Suis-je à l’aurore de ce que les chrétiens appellent l’apothéose ou corps glorieux ? Mais non ! Faudrait d’abord que je sois mort. Après une mue pénible, mortelle, je découvre la gloire du corps. Je ne parle pas de mon vieux corps physique. Je parle du corps en tant que pouvoir. Un pouvoir que partagent tous ceux qui ont un corps. Ils sont nombreux.
Je dirais plutôt que j’habite en permanence mon corps de sorcier, ou corps de Rêve. Ne ricanez pas. Rien de sexy là-dedans, soyez-en sûr. Mon corps physique est à bout de souffle. Tout cousu de rides et des cicatrices que m’a laissé la vie, il est pansu, tordu, quasi-foutu. Dès que je me vois dans la glace je me marre. Fini de pouffer, le corps qu’on voit n’est pas le vrai. Le vrai, je le découvre, je vis dedans depuis vingt jours. Il n’est pas donné à la naissance, mais à la renaissance.
Faute d’un meilleur nom, je l’appelle corps de rêve, parce que c’est le corps de mes voyages astraux. Je pourrais dire le corps éthérique, mais ce mot-valise comporte trop de sens divergents selon les auteurs. Je m’en tiens donc à corps de rêve, qui renvoie au nagualisme et à Carlos Castaneda. Le nagualisme est la philosophie du nagual. On prononce nagoual, comme Guatemala.
Tu dois juste te demander comment utiliser correctement les pouvoirs que tu as.
Soyons clair. Je n’ai pas franchi les parois du Bocal mais je déchire la toile de fond. Je sens les planches sous mes pieds nus. La scène est noire encore, la salle est éclairée, mais vide. Mes ongles ont le pouvoir de fendre l’illusion. Quand on l’a ôtée, il ne reste pas grand chose.
Le Théâtre de L’Illusion Comique a levé ses rideaux. Il en a dix-huit, qui se lèvent l’un après l’autre de dix-huit façons différentes tandis que l’éclairage de la salle s’amenuise en mesure. Quand le dernier rideau s’éclipse, le noir est total, sur scène comme en salle.
Ça y est. La scène s’éclaire à droite. Le centre et la gauche restent dans la pénombre.
Fabuleux ressenti, sensation si grisante, champagne de l’esprit, je pétille, je bulle et j’apporte avec moi l’ivresse. La griserie légère qui rend joli. The young lady is a little chablied,la jeune dame est un peu pompette disent les British avec cette élégance qu’ils conservent à travers les pires débâcles. Chablied vient du Chablis, le plus élégant de nos vins blancs. L’ivresse qu’il donne transforme la lady en princesse.
Je suis chablied. Pompette. Sans avoir besoin de rien boire, je pétille. J’étincelle. J’euphorise. Je ris. Précision : je n’ai pas décroché de la réalité, l’ivresse est trop légère. Mais la puissance est grande. Vraiment.
J’arrose, je diffuse, je rayonne. « Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier » (Victor Hugo). Voilà l’histoire. Plus de morceaux désunis, mais un tout cohérent. Plus de tiraillements vers bâbord ou tribord, je tiens mon cap sans effort, sans y penser. La tête vide, comme je suis depuis des années, j’ai maintenant l’intelligence du corps qui guide mes actes et module mes réactions.
Banaliser. Remercier le vivant. S’incliner devant la grandeur qui me dépasse infiniment. Reconnaître la puissance de l’Intention dont une part m’est donnée. Savoir sans cesse que cette puissance n’est pas la mienne. Je m’en sers. Je m’en repais. Elle me régale. Elle ne vient pas de moi, elle ne m’appartient pas.
L’Intention sans laquelle nous ne serions rien.
Les cadeaux nous arrivent au rythme des épreuves. La voie d’éveil est pavée de verre brisé, chaussée de lames acérées. Elle monte par les sept rampes qui sont les sept degrés d’éveil. Encore et encore elle monte, harassante, laborieuse, dure. Et tu montes avec elle, douloureux cloporte assoiffé d’azur.
Tu rampes plus que tu ne marches
Un boulet à chaque cheville
Dévêtu d’horribles guenilles
Tu t’évertues vers la Grande Arche
L’ascension t’a longtemps fait mal
Tu n’es pas mieux sur les sommets
Coupé de ta vie désormais
Évincé du règne animal
L’Arche est un credo révolu
Qu’elle existe ou non, que t’importe ?
Tu es le but, tu es la porte
Qui va s’ouvrir en temps voulu
Patience et courage à venir
Pour l’instant tiens-toi sur tes gardes
La Source aveugle te regarde
Te détaille à n’en plus finir
Pauvre garçon triste figure
En remontant ton pantalon
Tu t’étales de tout ton long
Incident de mauvais augure
Dommage on était bien parti
Tiens-toi bouffon tu gesticules
Bouffi d’un orgueil ridicule
Tu as salopé ta sortie
Il y a un gouffre entre deux sommets. Pour une montagne, il faut des vallées. Dévaler. Tu es au fond, tu te noies. Que te manque-t-il ? Lui. L’homme qui te manque et qu’il te faut. Elle. La femme enfin complète, unifiée, heureuse. Mais le plus grand des magiciens ne peut rien contre la volonté d’autrui. Ce sont les limites de la magie. Tu ne peux aider que ceux qui s’aident eux-mêmes. Celles qui le demandent. Celle qui en a marre, tellement marre que vient le moment où elle en a marre d’en avoir marre. Quand son moral de star se barre en carambar, quand elle est toute en noir du soutif au slibard, Faut que j’décarre dare-dare écrit sur l’étendard.
J’ai toujours été sujet au vertige. Depuis bientôt quarante ans, suite à l’accident de mon fils aîné, je traîne cette plaie comme une malédiction, une punition que je m’inflige. Avec ce nouveau moi, j’ai pensé m’en débarrasser. Que tchi ! Le vertige est intact. Usant, paralysant. La plaie s’est ouverte et l’altitude avive la douleur. Forcément. Faut-il que pour un temps je regagne le monde des vivants ?
Les démons assaillent avec vigueur les élus qui montent au Royaume. J’ai appris ça jadis au catéchisme. Mon statut récent n’a rien à voir, c’est évident. Mais l’analogie est valable. Plus on grimpe, plus on en chie.
Je grimpe à la lumière, ma lueur est plus vive, ma saveur gustative attire les mouches astrales et les vampires les suivent. Les morfales passent à table. Je me fais croquer vif et je m’étonne de flipper ! Je suis dévoré de l’intérieur par une lèpre agile, une saloperie terrifiante en puissance et en vivacité.
Il y a toujours plus fort que soi. J’aurais dû m’en souvenir. Défaut d’humilité, j’ai jubilé trop fort. Et la manivelle folle m’a frappé en retours. Joie du jour. J’ai perdu le chemin du doux pays d’amour.
Qui trop embrasse mal étreint. Attends la gare et descends du train-train. Contrit,(Théologie) Qui se repent amèrement et prend la ferme résolution de ne plus offenser Dieu. je t’ai contré, contraint. Contre un.
Coda : au refrain.
Si tu cherches un dieu en qui croire, ne lui donne aucune apparence. N’en fais pas un sosie humain, surpuissant mais trop comparable. Dieu ne s’habille pas le matin. Il n’a pas de draps en satin. Il ne dort pas dans un lit, ni ailleurs. Il ne vient d’aucun pays, ni d’ailleurs. Il n’a pas plus de barbe que de cheveux ou de poil au cul. Ceux qui en ont sont tous mortels. Tu veux adorer dieu ? Glorifier l’éternel ? Il s’en bat les bretelles. N’attends aucun merci. Il s’en tape. Il s’en fout partout.
Les dieux d’avant ont servi de modèles aux dieux des religions actuelles. Ils ne sont pas la source. Ils nous ont fabriqués en labo génétique. Ils sont vivants, donc mortels. S’il existe une origine à tout ça, elle est impersonnelle. Par commodité, on l’appelle la Source. Inutile de la prier ou d’attirer son attention : elle est aveugle et sourde. Mais elle a deux lieutenants qui font tout le boulot, l’Énergie et l’Intention.
Ce que nous appelons matière est de l’énergie dont la vibration est si basse qu’elle peut être perçue par les sens. Il n’y a pas de matière.
Détachement. Regard lointain qui se perd dans la brume. Chemin de terre qui se noie dans le sable de mer. Cette force qui est mienne est aussi ma faiblesse. Je deviens liant, affectueux avec des inconnus. Je me montre sec et inhospitalier pour d’autres. Fini cette impression d’être piloté par mille impulsions parfois contradictoire.
Il n’y a plus foule en moi, je ne prends plus de distance intérieure pour me regarder agir ou parler de façon étrange — étrangère à ma personnalité. Mon comportement est en parfaite harmonie avec celui que je suis devenu. Il me ressemble plus qu’un frère, mais il n’est pas moi. Pas ce moi habituel que j’ai trimballé toute ma vie depuis l’enfance.
C’est mon enfance que je retrouve. Cette puissance inouïe dont je fais montre pour guérir est exactement celle que j’avais jusqu’à mes 15 ans. Magique et indifférent. Jamais les miracles accomplis ne m’ont tourné la tête. Les gamins que je guérissais de leurs bobos ont toujours trouvé ça normal. Comme je n’en tirais aucune fierté, je ne faisais pas de jaloux. Guérir est un acte anodin. Nous savions tous le faire à l’aube de cette humanité. En sera-t-il de même pour la prochaine ?
Ma force m’est faiblesse parce qu’elle m’isole. Si les enfants ne s’étonnent pas des miracles, les adultes en ont peur. Ils s’imaginent sans doute que guérir vient du diable. Aussi resté-je dans l’ombre. Loin du nombre. Je ne suis plus de ce monde où le malheur abonde. Où l’erreur est profonde. Où la révolte gronde.
Les cathédrales ont été construites avec un mètre-bâton : pas d’autre calcul !
La peur ressemble à l'ego. Tant qu'on est vivant, on ne s'en débarrasse pas.
Il n'y a pas quatre éléments, mais cinq. Le premier s'appelle l'éther. On l'a oublié…
Oui, perdu. Mais qu'on ne s'inquiète pas, le remplaçant est prévu.
Je vous demande un ultime effort pour sauver Eden Saga. C'est maintenant !!
L’aventure Eden Saga aura duré dix huit années. Reste encore UNE chance, la toute dernière.