« Ainsi parlait Zarathoustra. Et en ce temps-là il séjournait dans la ville qu’on appelle : la Vache Multicolore. » Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est ainsi que Friedrich Nietzsche termine le chapitre Les Trois Métamorphoses de l’Esprit dans son chef d’œuvre éponyme, Ainsi parlait Zarathoustra. Il n’en dit pas plus, ça m’a toujours frustré. Alors je suis allé le voir où il est.
A ma grande surprise, j’ai trouvé Nietzsche en conversation intime avec une femme. Et pas n’importe laquelle. Une dame de haute race, qui adopte des attitudes garçonnes et affecte une absence totale de morale. Nietzsche l’appelle Chère Lou. En français sans accent. Ou d’autres fois Cara Salomé dans un italien parfait. Son dernier livre, Ainsi parlait Zarathoustra, vient de paraître. L’auteur est tendu. Son livre est sur les genoux de Cara Lou qui fait la moue.
– Bon sang ! Mon bouquin lui a-t-il plu ? Au moins l’a-t-elle lu ? Qu’elle dise quelque chose, bordel !! se dit Nietzsche en allemand et en lui-même, car n’oublions pas qu’il parlait aussi ces deux langues. Après un silence qui semble une éternité, la belle s’exclame : Frédéric mon ami je viens de terminer la lecture de ton meilleur livre !
Soulagement. Il ricane comme un simplet. Elle a aimé ! Son avis compte énormément pour Nietzsche. Il l’a rencontrée deux ans plus tôt à Saint-Pierre de Rome, l’a tout de suite aimée, même si leur relation reste platonique.
– Très beau livre, si pur ! Si grand ! Si haut, Frédéric… Oh! Mais pourquoi donner à la Ville ce nom bestial ?
– La Vache Multicolore ? Tel est son nom, répond Nietzsche qui se referme. Je l’ai vu, lu, entendu. Et même avant, je l’ai toujours su.
– Ce nom grotesque ? Une telle sottise ne se peut. C’est indigne.
– Il n’est nullement grotesque, nullement modeste. La gloire de cette brillante cité a rayonné sur toute la Terre. Pendant 30 siècles, à chaque nouvelle lune, sa fameuse parade des 80 génisses sacrées reproduisit le miracle des 80 Vaches Originelles. Voilà pourquoi la Ville s’appelle ainsi. Son nom est illustre, le plus noble qui soit. Tu es comme tous ceux de ce siècle, ma tendre aimée. L’oubli vous a tous endormis. Un jour je te conterai son histoire.
– Friedrich, mein liebe, ne fais pas ton vilain garçon. Parle. Conte-nous cette chose invraisemblable que tu brûles de me dire et que je brûle d’entendre.
Ma Lou, je te parle d’un temps que les moins de 500 000 ans ne peuvent pas connaître. De ce côté de l’Atlantique, la première métropole des humains fut bâtie par les dieux. On en connaît les ruines sous leur nom grec : Persépolis. Mais longtemps avant les Grecs et les Romains, La Vache Multicolore attirait des foules de pèlerins.
Ils affluaient de toutes les provinces, de tous les états, des deux mondes et des dix continents. Chaque année plus nombreux, ils ont poussé les murs de la ville et fait bâtir des maisons d’hôtes. Le commerce a prospéré. Sans les pèlerins, la Ville aurait périclité. Et sans les vaches sacrées, les pèlerins ne viendraient plus.
Durant dix siècles, le temple des 80 génisses a attiré des foules venues des deux mondes et même des confins. Des voyageurs d’Alcor ou d’Orion s’y rendaient volontiers pour contempler ces animaux divins. Leur beauté, leur noblesse, le port altier de leur tête, les ravissantes cornes profilées, le fin sabot noir, la robe couleur d’or, le poil duveteux, soyeux, rien dans leur apparence qui ne suscite l’admiration et l’enthousiasme.
Bien sûr, les génisses étaient régulièrement remplacées. Tous les trois ans, un jury se réunissait pour élire les princesses à cornes. On leur apportait des bêtes exceptionnelles parmi lesquelles il fallait choisir. La règle absolue était que les 80 bêtes devaient avoir le poil doré, mais que deux d’entre elles ne puissent avoir exactement la même nuance.
Le spectacle dans le temple prévoyait en effet que les déesses cornues soit rangées selon la nuance de leur robe, afin que la suite présente le dégradé le plus subtil, le plus sensuel, le plus sensationnel. La compétition durait quatre semaines. Elle était sévère, et le jury implacable. Les bêtes admises au temple rapportaient leur poids d’or.
On raconte, crois-le ma Lou, que le jeune Rama s’y est rendu avec son oncle. Il s’appelait encore Ramos, fils d’Hyperborée, humble gardien de troupeaux. Un tel voyage loin de sa terre celtique a marqué son enfance, et par-dessus tout le merveilleux spectacle du temple des génisses d’or. Bien des années plus tard, quand Ramos devint Rama, il instaura en Inde le culte de la Vache Sacrée. Je suis persuadé que cette décision est issue de son enfance, en souvenir du berger qu’il fut et du bonheur qu’il eut à contempler ces animaux sublimes.
Rama, comme tu le sais ma Lou, devint le maître du monde antique, le premier empereur du genre humain. Bien d’autres foudres de guerre ont prétendu l’imiter, Hannibal, Alexandre, César, Gengis Khan, Attila, Napoléon et d’autres, plus crapuleux encore. Ils ont tous échoué. Il leur manquait l’essentiel.Laisse en ciel. Rama était un homme juste, sincère et droit. Le conquérant garda toujours son esprit chevaleresque et un profond sens de l’équité.
Ses devoirs et ses responsabilités furent écrasant. Des millions de personnes humaines vivaient sous sa bannière. Le soleil ne se couchait jamais sur son empire. Et le Grand Soleil d’Hyperborée lui fournissait des armes, des supersoniques, des sous-marins et toute sorte de gadgets militaires qui ont grandement facilité ses conquêtes.
En ce temps-là, les dieux marchaient parmi les hommes. C’était l’âge des Héros, que Hésiode intercale entre l’âge de bronze et l’âge de fer. La Race de Bronze est celle de nos créateurs, les dieux d’avant qui mesuraient 4 mètres. La race de fer est la nôtre. Entre les deux, la race des Héros est la descendance bâtarde des dieux et des femmes, des déesses et des hommes.
Hésiode énumère ainsi cinq humanités successives, et non quatre, comme il est coutume de le faire. Je me range à son point de vue, conforme aux traditions asiatiques ainsi qu’à l’enseignement de Rama, fils d’Hyperborée. Rama est un Christ, un vrai. Fils de dieu, il est descendu sur terre pour la rédemption des hommes et des femmes.
Son enseignement se retrouve à peu près intact dans le bouddhisme, à condition de prendre un peu du Zen, un peu des Böns, un peu du Mahayana et un peu du Hinayana, on assaisonne d’une bonne poignée de piments rouges, et on laisse cuire au soleil des cimes pendant une lunaison. Je veux dire par là que tout le sel originel des leçons données par Rama le Prince Charmant est dilué, trahi, masqué, occulté, dissimulé, tordu, gauchi, voilé, niqué, foutu. Une seule solution : remonter y goûter à la source. Ce que j’ai fait.
Or quel est son enseignement le plus noble et le plus sensé ? Les quatre collèges ? Croire sans y croire ? Le Yi-King ? L’égalité hommes-femmes ? Le respect des anciens ? La confiance en la jeunesse ? Oui, il nous a apporté tout ça, et bien d’autres merveilles encore. Beaucoup, hélas, se sont perdues depuis cet âge. On y reviendra, me dis-tu, quand on en aura marre d’être cons.
Tu n’y es pas, ma Lou. Son plus bel enseignement, c’est d’avoir honoré la Vache à jamais. De l’avoir rendue Sacrée. Divine. Sanctifiée pour toujours. Louée sois-tu sans fin, toi notre seconde mère, ô fille de l’auroch ! Béni soit ton lait nourricier, ô Déesse Hathor, ô Astarté, ô Vache Sacrée, ô Déesse Mère ! Ô Femme Bison Blanc !
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