L’arcane sans nom

L’arcane sans nom porte le numéro XIII. On l’a parfois appelée La Mort, ce qui lui donne un sens négatif. Mais l’arcane XIII n’est pas la mort. C’est un grave contresens, issu d’une époque (ou d’un pays) qui ne comprenait pas le tarot initiatique. Il s’agit au contraire d’une régénérescence, un grand nettoyage des engrammes et des souvenirs douloureux enfouis au plus profond de l’inconscient.

C’est la mort initiatique, un arcane très positif, même s’il est parfois pénible à vivre. Personne n’a envie de revivre les traumatismes émotionnels ou physiques de son passé. Pour tout guerrier de lumière, c’est une tâche pénible mais indispensable sur le chemin de l’éveil. Aujourd’hui chacun s’y attelle seul, et remporte la victoire sans avoir besoin d’aide extérieure, sans même être conscient des engrammes qu’il nettoie. Dans les années 90, cet arcane particulier pouvait demander l’assistance d’un passeur. Son rôle était d’aider le demandeur à descendre au plus profond de lui-même, pour fouiller son émotionnel à la recherche des incidents oubliés, qui seuls représentent un danger grave.

Les traumatismes dont on se souvient sont infiniment moins nocifs – aussi terribles soient-ils ! – que les blessures morales ou physiques qu’on a oubliées. Celles-là exercent des ravages sur notre moral, notre caractère et notre comportement pendant des dizaines d’années, voire toute la vie dans certains cas. Un article sur l’engramme et ses conséquences est en préparation. Il sera publié prochainement sur ce site. Je ferme la parenthèse pour ne pas m’éloigner de mon sujet. Ce qui m’arrive assez souvent…

En 1992, mon couple battait de l’aile, Micha et moi n’avions plus de projets communs, et au fil des années douces ou cruelles nos centres d’intérêt avaient nettement divergé. C’est triste, mais c’est ainsi. Je savais qu’un jour ou l’autre il faudrait me séparer de la mère de mes enfants, mais je ne pouvais m’y résoudre. Alors je sombrais dans la mélancolie, juste capable d’ingurgiter des séries télé à la con et de faire des mots croisés.

J’étais hors de mon corps, j’explorais des sphères lointaines, mais la vie quotidienne me rattrapait au tournant pour me clouer au pilori. Ma seule joie, considérable : mes deux garçons qui sont des cadeaux, des amours, des aubaines. J’ai partagé avec eux tout ce que j’ai pu, ils ont pris ce qu’ils ont voulu, et m’ont comblé de joie, de frissons, de rires et d’amour. D’angoisse aussi, et de chagrin parfois, mais toujours dans l’amour.

À force de danser d’un pied sur l’autre, traînant de ci de là mon mal de vivre, déprime aggravée, désintérêt chronique, indifférence proche de la mort du corps, j’étais devenu une sorte de zombie version BD. Je tirais sur la corde jusqu’à la rupture, que je sentais imminente. J’aillais frapper à la porte d’un vieux pote du scoutisme, Jean-Claude Flornoy, que j’avais récemment retrouvé pour qu’il m’aide à monter un dossier européen.

Jean-Claude, j’ai besoin d’un coup de main, je sens que mon couple part à vau l’eau et je ne peux pas m’y résoudre.
– Tu me connais, me dit-il, je suis fleur bleue, je vais tout faire pour sauver ton couple. Dans ton cas, je prescris l’arcane XIII.
– ???
– Tu connais la descente aux enfers ? Je peux t’organiser ça. Tu en reviendras propre comme un sou neuf.
Ça me tentait bien. Je lui demande en quoi ça consiste.
– Transe profonde, revécus émotionnels, nettoyage engrammique.

Il ne m’en faut pas plus. Je comprends tout de suite que c’est juste ce dont j’ai besoin. Le filou m’a bien roulé dans la farine. Je n’y ai vu que du feu. Dans la majorité des cas, l’arcane XIII a pour résultat la séparation d’un couple, et Jean-Claude le savait bien. J’aurais pu m’en douter, car il n’a jamais rien eu de romantique, et quand il s’est décrit comme étant fleur bleue, ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. En tout cas, mon couple n’y a pas résisté, mais c’est une autre histoire…

Avant la semaine de transes, Jean-Claude me demande de rédiger l’histoire de ma vie, en ne m’intéressant qu’aux aspects émotionnels et énergétiques. Je ponds une dizaine de pages qui me racontent bien, du moins le crois-je. Cependant, lorsque je terminerai le rituel de l’arcane XIII, il me demandera de réécrire ma vie, et la deuxième version sera totalement différente! Mais je n’en suis pas là.

Le jour fatidique arrive enfin. Je fais le trajet depuis Paris avec une boule au creux du ventre. L’accueil à Rochefort est cordial. Cette fois Jean-Claude est seul, j’aime autant. Je n’aurais pas aimé trouver comme d’ab une dizaine de gugusses et de nénettes plus ou moins amoureuses du maître de céans.

Le domaine de Rochefort est auto-suffisant et auto-financé. Flornoy a étudié l’hydo-électricité afin d’assurer la maintenance de trois turbines qui rapportent de quoi faire vivre l’ensemble. Ici quand il pleut, on se frotte les mains. Quand le compteur électrique se met à tourner plus vite, on se réjouit : EdF va nous faire un gros chèque en fin de mois.

Premier choc. Quand je demande à mon pote Jean-Claude comment je dois m’habiller pour la transe, sa réponse jette un froid. « La tenue est la plus simple qui soit » me répond-il, laconique. Bon, ça se fait à loilpé. Pourquoi pas ? Au début ça me déstabilise un poil,on admire le style  mais je comprends vite la nécessité de ce dispositif.

Jean-Claude me montre la position de montée d’énergie, empruntée aux Templiers qui avaient développé un véritable yoga occidental. Il s’agit de tenir une bonne heure dans cette position plus qu’inconfortable qui donne des suées dans tout le corps, des tremblements compulsifs, des crampes et j’en passe. 

Ensuite c’est le chevalet, saloperie d’instrument de torture. Un tréteau sur lequel on se tient en équilibre sur les reins, seul point d’appui. Le tréteau est recouvert d’un morceau de moquette pour atténuer (un peu) la souffrance. Mais je dois dire qu’on morfle comme des bêtes. Après une autre heure à ce régime, je n’ai plus qu’à m’effondrer sur un matelas, brisé, plus mort que vif.

La tentation de s’endormir me saisit, mais Jean-Claude veille au grain. Tout de suite, sur un ton robotique, il me guide dans la descente à l’intérieur de moi-même. D’abord je ne vois que des couleurs, jaune, bleu, violet. Puis les images affluent. Stupeur ! Je suis une femme ! Une petite chinoise, ou tibétaine, recluse dans un monastère de l’Himalaya.

Suivront une bonne vingtaine de vies antérieures. Je les mettrai en ligne prochainement, ceux que ça intéresse pourront les télécharger en pdf. Cette revue de détail prend trois jours. Le quatrième, nous entrons dans le vif du sujet : ma vie actuelle, ici et maintenant, planète terre, 1992.

Défilent les engrammes, paradent les hontes enfouies, remontent les chagrins violents de l’enfance, les vilenies, les moches coups, les bassesses, n’en jetez plus. Je préférais nettement retrouver mes vies antérieures. Tout ce fatras merdique brosse de moi un portrait détestable. Comme on se connaît peu ! Comme on se souvient mal… Oublié le beau roman doré sur tranche que j’avais fait de ma vie rêvée. Oubliée l’image valorisante que j’avais de moi-même. Oublié le preux chevalier, l’explorateur intrépide, le noble seigneur, le petit roi merveileux, oubliées toutes ces photos truquées que ma mémoire docile me servait à point nommé. Toutes ces jolies images qui avaient pris la place de mon passé réel…

A l’issue du cinquième jour, une catharsis pleine de larmes et de lumière salue la naissance de mon nouveau moi. Ego toujours, ego encore, mais pantelant, détruit, repentant. Il faut pardonner à tes ennemis, me dit Flornoy, mais d’abord te pardonner à toi. « Aime-toi toi-même et tu aimeras les hommes et les dieux » se plait-il à me répéter. Le lendemain, sans respirer, on enchaîne sur un voyage magique dans l’ineffable forêt de Brocéliande, dont il faudra un jour que je vous parle en détail. Tant de sujets passionnants restent à aborder dans ces ages, je n’ai pas raconté le millième, j’avance comme une fourmi qui voudrait gravir l’Everest. Eve rest, le repos de la veille…

C’est le premier jour de ma nouvelle vie.

 

 

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Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages. Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts, Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages. L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons.
Jean Richepin