J’ai connu Jean-Claude dès l’enfance aux scouts de France. Je l’ai retrouvé à l’adolescence dans le théâtre amateur, puis durant son bref séjour à l’université. À l’âge mûr, je l’ai vu ressurgir dans ma vie comme un diable à ressort. Stupeur : il avait changé de fond en comble.
Je ne parle pas de son apparence physique, mais de sa personnalité. Jean-Claude Flornoy avait acquis une puissance intérieure – ce rayonnement que d’aucuns appellent l’aura. Il n’avait plus rien de l’enfant timoré ni de l’ado effacé que j’avais connu.
Jean-Claude est devenu artisan d’art. Potier, il façonne l’argile. Comme Dieu. Il se dit prince des potiers. Pourquoi pas roi ? Notre empereur est trop modeste. Une page se tourne, il reçoit la foudre qui ne le tue pas mais l’éveille.
Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.
Changement de programme, changement de priorités, changement de vie. Le domaine de Rochefort devient le quartier général des allumés, qu’il préside avec brio. Il quitte la poterie pour se consacrer à la restauration des premiers tarots. Cette passion n’est pas une lubie soudaine, il travaille la question depuis des années.
Flornoy est un perfectionniste. Il a compris la puissance qui agit à travers ces images. De l’énergie pure, selon lui. Pour être certain d’en absorber la meilleure part, il a compris qu’il faut, non pas créer un tarot de plus, mais restaurer à la perfection les premiers jeux, les plus initiatiques.
Il s’y consacre avec une énergie qui fait plaisir à voir. Et il entraîne dans son sillage toute la bande de gueux qui hante le domaine de Rochefort sur Mayenne au début des années 90. Le mot d’ordre est l’exactitude.
Il se doit de la servir et non de l’asservir. Mais revenons au commencement.
La première fois qu’il m’a parlé des tarots, j’étais un parfait néophyte. Pour moi c’était une entourloupe, comme les diseuses de bonne aventure. Des balivernes qui n’intéressent que les simples d’esprits.
Mais quand il m’a proposé un tirage, je me suis entendu répondre : Pourquoi pas ?
Les dés étaient jetés. À partir de là, tout a été très vite. Je m’attendais à tout sauf au choc qu’il m’a donné.
Des mots scalpels, des frappes chirurgicales, des attaques brusquées, des plages de silence bourdonnant de sens et de révélations, les cimes enneigées, vierges, où il fait bon glisser de sommet en sommet, jusqu’à ce que je m’envole, libéré des contraintes de la pesanteur.
Cette lumière, la lumière partout, dans la pièce, dans ses yeux, dans mon cœur.
J’ai absorbé le rituel, la forme et l’esprit comme une éponge assez grande pour boire l’océan avec tous ses poissons. Depuis 30 ans, je reproduis avec émotion ce premier contact avec ces cartons magiques. Ils m’ont tiré de bien des mauvais pas.
Comme Proust, je cours mon passé, je fouille, je scrute les souvenirs à la recherche du tarot perdu.
Quel choc ! Je n’en suis pas remis. Par respect pour la puissance de ce garçon, l’ami d’enfance devenu mon benefactor, j’ai suivi fidèlement ses recommandations.
À mesure que s’affirmait mon voir, tandis que mes tirages faisaient aux consultants le même effet que ceux de mon mentor, je suis entré aussi profondément que lui dans l’esprit des imagiers et des grands initiés qui ont conçu ces merveilles.
Un tirage de tarots de Flornoy peut durer toute une matinée. Sa lecture est confondante, éblouissante. Le consultant est sous le charme. Les cartes ouvrent des portes qui donnent sur d’autres portes. Le monde tourne autour d’un nouvel axe. L’intention est dans la pièce, palpable, éthérée comme la grâce.
Est-ce cohérent pour le travail manuel ? Quel est ce livre indéchiffrable ? Incite-t-il à la lecture ou non ? Il est factice, il ne contient que du vent. Est-ce le livre de ta vie qui n’est pas encore lisible ?
Ce deuxième arcane majeur décrit le très jeune enfant. L’arcane I Le Bateleur montre devant l’enfant, sur la table, les différents possibles qu’il va réaliser dans sa vie à venir.
Le Bateleur et son chapeau d’infini est à l’orée de sa vie. Quoi d’étonnant que dans l’arcane suivante le livre ouvert soit illisible ? Sa vie reste à écrire…
Un point très important de sa méthode est une technique d’intériorisation que Flornoy appelait l’incorporation des images. Il tirait un arcane qu’il calait debout face à lui, éclairé par la flamme vivante d’une chandelle.
Cette première phase pouvait durer un long moment. En tout cas plus de vingt minutes. Ensuite l’image devient irréelle, ou mieux, surréelle. C’est la deuxième phase. Il y en a trois : méditation, contemplation, incorporation.
La troisième phase démarre quand la contemplation a créé en toi cette surréalité. Tu prends l’arcane et tu plaques l’image contre ton cœur.
Chaque trait, le moindre détail, chaque couleur, toutes les intentions du maître cartier te pénètrent et l’arcane est en toi. Tu as absorbé sa force avec son énergie, son message avec sa représentation.
Jean-Claude Flornoy est parti le 24 mai 2011 à l’âge de 61 ans. Son œuvre reste vive. La méthode Flornoy se répand, ainsi que la lecture originale qu’il a donnée des arcanes majeurs, aujourd’hui partagée par un grand nombre de tarologues.
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Son site web : letarot.com
Son livre commenté, Le pèlerinage des Bateleurs, (à la FNAC)
Son travail de restaurateur, interview
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