisément ! Pétition de principe. Réponse idiote.

L’apparition de l’écriture dans un milieu primitif reste néanmoins la signature d’une société en voie de civilisation.  En corollaire suit la conviction bien ancrée que dans les cultures orales, il n’y a pas de pensée logique. C’est inexact. Et méprisant. Pourquoi vouloir à tout prix que la logique soit perfection ? Qu’en pensent les penseurs pros ? Ils opteront toujours pour la pensée, bien sûr. Pour eux, la pensée logique est une conquête. Un pas décisif vers l’humanisation. Les bêtes ne pensent pas, elles nous sont inférieures, croient-ils. 

Pas moi. Les humains n’ont pas toujours été bloqués dans la logique. Le diktat de la science infaillible est une magistrale connerie. La science se trompe si souvent ! La mondialisation renforce encore son diktat, dans tous les domaines.

 

En Chine, par exemple, la médecine traditionnelle se trouve reléguée au second plan par l’écrasante supériorité de la médecine occidentale dans tous les cas graves. En Chine, tout ce qui vient d’occident est jugé supérieur. Racisme à l’envers, ça passera. Au cours de 5000 ans d’histoire, la Chine en a vu d’autres.

Mais en attendant que cet engouement passager se dissipe, il exerce ses ravages sur les précieuses connaissances antiques et dévalorise toutes les cultures traditionnelles. Certains se demandent sans doute pourquoi je suis si remonté contre la pensée ? Si on ne pense pas, on est un abruti, non ?

Eh bien non, justement. L’état sans pensée est un accomplissement spirituel qui délivre l’éveillé du carcan égotique qu’exerce le mental sur tout un chacun. J’ai souvent insisté sur l’équation du mental et de l’ego. Jung a cette forte phrase, rarement comprise : « On passe la première moitié de sa vie à se forger un ego solide, et la deuxième à s’en débarrasser. »

La pensée ne sous a pas sorti des cavernes, ni l’écriture de la sauvagerie. L’homme est un roseau pensant, affirme Blaise Pascal. Se serait-il trompé ? Je crains que oui. 

Voici la citation intégrale : L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.
  (Blaise PascalPensées, fragment 347)

Pascal succombe aux nombreux a priori de son époque. Comment lui en vouloir ? A moins d’être voyant, on a les préjugés de son milieu et de son temps, c’est ainsi. Affirmer comme lui que toute notre dignité consiste en la pensée, est-ce bien raisonnable ? Si l’homme est tellement fragile, faible au point qu’une goutte d’eau suffise à le tuer, si l’homme est un roseau bien vulnérable, n’est-ce pas parce qu’il a tout misé sur la pensée, négligeant les infinies ressources de l’irrationnel ?

La sagesse du Nagual apporte une réponse qui ne laisse pas le moindre doute. La logique n’est qu’une position du point d’assemblage parmi des milliards d’autres possibles. Juan Matus le Yaqui enseigne que l’humanité ancienne n’était pas calé sur ce point d’assemblage logique, elle était centrée sur la connaissance immédiate, la science infuse, que Juan Matus appelle la connaissance silencieuse.

L’être humain est d’une puissance sans limite, pour peu qu’en lui s’exprime l’Esprit. Les Yaquis diraient le Nagual. Or il faut savoir que l’Esprit ne s’exprime qu’en l’absence totale de pensée. « Je pense donc je ne suis pas » aurait dû s’exclamer Descartes, au lieu de bêtement prétendre le contraire.

 

 

Les méditants savent bien que le but de leur pratique est d’accéder au vide mental, à l’absence de pensée. Les guerriers du Nagual font de même. Seuls les penseurs croient encore en la valeur de la pensée. Leur pensée. Leur ego.

Descartes a tort, Aristote aussi, et Platon manque de discernement. Il a échafaudé d’invraisemblables édifices sur des fondations incertaines. Ses prémisses sont erronées, et l’erreur lui incombe. Il n’a pas compris l’enseignement reçu. Consciencieux mais borné, Platon est un second couteau. La tête pensante est Socrate, qui n’a pas écrit une ligne. 

 

La parole est acte. L’écrit est la trace d’un acte.

Contrairement à ce qu’on croit, l’écriture n’est pas progrès, elle est déclin. A notre époque où tout passe par l’écrit, j’ai conscience que ces propos choquent. Il est loin le temps des Gaulois, qui refusaient d’écrire leur langue pour qu’elle demeure sacrée. Pourtant les écoles coraniques s’en tiennent encore à la règle de l’oral. Chaque écolier doit connaître le Coran par coeur, ainsi que d’autres textes religieux. Le travail de mémoire est travail sur soi-même, affirment les oulémas

La parole est d’or. Le proverbe est faux qui prétend que les paroles s’envolent, et que les écrits restent. Les écrits peuvent très bien disparaître. Tracés sur papier, papyrus, écorce, parchemin, tissu, ils disparaîtront quand leur support tombera en poussière. Même gravés sur pierre dure, les écrits sont voués à la disparition. Sacrée par essence, la parole demeure éternellement. La parole donnée ne se reprend pas.

Naguère la parole était si sacrée qu’elle dispensait du notaire – celui qui note, scribe moderne dont le métier est de consigner par écrit des promesses et des contrats. Avant le notaire, avant le scribe, il n’y avait que la parole.

J’écris, donc je ne suis pas. Je parle, et ma parole crée le monde.

Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu. Tout a commencé par la Parole, tout finit par des chansons. Paroles, paroles, et toujours des paroles…

 

 

 

Xavier Séguin

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