D’aussi loin qu’il te souvienne, tu t’es sentie différente. Aucune amie d’enfance, jamais vraiment en phase, trop souvent sans défense avec personne en face. Tu vivais près d’un bois dans le pays du vent. J’imagine qu’en ville, tu aurais isolé tes quatre murs, ton toit, en cachant ton jardin des passants, des voisins.

Mais tu vivais dans la nature. Par la fenêtre, tu scrutais les animaux. Aimante et gourmande, tu connais chacun par son nom, ses petites manies, et par son petit nom. Aussi les plantes à fleurs, avec les arbres à fruits, les bulbes comestibles, les racines aux vertus curatives. Tu sais les feuilles, les herbes, les insectes, les mousses. Au matin dans la brousse, quand la lumière est douce, chaque petit oiseau, passereau ou corneille, te pépie à l’oreille. Toi pendant tant d’années tu es restée cachée, souvent bien loin du monde, parfois en plein milieu, très peu t’ont remarquée.

Sauvage, comme la nature. Nature, comme une sauvage. Forte de tes silences. Faible aussi, trop souvent tu dis oui. Longtemps tu as cherché dans le noir, dans les gris, quelque impossible ami. Tes frères, ta sœur, la flore et tous les animaux, et le grand ciel changeant, et la pluie, et le vent, et ton corps au soleil. Et ta douceur de miel. Un jour, tissant la Toile, tu as trouvé ce site et tu t’y es baignée. Miroir qui te ressemble, il renvoie ton image. Rien de ce qu’il déploie n’est différent de toi. Tout te parle. Tout te plaît. Tu as trouvé ton double.

Ton cas particulier est celui de beaucoup. Combien de solitaires souffrant d’être isolés, combien de cherche-terre, vagabonds esseulés ? Toi, garçon de là-bas, tu as perdu ta route. Elle dort dans ton cœur, s’éveillera sans doute un jour, avec l’amour. En attendant tu rames. Tu gémis dans les chaînes. Tu ne vois pas que c’est toi qui les crées. Tu claudiques, traîne-patte. Tu devrais triompher, mais tu te recroquevilles. Ton moral part en vrille. On t’a trop raconté de bêtises, d’horreurs et de foutus mensonges. Tu voudrais tout changer. Ta colère est danger.

Toi, l’ado prolongé, par l’effort allongé, trop vieux pour te changer, ta ceinture bleue, tu peux la serrer sur ton premier dan, repinto di blu. Tu as pu conclure à ma damnation. Tu m’as cru sorcier, tu m’as cru parfait. Tu m’as cru défait, voire ensorcelé. Quand tu me regardes, c’est toi que tu vois. Nul n’est moins parfait que celui qui donne des leçons de vie quand il est défait. Je n’ai pas cru bon de te préparer, l’averse est tombée, ton compte était bon, tu t’es vu tout con. Si tu ne crois pas à l’art du traqueur, lis Castaneda, apprends-le par cœur. Tu y trouveras un naïf confit dans l’ego lourdaud mais il est aussi le fils de ses œuvres. L’amour le désœuvre, il se croit perdu. Personne ne l’est. Il s’est reconnu comme on le connaît. Il n’a pas perçu au-delà du pet l’amour absolu que je lui gardais. Mais tu comprendras, j’en suis bien certain. Ton sort en tes mains peut cahin-caha s’éclaircir demain. Lis Castaneda, relis-le sans frein, on se reverra quand tout ira bien.

 

 

Toi, mon cher gamin, ami du destin, amant du lointain, tu rejoins tes frères, copains de misère, murs de solitude. Toi mis en commune en montagne immune née du vent de mer ou de l’océan. Tu fumes ton chanvre et nourris tes chèvres.  Tu n’as pas d’amour, et nulle ambition. Tu n’as pour tout bien que l’or du décor. Il fait beau dehors si tu t’y sens bien. Tu sais les leçons de douleur, du malheur. Tu connais l’insuccès, d’échec en déception, péchés sans rémission. Tu as trop lu Eden Saga, trop conchié ce bas monde, tu l’as jugé immonde, ça t’a rendu gaga. Tu ne crois plus grand-chose, dégoûté par les choses, fou des éléphants roses et des marsouins moroses que la marée dépose aux quatre coins du rêve qui déroule sans trêve ses volutes en grève à ton retour de pêche. Tu hésites, tu sèches, la marée se dépêche, tout vient toujours trop tard. On n’est jamais peinard. Pourtant souviens t’en, tu fais partie de mes amis. Tu n’es plus seul. Jamais. Souviens t’en désormais. 

Et toi, fille de paille, somptueux épouvantail, tu dérailles. Tu brailles. Tu ne connais pas ton bonheur, et lui non plus. Tu as tout lu. Tu n’as rien reconnu. Tu es perdue, mini, toute menue, tu crois qu’on t’a vue nue, ça te perd un peu plus. Sans censure, encense Ur, imagine origine, rêve éveillé, vie envie, vieil avé. Les dieux sont venus. Ils t’ont reconnue depuis l’avenue qui descend des nues. Ils t’ont invitée, tu as profité. Ils t’ont fait goûter le philtre secret d’immortalité. Dans l’ombre se crée ton retour sur terre. L’avenir t’atterre. A force il enterre et force à se taire. Ur et ses mystères font trop de misère aux cœurs solitaires. Tes mains solidaires, tes mains se lient d’air par delà les mers dans ton cœur de mère. Souvenirs amers, tristesse évanouie, chagrin éphémère à devoir dire oui, sans rime, sans bruit. Un chien de souci te tient à merci de ses liens tissés d’un fil du récit doré tapissé de brocards lamés au chemin damé qui sous la ramée court à l’infini. Ton cœur fait son nid dans un arbre à lunes. Le couchant allume une floraison de soleils de plume aux yeux des maisons.

Toi itou, mon doux fou sans permis de folie, vieil ami de toujours, compagnon sans répit qui se cogne aux parois de la cage inventée où il s’est enfermé. Toi itou, vieux chien fou, canaillou d’on ne sait où, vieux filou, vieux voyou, vieil hibou vraiment chou. Tu tu traînes en bedaine, en babouche orpheline et tu bouches les trous de ta ligne du temps qui se déploie cent fois aux vents de chaque instant, au temps de chaque évent, mi triste mi content, mi Comté mi contant. 

Toi et toi aussi, sans t’oublier toi, ni toi mon ami, ni toi qui te tais. Pour un peu je t’ai pris pour ton reflet. A toi qui te plaît dans les chemins creux, toi qui court la vie comme on court la chance, dans ton cœur immense on est tout petit. Tu n’as pas de nid, tu vis loin des villes tout seul sur ton île et tu t’y plais bien. Trop bien pour sortir dans le monde hostile où l’on doit mentir sans jamais sentir que l’autre est fragile. Perdu sans son île, tout seul comme un chien, tout nu dans la ville, on n’entend plus rien. On attend demain, on n’a que deux mains pour tout reconstruire. On ne peut plus fuir car le mur s’approche et l’on sent la roche aux mains qui s’accroche toujours et s’approche afin d’en finir. 

De toi aussi bien je pourrais citer récits et refrains que tu m’as chantés les nuits sans demain dans l’ombre enchantée où s’écoute au loin de l’autre côté le sifflet d’un train du siècle dernier. Pour toi, pour vous tous qui cherchez encore un copain de sort qui vous accompagne au coquin de port – pays de Cocagne où dorment les morts où tous les errants jouent à qui perd gagne où le dernier prend. En foi rôde en pagne et vite élégant. En foire d’empoigne, évitez les gants. Comédie ou drame ? Quand tu le comprends, le fou-rire gagne ceux du dernier rang.

 

Xavier Séguin

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